Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 décembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Douala (Cameroun) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'étudiante.
Par un jugement n° 2114328 du 20 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 21 décembre 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme A... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 août 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- la demandeuse de visa ne justifie pas de la faisabilité et du caractère cohérent de son projet d'études ;
- elle ne justifie pas de sa capacité financière à s'acquitter des frais d'inscription qui s'élèvent à 6 160 euros ;
- elle ne justifie pas davantage de la réalité de l'hébergement en France dont elle se prévaut.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 4 décembre 2009 relatif aux modalités de fonctionnement de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
- l'instruction interministérielle relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive UE 2016/801 du 4 juillet 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Montes-Derouet
- et les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante camerounaise née le 1er février 1993, a déposé le 10 septembre 2021 une demande de visa de long séjour en qualité d'étudiante. Par une décision implicite née le 29 novembre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme A... contre le refus opposé à sa demande de visa par les autorités consulaires françaises à Douala (Cameroun). Par une décision expresse du 21 décembre 2021, qui s'est substituée à la décision implicite de rejet, la commission de recours a rejeté ce recours. Par un jugement du 20 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 21 décembre 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme A... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an. Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois (...) en qualité (...) d'étudiant (...) et plus généralement tout type de séjour d'une durée supérieure à trois mois conférant à son titulaire les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-24 ".
3. Selon l'article 5 de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair, l'admission d'un ressortissant d'un pays tiers à des fins d'études est soumise à des conditions générales, fixées par l'article 7, comme l'existence de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance durant son séjour ainsi que ses frais de retour et à des conditions particulières, fixées par l'article 11, telles que l'admission dans un établissement d'enseignement supérieur ainsi que le paiement des droits d'inscription. L'article 20 de la même directive, qui définit précisément les motifs de rejet d'une demande d'admission, prévoit qu'un État membre rejette une demande d'admission si ces conditions ne sont pas remplies ou encore, peut rejeter la demande, selon le f) du 2, " s'il possède des preuves ou des motifs sérieux et objectifs pour établir que l'auteur de la demande souhaite séjourner sur son territoire à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande son admission ".
4. En l'absence de dispositions spécifiques figurant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une demande de visa de long séjour formée pour effectuer des études en France est notamment soumise aux instructions générales établies par le ministre chargé de l'immigration prévues par le décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, en particulier son article 3, pris sur le fondement de l'article L. 311-1 de ce code. L'instruction applicable est, s'agissant des demandes de visas de long séjour en qualité d'étudiant mentionnés à l'article
L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'instruction ministérielle du 4 juillet 2019 relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive (UE) 2016/801, laquelle participe de la transposition de cette même directive.
5. L'instruction interministérielle relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive UE 2016/801 du 4 juillet 2019 dispose dans son point 2.1, intitulé " L'étranger doit justifier qu'il a été admis dans un établissement d'enseignement supérieur pour y suivre un cycle d'études " : " Il présente (...) au dossier de demande de visa un certificat d'admission dans un établissement en France ". Dans son point 2.4 intitulé " Autres vérifications par l'autorité consulaire ", cette même instruction indique que cette dernière " (...) peut opposer un refus s'il existe des éléments suffisamment probants et des motifs sérieux permettant d'établir que le demandeur séjournera en France à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande un visa pour études ". Ainsi, l'autorité administrative peut, le cas échéant, et sous le contrôle des juges de l'excès de pouvoir restreint à l'erreur manifeste, rejeter la demande de visa de long séjour pour effectuer des études en se fondant sur le défaut de caractère sérieux et cohérent des études envisagées, de nature à révéler que l'intéressé sollicite ce visa à d'autres fins que son projet d'études.
6. Pour refuser de délivrer le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés de ce que la demande de visa était devenue sans objet en raison du dépassement de la date de rentrée de l'établissement et de ce qu'il existait un risque de détournement de l'objet du visa, compte tenu de l'absence d'éléments suffisamment probants concernant la faisabilité et le sérieux du projet d'études et de la situation personnelle de l'intéressée.
7. En premier lieu, la commission de recours ne pouvait légalement se fonder, pour refuser de délivrer le visa sollicité par Mme A..., sur la circonstance que la date limite de rentrée était dépassée, alors que la demande de visa était antérieure à cette date.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., titulaire d'un baccalauréat série D obtenu en 2013 et d'un BTS en action commerciale, obtenu en 2017 après avoir été recrutée comme hôtesse d'accueil de 2014 à 2015 par une entreprise camerounaise, a été admise, au titre de l'année universitaire 2021/2022, en 3ème année de Bachelor " commerce et distribution option responsable du développement et du pilotage commercial " au sein de l'Ecole de commerce de Lyon. La reprise des études projetée par l'intéressée avec la préparation de ce nouveau diplôme est cohérente, contrairement à ce que soutient le ministre, avec le parcours d'études antérieur de l'intéressée et avec son projet professionnel d'évoluer vers des fonctions de responsable de la distribution au sein d'une entreprise commerciale, après l'exercice, de 2018 à 2021, des fonctions de responsable commercial auprès de son précédant employeur. La circonstance qu'elle aurait validé son diplôme de BTS avec une moyenne générale de 10,42 ne suffit pas à démontrer l'absence de sérieux de son projet d'études. Il s'ensuit, eu égard au caractère sérieux et cohérent du projet d'études de Mme A..., qu'en se fondant, pour refuser le visa sollicité, sur l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa, la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. En troisième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
10. Pour établir que la décision contestée est légale, le ministre soutient que Mme A... ne justifie pas disposer de ressources suffisantes pour la durée de son séjour.
11. Le point 2.2 de l'instruction du 4 juillet 2019 prévoit que " L'étranger doit justifier qu'il disposera de ressources suffisantes pour couvrir ses frais d'études / L'étranger doit apporter la preuve qu'il dispose de moyens d'existence suffisants pour la durée de validité du visa de long séjour pour études. Ces ressources doivent être équivalentes, pour l'ensemble de la période concernée, au moins au montant de l'allocation d'entretien mensuelle de base versée, au titre de l'année universitaire écoulée, aux boursiers du Gouvernement français, soit 615 euros en 2019 ".
12. Si, pour justifier de ses moyens de subsistance pendant son année d'études en France, Mme A... produit une attestation de virement irrévocable prévoyant le versement mensuel à son profit d'une somme de 615 euros pendant douze mois depuis un compte bancaire présentant un solde de 7 800 euros, il ressort des pièces du dossier qu'alors que les frais d'inscription en première année de " Bachelor " " commerce et distribution option responsable du développement et du pilotage commercial " au sein de l'établissement choisi par l'intéressée s'élevaient, au titre de l'année universitaire 2021-2022, à 6 160 euros, Mme A... n'a justifié s'être acquittée, à la date du 8 juin 2021, que des sommes de 1 800 et 990 euros, à supposer que ces sommes, qui correspondent respectivement au droit d'accès à la plate-forme e-learning et aux frais de dossiers, soient comprises dans le coût total de 6 160 euros. Ainsi que le soutient le ministre de l'intérieur, Mme A... ne fournit aucune indication quant au financement de la part de ces frais d'inscription non acquittés, alors qu'elle ne justifie ni même n'allègue détenir des ressources propres. Dès lors, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce en estimant que
Mme A... ne justifiait pas disposer de ressources suffisantes pour financer l'ensemble de ses frais liés à un séjour de longue durée en France. Il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ce motif, qui ne la prive d'aucune garantie procédurale, de nature à fonder légalement la décision de refus de visa en cause. Il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande de substitution de motifs sollicitée.
13. Il appartient, toutefois, à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.
14. En premier lieu, aux termes de l'article D. 312-3 : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. (...). La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 4 décembre 2009 : " La commission instituée à l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile susvisé siège à Nantes. Toutefois, à titre transitoire, elle peut également siéger à Paris jusqu'au 31 mars 2010. Elle se réunit sur convocation de son président. / Elle délibère valablement lorsque le président ou son suppléant et deux de ses membres au moins, ou leurs suppléants respectifs, sont réunis ".
15. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la feuille d'émargement produite par le ministre de l'intérieur en première instance, que la commission de recours s'est réunie, en sa séance du 21 décembre 2021, en présence de son président et de deux de ses membres. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission de recours manque en fait et doit être écarté.
16. En second lieu, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, dont les motifs ont été rappelés au point 6 et qui vise les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision de la commission de recours doit être écarté comme manquant en fait.
17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête d'appel, que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer à Mme A... le visa sollicité.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 20 juin 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... A....
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT02733