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11/01/2024 | FRANCE | N°23BX02044

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 11 janvier 2024, 23BX02044


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 22 avril 2022 par lequel le préfet de La Réunion a refusé de lui délivrer un titre

de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours,

et d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la

mention " vie privée et familiale ".



Par un jugement n° 2200799 du 6 avril 2

023, le tribunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 20 j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 22 avril 2022 par lequel le préfet de La Réunion a refusé de lui délivrer un titre

de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours,

et d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la

mention " vie privée et familiale ".

Par un jugement n° 2200799 du 6 avril 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 juillet 2023, Mme B..., représentée par l'AARPI Belliard, Ratrimoarivony, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de La Réunion du 22 avril 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de La Réunion de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme

de 1 200 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- en vertu de l'article 321 du code civil, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté ; ainsi, la nationalité française de l'enfant E... Damji s'impose à l'administration, et le préfet ne peut plus utilement lui opposer la fraude ; au demeurant, le caractère frauduleux de la reconnaissance de l'enfant n'est pas établi ; le préfet a commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en opposant une condition de participation de M. C... à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ; les conditions relatives à la participation de M. C... à l'entretien et à l'éducation de l'enfant posées par l'article L423-8 doivent être regardées comme remplies dès lors qu'il ne peut être reproché au père, en situation de précarité, de ne pas payer régulièrement la pension alimentaire ;

- l'enfant E... est français et vit en France avec sa mère, de sorte que le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle établit résider de façon continue à Mayotte à tout le moins depuis 2008, puis à La Réunion, et justifie d'une vie familiale stable sur le territoire français, Mayotte étant un territoire français depuis 1841 ; elle est dépourvue d'attaches à Mayotte dès lors que tous ses enfants résident avec elle à La Réunion depuis près de quatre ans ; ainsi, le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour et méconnaît le 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision

du 20 juin 2023.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 novembre 2023, le préfet de La Réunion conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., de nationalité comorienne, titulaire d'une carte de séjour temporaire valable à Mayotte, a déclaré s'être installée à La Réunion en 2019 avec six de ses sept

enfants mineurs, tous nés à Mayotte entre le 21 août 2006 et le 17 juillet 2017, le troisième, E..., né le 11 juillet 2010, ayant été reconnu par M. C..., ressortissant

français. Le 3 septembre 2020, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de mère d'un enfant français. Par un arrêté du 22 avril 2022, le préfet de La Réunion a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai d'un mois et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 6 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la décision de refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. "

3. Si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Pour rejeter la demande de Mme B..., le préfet de La Réunion lui a opposé le caractère frauduleux de la reconnaissance de son fils E... par un ressortissant français, en relevant que le père de ses cinq enfants nés à Mayotte, dont deux avant et trois après la naissance de E..., était M. F..., avec lequel elle avait une communauté de vie au moins jusqu'en 2019, que cette reconnaissance lui avait permis de régulariser son séjour à Mayotte, ainsi que celui de M. F..., et que M. C..., père putatif de E..., avait reconnu au moins huit autres enfants de quatre autres mères différentes entre le 2 août 2011 et

le 17 janvier 2020. Les allégations de Mme B... selon lesquelles sa communauté de vie avec M. F... aurait été interrompue en 2009-2010 ne sont assorties d'aucun commencement de preuve, et l'attestation de l'enfant selon laquelle il resterait en relation avec son père n'est corroborée par aucune pièce et ne nomme pas ce père, alors que E... a été élevé

par M. F.... A l'exception d'un unique transfert de 50 euros établi par M. C... postérieurement à l'arrêté du 22 avril 2022, tous les transferts d'argent produits par Mme B... l'ont été à son bénéfice entre le 29 décembre 2020 et le 25 avril 2022 par M. F.... Dans ces circonstances, le préfet de La Réunion doit être regardé comme apportant un faisceau d'indices de nature à démontrer le caractère frauduleux de la reconnaissance de E... par un ressortissant français. Par suite, il n'a pas commis d'erreur de droit en refusant de délivrer à Mme B... un titre de séjour en qualité de mère d'un enfant français. Contrairement à ce que soutient la requérante, la prescription de l'action relative à la filiation n'est pas acquise dès lors que l'article 321 du code civil prévoit qu'elle est suspendue pendant la minorité de l'enfant.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

6. En vertu des dispositions de l'article L. 441-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les titres de séjour délivrés à Mayotte n'autorisent le séjour que sur le territoire de Mayotte. Quand bien même elle se serait installée en 2019 à La Réunion avec six de ses sept enfants mineurs, ce qui n'est pas démontré, Mme B..., qui disposait d'un titre de séjour valable à Mayotte où réside M. F..., lequel effectue régulièrement des transferts d'argent à son bénéfice, ne justifie pas d'une vie privée et familiale stable et ancienne en France hors du territoire de Mayotte. Par suite, la décision du 22 avril 2022 par laquelle le préfet de La Réunion a refusé de lui délivrer un titre de séjour ne peut être regardée comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

8. Le préfet de La Réunion, qui démontre le caractère frauduleux de la reconnaissance de E... par un ressortissant français, ainsi qu'il a été exposé au point 4, a saisi la procureure de la République d'une demande d'engagement d'une action civile en annulation de cette reconnaissance. Dans ces circonstances, Mme B... n'est pas fondée à se prévaloir de la nationalité française de cet enfant pour soutenir que le refus de titre de séjour qui lui est opposé porterait atteinte à l'intérêt supérieur de son fils.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

9. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de la décision de refus de titre de séjour.

10. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; / (...). " Eu égard au caractère frauduleux de la reconnaissance de l'enfant E... par un ressortissant français, Mme B... n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance de ces dispositions.

11. Pour les motifs exposés aux points 6 et 8, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi

du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Une copie en sera adressée au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX02044


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02044
Date de la décision : 11/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : BELLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-11;23bx02044 ?
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