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11/01/2024 | FRANCE | N°23BX02030

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 11 janvier 2024, 23BX02030


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. G... B..., Mme A... F... épouse B... et M. D... B... ont demandé chacun au tribunal administratif de Pau d'annuler les arrêtés du 18 janvier 2023 par lesquels le préfet des Pyrénées-Atlantiques leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2300401, 2300402, 2300403 du 18 avril 2023, le tribunal administratif de Pau a rejeté leurs demandes.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 20 juillet 2023, les consorts B..., repré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... B..., Mme A... F... épouse B... et M. D... B... ont demandé chacun au tribunal administratif de Pau d'annuler les arrêtés du 18 janvier 2023 par lesquels le préfet des Pyrénées-Atlantiques leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2300401, 2300402, 2300403 du 18 avril 2023, le tribunal administratif de Pau a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 juillet 2023, les consorts B..., représentés par Me Pather, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 18 avril 2023 ;

2°) d'annuler les arrêtés préfectoraux du 18 janvier 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Atlantiques de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'une semaine à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français sont insuffisamment motivées ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le droit d'asile qui a pour corollaire le principe de non-refoulement et le droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce qu'intervienne une décision définitive sur la demande d'asile ; la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a en effet été saisie et n'a pas encore statué sur leur recours ; ils doivent pouvoir être entendus personnellement par la Cour, où leur présence est cruciale ; les dispositions du 1 d) de l'article L. 542-2 sont donc contraires à l'article 13 ; la possibilité de demander la suspension de la mesure d'éloignement au juge administratif ne permet pas de redonner un caractère effectif au recours devant la CNDA car le délai de 15 jours imparti pour déposer un recours est trop court ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle et familiale ;

- les décisions fixant le pays de renvoi sont illégales en raison de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ;

- elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que le démontrent les nouveaux éléments produits devant la cour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2023, le préfet des

Pyrénées-Atlantiques conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les décisions sont suffisamment motivées ;

- la Cour nationale du droit d'asile a rejeté le recours formé par les requérants par des décisions du 24 avril 2023 notifiées les 16 mai et 5 juin 2023, soit avant l'enregistrement de la requête d'appel ; venant d'un pays faisant partie des pays d'origine sûrs, les intéressés ne sont pas protégés contre une mesure d'éloignement le temps que la CNDA se prononce ; dans ces conditions, les décisions n'ont pas méconnu le droit d'asile ;

- les décisions ne méconnaissent pas le droit à un recours effectif ; les dispositions de l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été jugées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 6 septembre 2018 ; les intéressés ne sont pas privés de la possibilité d'exercer un recours contre la décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et ils peuvent également demander la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement ;

- elles ne méconnaissent pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni ne sont entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des intéressés eu égard à leur faible durée de présence et leur absence d'attaches sur le territoire ;

- l'illégalité des mesures de l'éloignement soulevée par voie d'exception à l'encontre des décisions fixant le pays de renvoi doit être écartée ;

- les décisions fixant le pays de renvoi ne méconnaissent pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; les éléments développés dans la requête ont été présentés devant la CNDA qui n'a pas été convaincue ; en outre, l'Albanie figure sur la liste des pays considérés comme sûrs.

Par trois décisions du 20 juin 2023, M. G... B..., Mme A... F... épouse B... et M. D... B... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B..., ressortissants albanais nés respectivement les 5 octobre 1975 et 20 octobre 1985, sont entrés régulièrement sur le territoire français les 23 juillet et 7 août 2022 en compagnie de leur fils majeur, D..., né le 27 juillet 2004, et de leur fille mineure, E..., née le 24 novembre 2009. Le 28 décembre 2022, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté leurs demandes d'asile. Par arrêtés du 18 janvier 2023, le préfet des Pyrénées-Atlantiques leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Les consorts B... ont demandé l'annulation de ces arrêtés. Par un jugement n° 2300401, 2300402, 2300403 du 18 avril 2023, le tribunal administratif de Pau a rejeté leurs demandes. Par la présente requête, ils relèvent appel de ce jugement.

Sur la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français :

2. Les décisions en litige visent notamment les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indiquent que l'OFPRA, statuant en procédure accélérée, a rejeté la demande d'asile des intéressés et qu'ainsi ils ne bénéficient plus du droit de se maintenir sur le territoire conformément aux dispositions du d) du 1° de l'article L. 542-2. Après avoir rappelé la situation familiale des intéressés et les conditions de leur séjour en France, le préfet a estimé qu'une mesure d'éloignement ne porte pas atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Il a également mentionné que les intéressés ne relevaient d'aucun autre cas d'attribution d'un titre de séjour, ni ne pouvaient bénéficier d'une protection contre une mesure d'éloignement en application de l'article L. 611-3. Ces décisions, qui énoncent les considérations de droit et de fait sur lesquelles elles se fondent, sont ainsi suffisamment motivées.

3. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ". Aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : / 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : (...) d) une décision de rejet dans les cas prévus à l'article L. 531-24 et au 5° de l'article L. 531-27 (...) ". Aux termes de l'article L. 531-24 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides statue en procédure accélérée dans les cas suivants : / 1° Le demandeur provient d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr au sens de l'article L. 531-25 (...) ". Aux termes de l'article L. 614-1 du même code : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions et délais prévus au présent chapitre, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision (...) ". Aux termes de l'article L. 722-7 du même code : " L'éloignement effectif de l'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut intervenir avant l'expiration du délai ouvert pour contester, devant le tribunal administratif, cette décision et la décision fixant le pays de renvoi qui l'accompagne, ni avant que ce même tribunal n'ait statué sur ces décisions s'il a été saisi (...) ". Aux termes de l'article L. 752-5 du même code : " L'étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2 et qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. ".

4. Il résulte des dispositions combinées de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article L. 531-24, du 4° de l'article L. 611-1 et de l'article L. 614-1 du même code que si un ressortissant étranger issu d'un pays sûr dont la demande d'asile a été rejetée selon la procédure accélérée ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce que la CNDA ait statué sur son recours, il peut néanmoins contester l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre. Ce recours présente un caractère suspensif en vertu de l'article L. 722-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, le ressortissant étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise sur le fondement du d) du 1° de l'article L. 542-2 du même code a la possibilité de demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à ce que la CNDA ait statué sur son recours. Par ailleurs, le droit à un recours effectif tel que protégé notamment par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'implique pas que l'étranger, dont la demande d'asile a fait l'objet d'un examen en procédure accélérée, puisse se maintenir sur le territoire français jusqu'à l'issue de son recours devant la CNDA et ce alors qu'il peut se faire représenter devant cette juridiction. Ainsi, les décisions en litige ne méconnaissent ni le droit d'asile ni le droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier, alors que les intéressés n'étaient présents sur le territoire français que depuis moins de six mois, que les décisions en litige seraient entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle et familiale.

Sur la légalité des décisions fixant le pays de renvoi :

6. Les moyens soulevés à l'appui des conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français ayant été écartés, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que les décisions fixant le pays de renvoi seraient illégales en raison de l'illégalité de ces décisions.

7. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

8. M. G... B... soutient avoir subi, alors qu'il était militaire en Albanie, des menaces et des agressions physiques et psychologiques régulières de la part de ses supérieurs et fait l'objet de sanctions en raison de son refus de participer en septembre 2007 à des opérations militaires en Afghanistan contraires à ses convictions. Il allègue également avoir été torturé et enfermé par ses supérieurs pour avoir voulu porter plainte en 2010 pour privation de solde et avoir été condamné à une amende et à deux ans de prison par un juge militaire en raison d'un abandon de poste en mai 2016. Sa famille aurait également fait l'objet de représailles lorsqu'il était en mission. Il soutient avoir fui en Allemagne depuis 2016 et être revenu à plusieurs reprises dans son pays discrètement pour voir sa famille. Malgré de nombreuses précautions, sa famille aurait subi de nouvelles représailles en vue d'obtenir son adresse en Allemagne. Toutefois, si son appartenance aux forces armées apparaît vraisemblable, son récit sur les sévices qu'il aurait subis, sur leur origine et sur les raisons qui expliqueraient qu'ils aient duré de nombreuses années, apparaît très sommaire et imprécis. De même, il n'explique pas pourquoi les reproches qu'on a pu lui faire dans le domaine professionnel auraient engendré des représailles pour sa famille. S'il produit une convocation devant un tribunal en décembre 2015, il n'apporte aucun élément sur la condamnation qui s'en serait suivie. En outre, les deux attestations d'anciens collègues sont peu circonstanciées et peu précises sur les mauvais traitements dont il aurait été victime. L'une de ces attestations, qui indique que les militaires ayant contesté leur privation de salaire ont été poursuivis par le ministère des armées, est peu cohérente avec les allégations de M. B... qui soutient avoir été enfermé de manière arbitraire et torturé. Enfin, alors que l'intéressé soutient avoir fui en Allemagne en 2016, il n'explique pas les raisons pour lesquelles il n'y a pas sollicité l'asile sans attendre. Alors que, par décisions du

28 décembre 2022, l'OFPRA a rejeté les demandes d'asile des appelants et que ce rejet a été confirmé par des décisions de la CNDA du 24 avril 2023, les requérants n'établissent pas, par les pièces produites pour la première fois en appel, encourir des risques réels, personnels et actuels en cas de retour dans leur pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des consorts B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... B..., à Mme A... F... épouse B..., à M. D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Une copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 janvier 2024.

Le rapporteur,

Olivier C... La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX02030


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02030
Date de la décision : 11/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SP AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-11;23bx02030 ?
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