Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2021 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé après l'expiration de ce délai, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n° 2202214 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2022, M. A..., représenté par Me Aboudahab, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 juillet 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 18 novembre 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de trois jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, d'ordonner un renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du Traité sur l'Union européenne ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier pour n'avoir pas mentionné ni pris en compte son mémoire complémentaire ; il méconnaît par suite le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le jugement est irrégulier pour avoir omis de statuer sur son moyen de première instance selon lequel il ne pourrait bénéficier de manière effective d'un traitement approprié au Maroc dès lors qu'il est dépourvu de protection sociale ;
- le jugement est irrégulier pour être insuffisamment motivé ;
- le jugement est irrégulier pour être entaché d'une erreur de droit, d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de fait ;
- le non-renouvellement du titre de séjour d'un ressortissant marocain malade, reconnu handicapé, qui le prive de l'allocation adultes handicapés, est de nature à créer une discrimination contraire à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combiné à l'article 1er de son protocole additionnel, et à l'article 65 de l'accord d'association UE-Maroc qui prohibe la discrimination en matière d'allocation handicapé entre les ressortissantes marocains et les ressortissants des Etats membres de l'UE ; à titre subsidiaire, un renvoi préjudiciel à la CJUE permettrait de statuer sur ce moyen ;
- il justifie de circonstances humanitaires exceptionnelles, au sens de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard de sa double situation de majeur protégé et handicapé à plus de 80% ;
- le préfet a entaché sa décision d'un défaut d'examen de sa situation personnelle au regard de ces dispositions.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas produit de mémoire.
Par une décision du 31 août 2022, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'accord euro-méditerranéen du 26 février 1996 établissant une association entre les communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le royaume du Maroc, d'autre part ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 2011 pris pour son application ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain né en 1975, relève appel du jugement du 7 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 novembre 2021 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé après l'expiration de ce délai, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que, contrairement à ce que soutient M. A..., les premiers juges ont visé le mémoire complémentaire enregistré au greffe du tribunal administratif le 4 mai 2022, avant la clôture automatique de l'instruction. Dès lors, le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'irrégularité sur ce point doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif a écarté comme non fondé le moyen de M. A... selon lequel il ne pourrait pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. La circonstance que le tribunal n'aurait pas répondu à l'argument du requérant tiré de l'absence de protection sociale au Maroc ne saurait faire regarder les premiers juges comme ayant omis de répondre à un moyen ou statué infra petita.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments du requérant mais seulement à ses moyens, a suffisamment motivé son jugement en retenant que M. A... n'établit pas qu'il ne pourrait pas effectivement bénéficier des interventions et soins que nécessite son état de santé. Si le requérant critique encore la motivation du jugement en ce qu'il a retenu au point 5 qu'il n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté et le rejet de son recours gracieux seraient entachés d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'ils le privent des droits ouverts en France aux personnes handicapées par les articles L. 114-1 et L. 114-2 du code de l'action sociale et des familles, le tribunal n'était pas tenu de se prononcer sur ce moyen inopérant, ainsi qu'il résulte du point 13 du présent arrêt. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
5. En quatrième lieu, pour les motifs énoncés aux points précédents, le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant les premiers juges aurait porté atteinte au droit au procès équitable et à l'égalité des armes garantis par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit également être écarté.
6. En dernier lieu, si M. A... reproche aux premiers juges d'avoir dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de droit, une erreur manifeste d'appréciation et une erreur de fait, de tels moyens se rattachent au bien-fondé du jugement attaqué et non à sa régularité.
Sur la légalité de l'arrêté du 18 novembre 2021 :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
8. Pour refuser de renouveler le titre de séjour dont M. A... a bénéficié jusqu'au 3 mars 2021 en raison de son état de santé, le préfet de l'Isère s'est approprié le sens de l'avis rendu le 28 juin 2021 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) estimant que l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourra effectivement y bénéficier d'un traitement approprié.
9. Pour contester cette analyse, le requérant fait état de ce qu'à la suite d'un accident de la route survenu en 2003, il souffre d'une paraplégie post-traumatique spastique justifiant une prise en charge pluridisciplinaire et que son état de santé s'est aggravé, avant l'édiction de l'arrêté attaqué, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges. A l'appui de cette allégation, il produit à hauteur d'appel un certificat médical émanant d'un praticien exerçant dans le service de chirurgie urologique au centre hospitalier de Grenoble selon lequel il présente depuis le mois d'octobre 2021 une dégradation périnéale importante. Si ce certificat daté du 17 octobre 2022 confirme qu'il aura besoin d'autres interventions dans les trimestres à venir, confirmant les éléments déjà produits en première instance, établissant qu'était envisagée en 2022 la pose d'une colostomie, aucun des certificats produits en première instance ou en appel ne permettent en tout état de cause d'établir qu'une telle chirurgie était envisagée à la date de l'arrêté attaqué le 18 novembre 2021, ni qu'elle ne serait pas possible au Maroc. Par ailleurs, ni les allégations du requérant quant à l'absence de couverture sociale au Maroc ni l'attestation d'indigence de membres de la famille de M. A... ne sont de nature à établir que le requérant ne pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié au Maroc, ni d'un suivi médical adapté. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 7 doit être écarté.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Aux termes de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (...) ".
11. La décision contestée a pour objet de refuser à M. A... le renouvellement de son titre de séjour au motif qu'il ne remplit pas les conditions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur le fondement desquelles il avait fondé sa demande, et non de lui refuser l'octroi ou le maintien de l'allocation adulte handicapé. Si la décision contestée a pour conséquence de faire cesser le versement de l'allocation adulte handicapé, la suspension de son droit à ladite allocation ne résulte pas d'une discrimination fondée sur la nationalité de M. A... mais de ce que ce dernier ne satisfait plus aux conditions légales pour résider régulièrement en France. Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à cette convention ne peut être qu'écarté.
12. En troisième lieu, pour les mêmes motifs, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, le requérant ne peut davantage utilement invoquer l'atteinte que porterait l'arrêté contesté au principe de non-discrimination énoncé par les stipulations de l'article 65 l'accord euro-méditerranéen susvisé établissant une association entre les communautés européennes et leurs Etats-membres d'une part, et le Royaume du Maroc d'autre part.
13. En quatrième lieu, pour les motifs énoncés au point 11, alors que le versement de l'allocation pour adulte handicapé ne saurait créer un quelconque droit au séjour, M. A... ne peut pas utilement se prévaloir des dispositions des articles L. 114-1 et L. 114-2 du code de l'action sociale et des familles, à l'encontre de la décision en litige dont la légalité n'est pas subordonnée au respect desdites dispositions.
14. En cinquième lieu, M. A... soutient que les circonstances qu'il est reconnu handicapé à plus de 80%, perçoit l'allocation adultes handicapés, et qu'une curatelle renforcée lui a été attribuée caractérisent des motifs exceptionnels ou considérations humanitaires au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, dès lors que le refus de séjour ne s'est pas prononcé sur l'application de ces dernières dispositions, qui ne constituent pas le fondement de la demande de titre de séjour de M. A..., le moyen tiré de leur méconnaissance est inopérant, alors même qu'il ressort de la motivation de l'arrêté attaqué, que le préfet de l'Isère a relevé l'absence de circonstances humanitaires exceptionnelles caractérisant la situation de l'intéressé. Si le recours gracieux du requérant contre l'arrêté du préfet de l'Isère du 18 novembre 2021 comporte une telle demande, le préfet de l'Isère n'était pas tenu de l'instruire en l'absence de présentation personnelle de M. A... à la préfecture.
15. Il résulte de tout ce qui précède, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
16. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
M. Joël Arnould, premier conseiller,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 janvier 2024.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLa présidente,
Emilie Felmy
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY03056