La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/12/2023 | FRANCE | N°21PA06659

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 28 décembre 2023, 21PA06659


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Paris de réformer la décision du 27 novembre 2019 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a approuvé, après réformation, le compte de campagne de la liste par lui conduite lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 26 mai 2019 en vue des élections des représentants au Parlement européen, et a fixé à 3 374 658 euros le montant du remboursement dû par l'

État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral.



Par un jugement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Paris de réformer la décision du 27 novembre 2019 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a approuvé, après réformation, le compte de campagne de la liste par lui conduite lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 26 mai 2019 en vue des élections des représentants au Parlement européen, et a fixé à 3 374 658 euros le montant du remboursement dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral.

Par un jugement n° 2001649 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à cette demande en fixant le montant du remboursement dû par l'État à la somme de 3 376 758 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 décembre 2021 et un mémoire enregistré le 6 septembre 2023, M. C... F..., représenté par Me Vos, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 2001649 du 28 octobre 2021du tribunal administratif de Paris, en ce qu'il a écarté la somme globale de 175 074 des dépenses présentant un caractère électoral et n'a fixé le montant du remboursement dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral qu'à la somme de 3 376 758 euros, et de fixer le montant dudit remboursement à la somme de 3 551 832 euros, somme à parfaire ;

2°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier, comme insuffisamment motivé, en ce qui concerne la réponse apportée à la demande de réintégration de diverses sommes ;

- les sommes ci-après doivent être réintégrées dans le compte de campagne, comme présentant le caractère de dépenses électorales :

• 12 746 euros et 617 euros, correspondant à des dépenses électorales exposées à l'occasion de déplacements à Rome et à Milan les 29 mars et 18 mai 2019,

• 7 015 euros correspondant à des prestations réalisées par la société Fraconsor, orientées vers les médias étrangers,

• 4 657 euros correspondant à des frais de traduction de documents dans des langues européennes,

• 6 541 euros relative à des intérêts " d'amont " pour plusieurs prêts consentis pour le financement de la campagne,

• 10 520 euros correspondant à des prestations réalisées par la société Epolitic,

• 30 000 euros correspondant à une note d'honoraires de M. G... B...,

• 51 600 euros se rapportant aux prestations de la société Kon Tiki Conseil,

• 51 791 euros correspondant à des primes exceptionnelles et celle de 204 euros, portant sur l'achat de bonnettes de rechange pour des micros pour des réunions électorales.

Par des mémoires en défense enregistrés le 18 mars 2022 et le 3 octobre 2023, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué est nouveau, comme soulevé dans le mémoire enregistré le 6 septembre 2023 et n'a pas été initialement soulevé dans la requête ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976 ;

- la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen ;

- le code électoral ;

- le code des relations entre le public et les administrations ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Diémert,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- les observations de Me Vos, avocat de M. F..., et les observations de Mme A..., pour la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... F... a demandé au tribunal administratif de Paris de réformer la décision du 27 novembre 2019 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a approuvé, après réformation, le compte de campagne de la liste par lui conduite lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 26 mai 2019 en vue des élections des représentants au Parlement européen, et a fixé à 3 374 658 euros le montant du remboursement dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral.

2. Par un jugement du 28 octobre 2021 dont M. F... relève appel devant la Cour, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à sa demande en fixant le montant du remboursement à lui dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral à 3 376 758 euros. Le requérant demande à la Cour de réformer en ce qu'il a écarté la somme globale de 175 074 des dépenses présentant un caractère électoral et n'a fixé le montant du remboursement dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral qu'à la somme de 3 376 758 euros, et de fixer en conséquence le nouveau montant de ce remboursement à la somme de 3 551 832 euros, somme à parfaire.

Sur le cadre juridique du litige :

3. D'une part, aux termes de l'article 10 du traité sur l'Union européenne : " (...) 2. Les citoyens sont directement représentés, au niveau de l'Union, au Parlement européen. / (...) / 4. Les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l'expression de la volonté des citoyens de l'Union. ". L'article 14 du même traité stipule que : " (...) / 2. Le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l'Union. (...). / 3. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans. ". L'article 1er de l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct stipule que : " 1. Dans chaque État membre, les membres du Parlement européen sont élus au scrutin, de liste ou de vote unique transférable, de type proportionnel. / (...) / 3. L'élection se déroule au suffrage universel direct, libre, et secret. " et, selon l'article 8 du même acte : " Sous réserve des dispositions du présent acte, la procédure électorale est régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales. ". L'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule en outre que : " (...) 2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres : / (...) / b) le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen (...) dans l'État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ; (...). ".

4. D'autre part, l'article 2 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen dispose que : " L'élection des représentants au Parlement européen prévue par l'acte annexé à la décision du conseil des communautés européennes en date du 20 septembre 1976 (...) est régie par le titre Ier du livre Ier du code électoral et par les dispositions des chapitres suivants. (...). ". L'article 2-1 de la même loi dispose que : " Les ressortissants d'un État membre de l'Union européenne autre que la France résidant sur le territoire français peuvent participer à l'élection des représentants de la France au Parlement européen dans les mêmes conditions que les électeurs français, sous réserve des modalités particulières prévues, en ce qui les concerne, par la présente loi. ". En vertu de l'article 19-1 de la même loi, le plafond des dépenses électorales pour une liste de candidats à l'élection des représentants au Parlement européen est fixé à 9 200 000 euros, et son article 19-2 dispose en outre que : " L'obligation de dépôt du compte de campagne s'impose à toutes les listes de candidats. Pour l'application de l'article L. 52-12 du code électoral, chaque compte de campagne comporte en annexe une présentation détaillée des dépenses exposées par chacun des partis et groupements politiques qui ont été créés en vue d'apporter un soutien à la liste de candidats ou qui lui apportent leur soutien ainsi que des avantages directs ou indirects, prestations de services et dons en nature fournis par ces partis et groupements. L'intégralité de cette annexe est publiée avec le compte de campagne, selon les mêmes modalités. Les partis et groupements politiques mentionnés au présent article communiquent à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à sa demande, les pièces comptables et les justificatifs nécessaires pour apprécier l'exactitude de cette annexe. ".

5. Enfin, sont applicables au présent litige, en vertu des articles 2 et 19-1 précités de la loi du 7 juillet 1997, les dispositions ci-après citées du chapitre V bis " Financement et plafonnement des dépenses électorales " du code électoral. L'article L. 52-15 de ce code, dans sa rédaction antérieure à sa modification par la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019, dispose que : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1 ". L'article L. 52-12 du même code dispose que : " Chaque (...) candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4 (...) Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l'accord de celui-ci, par les personnes physiques qui lui apportent leur soutien, ainsi que par les partis et groupements politiques qui ont été créés en vue de lui apporter leur soutien ou qui lui apportent leur soutien (...) Le compte de campagne doit être en équilibre ou excédentaire et ne peut présenter un déficit ". En application de ces dispositions, les dépenses mentionnées à l'article L. 52-12 du code électoral ont pour finalité l'obtention des suffrages des électeurs. Il appartient au juge de se prononcer sur le droit au remboursement du candidat et de réformer le cas échéant son compte de campagne, en arrêtant le montant du remboursement auquel le candidat peut prétendre de la part de l'État.

Sur la régularité du jugement attaqué :

6. Le requérant soutient que jugement attaqué est irrégulier, comme insuffisamment motivé, en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative, pour ce qui concerne la réponse apportée par les premiers juges à la demande de réintégration des sommes afférentes à des frais de traduction de documents dans des langues européennes (en l'espèce, en allemand et en italien), pour un montant de 4 657 euros, et au versement aux salariés de l'équipe de campagne primes exceptionnelles pour un montant de 51 791 euros.

7. Comme le relève la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la requête ne comportait aucun moyen articulé à l'encontre de la régularité du jugement attaqué, et le présent moyen n'a été soulevé par le requérant que dans son mémoire présenté le 6 septembre 2023, soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux. Relevant ainsi d'une cause juridique distincte de celle des moyens de la requête, il est donc irrecevable. En tout état de cause, il manque également en fait, dès lors que les premiers juges, après avoir cité les dispositions de l'article L. 52-12 du code électoral et rappelé que les dépenses inscrites au compte de campagne doivent avoir pour finalité l'obtention des suffrages des électeurs, pouvaient régulièrement écarter certaines dépenses en se bornant à relever qu'elles n'avaient pas eu cette finalité. Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'exclusion de la somme de 12 746 euros et de celle de 617 euros, correspondant à des dépenses exposées à l'occasion de déplacements à Rome et à Milan les 29 mars et 18 mai 2019 :

8. Si la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a admis certaines dépenses afférentes à des déplacements à Rome et à Milan les 29 mars et 18 mai 2019, estimant qu'elles avaient revêtu un " effet utile en vue de l'élection ", elle a néanmoins écarté d'autres, pour des montants de 12 746 euros et de 617 euros dont M. F... demande la réintégration dans son compte de campagne.

9. En premier lieu, M. F... soutient que la décision du 27 novembre 2019 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est insuffisamment motivée et que la règle du contradictoire énoncée à l'article L. 52-15 du code électoral a été méconnue, dès lors que la commission ne lui a pas clairement fait connaître le montant et la nature des dépenses litigieuses.

10. D'une part, l'acte par lequel la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques réforme un compte de campagne et fixe le montant du remboursement forfaitaire n'a pas le caractère d'une décision au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et les administrations relatif à la motivation des décisions administratives. Le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision 27 novembre 2019 est donc inopérant et ne peut qu'être rejeté.

11. D'autre part, la procédure d'examen du compte de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques revêtant, en vertu de l'article L. 52-15 du code électoral, un caractère contradictoire, il incombe à cette commission d'informer les candidats des motifs pour lesquels elle envisage de rejeter ou de réformer leur compte.

12. Alors qu'il appartient au candidat d'apporter les pièces justifiant du caractère électoral des dépenses qu'il a inscrit à son compte de campagne, la commission justifie, en l'espèce, lui avoir adressé le 27 septembre 2019 un courrier l'invitant à présenter des observations en réponse aux interrogations relatives à ses dépenses à l'étranger. Ce courrier était accompagné d'un tableau Excel dont les lignes 126 à 148 mentionnent les dépenses concernées et indiquent précisément le motif pour lequel elles étaient susceptibles d'être remises en cause. Les observations de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques étaient ainsi suffisamment précises et permettaient au candidat de présenter utilement ses observations, et la commission a au demeurant, après avoir recueilli les justificatifs produits par le candidat concernant des déplacements à Rome et Milan, admis près des deux tiers des dépenses exposées à l'étranger. Le moyen tiré d'une méconnaissance de la procédure contradictoire prévue par l'article L. 52-15 du code électoral manque ainsi en fait.

13. En second lieu, s'agissant du caractère électoral des dépenses en cause, sont seules en litige ici des dépenses afférentes à " des déplacements effectués à Genève, Prague, Copenhague, Vienne, Sofia, Tallin et Bruxelles, notamment par la présidente du Rassemblement national ".

14. Relativement à ces dépenses, le requérant produit deux articles de quotidiens de la presse nationale, un article du 17 mai 2019 et du 26 avril 2019. L'article du 17 mai 2019 évoque principalement des meetings tenus à Milan et Rome, dont les dépenses ont été admises, mais évoque également les déplacements en Europe de Mme E... D... : " Bruxelles, Prague, Vienne, Copenhague, Sofia, Bratislava, Riga, Tallinn... E... D... a, elle, parcouru l'Europe pour cette campagne à la recherche d'alliés afin de former un groupe le plus étoffé possible au Parlement européen ". Ces dépenses, exposées pour la recherche d'alliés politiques, ne peuvent être regardés comme dirigées vers l'obtention du suffrage des électeurs. En revanche, le second article de presse fait état d'un meeting tenu à Prague le 26 avril 2019, par Mme D... et par d'autres dirigeants de partis européens : " Le Rassemblement national (RN) poursuit une double campagne : une en France, une sur le front européen. E... D... veut montrer que le RN n'est pas isolé en Europe, qu'il pourrait potentiellement peser demain au Parlement européen. Avec leurs alliés, ils espèrent former un grand groupe eurosceptique au lendemain du scrutin ". Ce meeting s'étant tenu devant des militants et ayant eu des échos en France, les dépenses exposées à cette occasion, alors que Mme D... était candidate sur la liste menée par M. F..., peuvent être regardées comme ayant eu pour objet d'obtenir le suffrage des électeurs. Toutefois, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques établit que ces dépenses n'ont pas à être intégrées au compte de campagne, dès lors que la ligne 132 du tableau Excel susmentionné concerne une dépense de 1 584,47 euros correspondant à des frais de voyage du photographe de l'équipe de campagne comportant une escale à Copenhague, dont il n'est pas justifié de l'utilité.

15. Par ailleurs, si la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, qui a admis les dépenses correspondant à des déplacements en Italie, ne conteste pas le principe des dépenses exposées à l'étranger à l'occasion des élections européennes, mais relève qu'en l'espèce leur justification n'est pas établie, le requérant n'apporte, à l'exception du déplacement à Prague susmentionné, aucun élément relatif à la tenue de réunions publiques à l'occasion des déplacements en cause ou à la médiatisation de rencontres avec des dirigeants d'autres partis dans le cadre de la campagne électorale. En l'absence de ces justifications, il n'y a pas lieu de remettre en cause, sur ce point, la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques telle que confirmée par les premiers juges.

16. Enfin, il résulte de l'instruction, qu'à l'occasion d'un déplacement entre Paris et Milan les 17 et 19 mai 2019, des billets d'avion ont été achetés en double pour trois colistiers. Dans ces conditions, en l'absence d'explication apportée par le candidat sur ce point, la dépense afférente a pu être retranchée à bon droit du compte de campagne.

17. Le requérant n'est donc pas fondé à demander la réintégration dans son compte de campagne des deux sommes de 12 746 euros et de 617 euros.

Sur l'exclusion de la somme de 7 015 euros correspondant à des prestations réalisées par la société Fraconsor, orientées vers les médias étrangers :

18. M. F... conteste la réintégration par les premiers juges d'un montant limité à 2 100 euros, sur la somme de 9 115 euros correspondant à des prestations réalisées par la société Fraconsor, orientées vers les médias étrangers. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques fait valoir que les dépenses dont s'agit avaient en réalité pour objet de promouvoir l'image de la présidente du Rassemblement national qui, bien que candidate, se trouvait en soixante-dix-huitième position sur la liste menée par le requérant et, en outre, que leur facturation forfaitaire fait obstacle à leur prise en compte.

19. D'une part, quand bien même elles contribueraient également à la promotion du dirigeant d'un parti politique, des dépenses effectivement exposées au cours de la campagne électorale au profit de la liste sur laquelle ce dirigeant est lui-même candidat ne peuvent être utilement distinguées, sauf circonstances particulières, de celles engagées en vue de l'élection.

20. D'autre part, la facturation forfaitaire des dépenses en cause ne saurait par elle-même faire obstacle à leur réintégration dans le compte de campagne, dès lors que le candidat a produit, à la demande de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, une présentation précise et détaillée de leur contenu.

21. Il s'ensuit que M. F... est fondé à demander que soient réintégrée dans son compte de campagne la somme de 7 015 euros.

Sur l'exclusion de la somme de 4 657 euros correspondant à des frais de traduction de documents dans des langues européennes :

22. Ainsi qu'il résulte des textes cités aux points 3 et 4, d'une part, le corps électoral appelés à élire les représentants français au Parlement européenne est notamment composé des citoyens français résidant dans un pays de l'Union autre que la France, et des citoyens d'autres États membres inscrits sur la liste électorale spéciale établie en France et, d'autre part, que les candidats au Parlement européen, appelés, en cas d'élection, à siéger dans des groupes composés d'élus de diverses nationalités, sont évidemment amenés à mener une campagne commune ou à tout le moins coordonnée avec d'autres partis politiques au niveau européen. Par ailleurs, les dispositions de l'article 2 de la Constitution, aux termes duquel " La langue de la République est le français " ne sont en tout état de cause pas applicables aux candidats à l'élection en France des représentants au Parlement européen et ne sauraient avoir pour effet, par elles-mêmes, d'interdire la prise en compte, au titre des dépenses engagées en vue de l'élection, de frais de traduction dans l'une des langues d'un État de l'union de documents de propagande électorale. Il s'ensuit que de telles dépenses sont en principe éligibles à l'intégration dans le compte de campagne des candidats.

23. Le requérant soutient que la somme de 4 657 euros correspondant à des frais de traduction du " projet européen " du Rassemblement national en anglais et celle du " programme 2019 " du parti en allemand et en italien a pu contribuer à faire connaître, notamment en déclenchant la parution d'articles de presse, le programme politique de la liste qu'il conduisait auprès des citoyens de l'Union européenne s'informant dans la presse de leur pays d'accueil, et avait ainsi pour objet de solliciter le suffrage des électeurs.

24. Dès lors que, d'une part, il ne revient pas au juge administratif d'apprécier l'opportunité d'une telle dépense, et que, d'autre part, il ne résulte, en tout état de cause, pas de l'instruction que cette dépense n'aurait pas été suivie d'effets, le requérant est fondé à soutenir qu'elle doit être réintégrée dans son compte de campagne.

Sur l'exclusion de la somme de de 6 541 euros relative à des intérêts " d'amont " pour plusieurs prêts consentis pour le financement de la campagne :

25. Il résulte de l'instruction que M. F... a conclu des conventions de prêt avec huit-cent soixante particuliers, personnes physiques, pour des périodes s'échelonnant du 11 février 2019 au 26 février 2020, qui prévoyaient le versement d'intérêts précomptés pour les périodes antérieures aux versements. Le requérant soutient que ces conditions contractuelles particulières, fondées sur la liberté des parties au contrat, trouvent leur origine dans les difficultés rencontrées auprès des établissements bancaires pour financer la campagne électorale qui l'ont conduit à se tourner vers des prêteurs sympathisants. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques se borne à faire valoir qu'elle ne saurait admettre une pratique qu'elle a antérieurement refusée.

26. Pour l'application des dispositions de l'article L. 52-11-1 du code électoral, les intérêts des emprunts souscrits par les candidats pour financer leur campagne sont des "dépenses électorales" qui peuvent être prises en compte pour le calcul du remboursement forfaitaire de l'État, sous réserve que la réalité et la sincérité de l'emprunt soient établies, que son montant ne dépasse pas les besoins du candidat pour le financement de la campagne, que son taux corresponde aux conditions du marché et qu'il ait été souscrit pour une durée ne dépassant pas le délai raisonnablement prévisible d'intervention du remboursement par l'État, mais sans qu'il y ait lieu de ne prendre en compte que les intérêts échus avant la date limite de dépôt du compte de campagne.

27. Dans les circonstances particulières de l'espèce, et alors, que d'une part, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ne démontre pas que le versement des intérêts en cause excèderait les conditions du marché et que, d'autre part, le montant de la somme en cause, rapporté au nombre des prêteurs, ne saurait constituer un enrichissement personnel de nature à porter atteinte au principe de la sincérité des emprunts rappelé au point précédent, M. F... est fondé à soutenir que le montant de ces intérêts précomptés constitue une dépense de nature électorale qui doit être réintégrée dans son compte de campagne.

Sur l'exclusion de la somme de de 10 520 euros correspondant à des prestations réalisées par la société Epolitic :

28. Il appartient à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, en application de l'article L. 52-15 de ce code et sous le contrôle du juge, de relever les irrégularités éventuelles des dépenses facturées aux candidats tenant, notamment, à l'inexistence des prestations ou à leur surévaluation et de réformer en conséquence les comptes de campagne dont elle est saisie.

29. Il résulte de l'instruction que l'association de financement électorale a conclu avec la société E-politic plusieurs contrats relatifs notamment à la gestion de quatre sites Internet durant la campagne et à deux opérations de prospection par voie électronique (" mailing "). Après avoir demandé des justificatifs sur les prestations fournies par cette société, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a estimé, s'agissant de la gestion des sites Internet, que le montant facturé était excessif au regard du nombre de jours travaillés et des tarifs journaliers appliqués et, s'agissant des prestations de mailing pour lesquelles elle a obtenu une copie des factures du prestataire d'amont, que la marge de la société E-politic sur les prestations qu'elle refacturait à l'association de financement de la compagne électorale de M. F... était excessive. Elle a en conséquence écarté une somme de 10 520 euros des dépenses.

30. S'agissant des prestations de gestion de sites Internet, le requérant soutient que la surfacturation s'explique par la période électorale qui génère, pour un prestataire spécialisé dans la communication politique, un surcroît d'activités et donc des coûts supplémentaires notamment en raison de l'embauche de salariés en contrats à durée déterminée. Toutefois, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a, en l'espèce déterminé le montant de la surfacturation critiquée à partir des documents contractuels produits par le candidat et par la société E-politic. Dès lors, elle était fondée à n'admettre la facture qu'à hauteur de ces engagements contractuels.

31. S'agissant des prestations de " mailing ", le requérant soutient qu'une marge commerciale de 22,9 % n'est pas injustifiée. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques s'est toutefois fondée, pour retenir un taux de 5 %, sur un courriel du " managing partner " de la société prestataire indiquant que les prestations de " mailing " étaient refacturées avec une marge commerciale de 5%. Il y a donc lieu de confirmer l'appréciation portée par les premiers juges sur ce chef de dépense.

Sur l'exclusion de la somme de 30 000 euros correspondant à une note d'honoraires de M. G... B... :

32. M. G... B... a travaillé en qualité de trésorier de l'association de financement électoral à hauteur de 75% et était à ce titre salarié de la formation politique. Il a également présenté, en janvier 2019, une convention d'honoraires de 30 000 euros pour des prestations complémentaires de conseil et de service. Cette seconde somme a été remise en cause par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

33. Si, devant la Cour, le requérant dresse une liste des prestations qui auraient été réalisées par M. B... en sus de son activité de trésorier, il ne résulte pas de l'instruction, et alors que l'association de financement a également rémunéré un expert-comptable, que l'intéressé aurait réalisé des prestations supplémentaires suffisamment identifiées, ou même simplement établies, et se distinguant de sa mission de mandataire, qui répondraient effectivement à une finalité électorale. Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause, sur ce point l'appréciation portée par les premiers juges.

En ce qui concerne l'exclusion de la somme de de 51 600 euros se rapportant aux prestations de la société Kon Tiki Conseil :

34. Il résulte de l'instruction que l'association de financement électoral a signé, le 4 mars 2019, un contrat avec la société Kon Tiki Conseil ayant pour objet la définition d'une stratégie médiatique pour M. F... sur la période du 7 janvier 2019 au 24 mai 2019. Le requérant produit une facture détaillant les prestations accomplies par la société, à savoir notamment l'élaboration d'un plan de communication pour le lancement de la campagne, la répétition de discours, l'élaboration d'un planning de rencontres avec les médias et des séances de " coaching " du candidat tête de liste. Les pièces apportées par le candidat, et notamment les factures et attestation par la société Kon Tiki Conseil, qui ne sont pas assorties de justificatifs suffisamment probants, ne sont pas de nature à établir, à elles-seules, la réalité même de la prestation réalisée par cette société et, en outre, ne permettent pas de différencier des autres prestations celles relevant du " coaching " et du " média-training ", qui doivent, ainsi que le fait valoir la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, être regardées comme des dépenses personnelles et non comme des dépenses électorales. Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause, sur ce point l'appréciation portée par les premiers juges.

En ce qui concerne l'exclusion de la somme de 51 791 euros correspondant à des primes exceptionnelles versées à certains salariés de la campagne :

35. Il résulte de l'instruction que des primes exceptionnelles ont été versées à vingt-quatre salariés de la campagne électorale, pour un montant de 51 791 euros, charges comprises, en sus de la rémunération prévue par les contrats de travail afin, selon le candidat, de récompenser les efforts intéressés.

36. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques fait valoir que l'attribution de ces primes présente un caractère discrétionnaire, et relève qu'une salariée du Rassemblement national, qui a été affectée à la campagne alors qu'elle était en arrêt maladie pendant deux mois puis à mi-temps thérapeutique pendant deux mois, en a néanmoins bénéficié.

37. Ni la circonstance que le versement de ces primes n'était pas prévue par le contrat de travail des membres salariés de l'équipe de campagne, ni l'absence d'explications précises sur les modalités de leur répartition entre certains d'entre eux, qui relève au demeurant de la seule appréciation de l'employeur, ne sont par elles-mêmes de nature à exclure le caractère électoral de la dépense y afférente, dès lors que les montants en cause demeurent raisonnables et qu'ils bénéficient à des salariés ayant effectivement participé à la campagne. Le requérant est donc fondé, en principe, à demander la réintégration de la dépense dont s'agit dans son compte de campagne.

38. Toutefois, alors que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a elle-même retranché, dans sa décision du 27 novembre 2019, une somme correspondant à la rémunération d'une salariée en congé-maladie pour une période de deux mois à temps complet et deux mois à mi-temps, il y a lieu, en conséquence, de retrancher de la somme de 51 791 euros réclamée le montant de la prime versée à l'intéressée, soit 3 049 euros charges comprises.

39. Il s'ensuit que le requérant est seulement fondé à réclamer la réintégration dans son compte de campagne, au titre des primes exceptionnelles versées à certains salariés, de la somme de 48 742 euros.

En ce qui concerne l'exclusion de la somme de 204 euros portant sur l'achat de bonnettes de rechange pour des micros :

40. Il ne résulte pas de l'instruction, en l'absence de précisions apportées par le candidat, que l'achat, le 22 mai 2019, soit quatre jours avant le scrutin, de quatre bonnettes de rechange de velours pour des micros, réponde à une finalité électorale, malgré leur livraison à l'adresse de l'équipe de campagne, alors que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques fait valoir qu'un tel équipement s'utilise en principe pendant trois ans. Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause, sur ce point l'appréciation portée par les premiers juges.

Sur le solde du compte de campagne :

41. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... est fondé à demander que soient réintégrées dans son compte de campagne les sommes suivantes : 7 015 euros (des prestations réalisées par la société Fraconsor, orientées vers les médias étrangers), 4 657 euros (frais de traduction de documents dans des langues européennes), 6 541 euros (intérêts " d'amont " pour plusieurs prêts consentis pour le financement de la campagne), 48 742 euros (primes exceptionnelles versées à certains salariés de la campagne), soit la somme totale de 66 955 euros, qu'il y a lieu d'ajouter en recettes, en dépenses et en apport personnel du candidat dans le compte de campagne établi par le jugement attaqué.

42. Après réintégration de cette somme, le compte de campagne s'établit comme suit à 3 516 438 euros en dépenses et à 3 898 577euros en recettes, soit un excédent de 382 139 euros. En outre, le montant de l'apport personnel de M. F... s'élève désormais à 3 825 852 euros. Le requérant, dont la liste a obtenu plus de 3 % des suffrages exprimés, a droit, en application des articles L. 52-11-1 du code électoral et 19-1 de la loi du 7 juillet 1977 susvisée, à un remboursement forfaitaire dont le montant est égal au moins élevé des trois montants suivants : 47,5% du plafond légal des dépenses, soit 4 370 000 euros, le montant des dépenses de caractère électoral, soit à 3 516 438 euros ou le montant de son apport personnel diminué de l'excédent de compte, soit 3 443 713 euros. Dans ses circonstances, le montant du remboursement forfaitaire auquel M. F... a droit en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral est fixé à 3 443 713 euros.

Sur les frais du litige :

43. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État le versement à M. F... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le compte de campagne de M. C... F..., déposé au titre de l'élection des représentants français au Parlement européen organisée le 26 mai 2019, est modifié conformément au point 42 du présent arrêt.

Article 2 : Le montant du remboursement forfaitaire auquel M. C... F... a droit en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral est fixé à 3 443 713 euros.

Article 3 : Le jugement n° 2001649 du 28 octobre 2021 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2 du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à M. C... F... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F... et à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 décembre 2023.

Le rapporteur,

S. DIÉMERTLe président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA06659


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA06659
Date de la décision : 28/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : DASSA-LE DEIST

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-28;21pa06659 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award