Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Aéroports de Paris a demandé au Conseil d'État d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de la Seine-Saint-Denis publiée le 14 décembre 2018 au bulletin d'information administrative de la préfecture de la Seine-Saint-Denis.
Par une ordonnance n° 427866 du 4 mars 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a transmis la requête présentée par la SA Aéroports de Paris au tribunal administratif de Montreuil.
Par un jugement n° 1902627 du 19 avril 2019, le tribunal administratif de Montreuil a admis l'intervention de la commune de Tremblay-en-France, n'a pas admis l'intervention de l'établissement public territorial Paris Terres d'Envol et a rejeté la demande de la SA Aéroports de Paris.
Par un arrêt n° 19VE02206 du 14 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles, saisie par la SA Aéroports de Paris d'un appel contre ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de la Seine-Saint-Denis, contestée en ce qu'elle assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France, a, après avoir admis les interventions de la commune de Tremblay-en-France et de l'établissement public territorial Paris Terres d'Envol, annulé ce jugement et, statuant par la voie de l'évocation, a rejeté la demande de la SA Aéroports de Paris.
Par un arrêt n° 461428 du 5 décembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'article 3 de cet arrêt en tant qu'il rejette la demande de la société ADP dirigée contre la décision attaquée en tant qu'elle assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France et renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 juin 2019, 9 octobre et 30 décembre 2020 et, après cassation, des mémoires enregistrés les 7 juin, 21 septembre, 2 octobre et 7 novembre 2023, la SA Aéroports de Paris, représentée par Me Bussac, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué ;
2°) d'annuler la décision attaquée en tant qu'elle fixe un coefficient de localisation de 1,3 pour la section BI de la commune de Tremblay-en-France ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il omet de répondre au moyen tiré de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation économique et des niveaux locatifs de la section BI de la commune de Tremblay-en-France tel que formulé en page 6 de son mémoire enregistré le 10 avril 2019 au greffe du tribunal ; son mémoire du 12 avril suivant n'a d'ailleurs ni été visé, ni été analysé par les premiers juges ; le tribunal ne motive pas les raisons pour lesquelles les parcelles de la section BI seraient dans une situation plus favorable que les autres parcelles du secteur 6 composant l'emprise aéroportuaire, moyen auquel il n'est pas répondu ; il aurait, à cet égard, dû rechercher si toutes les parcelles du secteur 6 n'étaient pas placées dans la même situation que celles de la section BI au regard des infrastructures aéroportuaires ; le tribunal a également insuffisamment motivé son jugement en déduisant de l'absence de précision, par la commission intercommunale des impôts directs (CIID) de Paris Terres d'Envol, des coefficients de localisation à appliquer aux parcelles de la section BI, en 2015, un oubli de sa part et rendu un jugement dépourvu de base légale en instituant une " présomption d'absence de délibération " ; il a également, de ce fait, omis de statuer sur le moyen selon lequel les commissions départementales des valeurs locatives des locaux professionnels (CDVLLP) n'ont pas la faculté de modifier les coefficients de localisation en l'absence d'évolution concrète de la situation de la parcelle par rapport à sa situation préexistante au 1er janvier de l'année précédente ;
- les procès-verbaux de la CIID de Paris Terres d'Envol et de la CDVLLP comportent une motivation très générale du coefficient 1,3 défini à la section BI de la commune de Tremblay-en-France ;
- l'administration fiscale n'établit pas que la CDVLLP a disposé des informations suffisantes pour se prononcer en connaissance de cause ;
- la fixation du coefficient à 1,3 pour la section BI de la commune de Tremblay-en-France est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 1498 du code général des impôts, méconnaît les dispositions du premier alinéa du 2 du B du II de cet article et méconnaît l'objectif de ce dernier ainsi que celui de renforcer l'adéquation entre les impositions en cause et les capacités contributives de leurs redevables résultant d'une décision SARL Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan du Conseil d'Etat du 27 mars 2019 (n° 427758), dès lors, d'une part, que le procès-verbal du 9 novembre 2018 a modifié ce coefficient en l'absence de changement de circonstances susceptibles d'avoir entraîné une modification de la " valeur locative réelle " des locaux depuis le 1er janvier 2013 et les " tarifs 2017 " et, d'autre part, que l'application de tarifs majorés par le coefficient 1,30 est sans rapport avec les loyers moyens constatés dans le secteur d'évaluation pour chaque catégorie de propriétés concernées ; s'agissant du premier point, le fait qu'aucun coefficient n'ait été fixé antérieurement équivaut, en réalité, à l'application d'un coefficient de 1 et ne saurait traduire que la commission n'aurait pas rempli son office ; une " présomption d'absence de délibération " qui permettrait la fixation ultérieure de coefficient de localisation fausserait la mécanique de la révision des valeurs locatives telle que prévue par le législateur avec ses trois mesures d'accompagnement (coefficient de neutralisation, mécanisme de lissage et mécanisme du plafonnement) ; aucun changement de situation n'est intervenu en ce qui concerne la section BI ; s'agissant du second point, la section BI ne se trouve pas dans une situation particulière au sein du secteur 6 ; l'application du coefficient contesté fait double emploi avec les tarifs du secteur d'évaluation, la proximité d'installations étant d'ores et déjà prise en compte pour la détermination de la valeur locative des biens de ce secteur.
Elle soutient également, après cassation, que :
- la décision attaquée méconnaît les dispositions du quatrième alinéa du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts, dès lors qu'elle vise globalement la section BI et non les parcelles qui la constituent ;
- ces dispositions, qui fondent cette décision, méconnaissent le principe de non-discrimination énoncé par les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, dès lors qu'elles instituent une discrimination injustifiée au regard des buts poursuivis par le législateur, en ce qu'elles distinguent entre un contribuable dont le local peut être placé dans une situation particulière au sein du secteur et un contribuable dont le local serait situé sur la même parcelle affectée du coefficient de localisation, mais qui relève d'une catégorie dont le tarif aurait été fixé à partir des loyers de biens situés sur cette même parcelle ou qui relève d'une catégorie dont la valeur locative est insensible aux circonstances ayant conduit à l'adoption du coefficient de localisation ;
- la décision attaquée est entachée de détournement de pouvoir, dès lors que son objectif réel est de contrecarrer les effets des coefficients de neutralisation, qui conduisent à des écarts de tarifs entre les autres communes de la Seine-Saint-Denis et la commune de Tremblay-en-France au détriment de celle-ci.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 décembre 2019, 16 décembre 2020 et, après cassation, les 3 mai, 11 octobre, 13 octobre et 24 novembre 2023, le dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête présentée par la SA Aéroports de Paris ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 11 octobre 2019, et, après cassation, les 7 juin, 21 septembre et 3 novembre 2023, l'établissement public territorial Paris Terres d'Envol, représenté par Me Cabanes, avocat, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- son intervention est recevable ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 16 septembre 2019, et, après cassation, les 7 juin, 21 septembre, 3 novembre et 21 novembre 2023, la commune de Tremblay-en-France, représentée par Me Peru, avocat, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- son intervention est recevable ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire distinct enregistré le 20 juin 2023 et un mémoire enregistré le 21 septembre 2023, la SA Aéroports de Paris demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du quatrième alinéa du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts.
Il soutient que :
- ces dispositions méconnaissent l'article 34 de la Constitution ;
- elles portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en raison de l'imprécision de son champ d'application, qui a pour conséquence d'appliquer à des locaux qui ne sont pas affectés de la même manière par leur situation géographique un même coefficient de localisation.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité ne soit pas transmise.
Il fait valoir que la question posée ne présente pas de caractère sérieux.
Par un mémoire en intervention enregistré le 21 juillet 2023, l'établissement public territorial Paris Terres d'Envol, représenté par Me Cabanes, avocat, conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité ne soit pas transmise.
Il fait valoir que la question posée ne présente pas de caractère sérieux.
Des pièces ont également été produites par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en réponse à une mesure d'instruction et enregistrées le 11 octobre 2023.
Des pièces ont également été produites par la commune de Tremblay-en-France en réponse à cette mesure d'instruction et enregistrées le 3 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tar,
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,
- les observations de Me Bussac, pour la SA Aéroports de Paris, de Me Pasquio, pour la commune de Tremblay-en-France et de Me Dreyfus, pour l'établissement public territorial Paris Terres d'Envol.
Une note en délibéré, présentée pour la commune de Tremblay-en-France, a été enregistrée le 14 décembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 9 novembre 2018, la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de la Seine-Saint-Denis a fixé, après avis de la commission intercommunale des impôts directs de l'établissement public territorial Paris Terres d'Envol, la liste des parcelles affectées d'un nouveau coefficient de localisation à prendre en compte pour la mise à jour permanente des valeurs locatives révisées des locaux professionnels, au titre du II de l'article 1518 ter du code général des impôts. Par jugement du 19 avril 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société anonyme Aéroports de Paris (SA ADP) d'annulation de cette décision. Par un arrêt du 14 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement et a rejeté la demande de la SA ADP. Par une décision du 5 décembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'article 3 de cet arrêt en tant qu'il rejette la demande de la SA ADP dirigée contre la décision attaquée en tant qu'elle assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.
Sur le cadre juridique applicable :
2. Aux termes du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts : " (...) Les tarifs par mètre carré peuvent être majorés de 1,1, 1,15, 1,2 ou 1,3 ou minorés de 0,7,0,8, 0,85 ou 0,9, par application d'un coefficient de localisation destiné à tenir compte de la situation particulière de la parcelle d'assise de la propriété au sein du secteur d'évaluation. "
3. Le premier alinéa du II de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, repris, à compter du 1er janvier 2018, au second alinéa du I de l'article 1498 du code général des impôts, prévoit que la valeur locative des propriétés bâties est déterminée en fonction de l'état du marché locatif ou, à défaut, par référence aux autres critères prévus par cet article et qu'elle tient compte de la nature, de la destination, de l'utilisation, des caractéristiques physiques, de la situation et de la consistance de la propriété ou fraction de propriété considérée.
4. En prévoyant, par l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, de nouvelles modalités de détermination et de révision de la valeur locative cadastrale des locaux professionnels, en vue de l'établissement des impositions directes locales, le législateur a entendu fonder l'assiette des impositions frappant les propriétés bâties ayant un usage professionnel, jusque-là fixée par référence aux conditions du marché locatif au 1er janvier 1970, sur leur valeur locative réelle et renforcer ainsi l'adéquation entre ces impositions et les capacités contributives de leurs redevables.
5. À cette fin, le législateur a prévu la constitution de secteurs d'évaluation regroupant les communes ou parties de communes qui, dans chaque département, présentent un marché locatif homogène et le classement des locaux professionnels par sous-groupes, définis en fonction de leur nature et de leur destination et, à l'intérieur de ces sous-groupes, par catégories, en fonction de leur utilisation et de leurs caractéristiques physiques. Il a également prévu la fixation, dans chaque secteur d'évaluation, de tarifs par mètre carré déterminés à partir des loyers moyens constatés par catégorie de propriétés. La valeur locative de chaque propriété bâtie est obtenue par application à sa surface pondérée du tarif par mètre carré correspondant à sa catégorie, modulé, le cas échéant, par l'application d'un coefficient de localisation de 0,7, 0,8, 0,85, 0,9, 1,1, 1,15, 1,2 ou 1,3, destiné, en vertu du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts, à tenir compte de la situation particulière de la parcelle d'assise de la propriété au sein du secteur d'évaluation.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
6. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".
7. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel (...) ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État (...). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure (...) ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. (...) ".
8. Pour demander, par un mémoire distinct, que soit transmise au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions précitées du quatrième alinéa du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts, la SA ADP soutient que ces dispositions méconnaissent l'article 34 de la Constitution et les dispositions des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en raison de l'imprécision de leur champ d'application.
9. Les dispositions du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts ont pour objet de permettre, à l'intérieur d'un secteur d'évaluation délimitant un marché locatif homogène, de tenir compte de la situation particulière, résultant de facteurs uniquement géographiques, d'une ou de plusieurs parcelles d'assise au sein desquelles la valeur locative est augmentée ou diminuée, de manière homogène ou équivalente pour toutes les parcelles, de telle sorte que l'effet de ces facteurs sur l'évaluation de la valeur locative des biens qui s'y trouvent peut être appréhendée par l'application d'un coefficient unique dénommé coefficient de localisation.
10. La SA ADP soutient qu'en prévoyant un coefficient de localisation qui s'applique uniformément à toutes les catégories de locaux professionnels présents sur la ou les parcelles dont il s'agit, sans qu'aucune distinction puisse être faites entre elles, ces dispositions méconnaissent tant le principe d'égalité devant la loi fiscale que le principe d'égalité devant les charges publiques. La société requérante précise que l'absence de modulation, dans les hypothèses où le tarif d'un local aurait été fixé à partir des loyers de biens situés sur les parcelles affectées du coefficient ou bien où la situation locative de certaines catégories d'activités présentes sur la parcelle serait indifférente aux circonstances ayant conduit à l'adoption du coefficient de localisation, méconnait ces principes.
11. Si des locaux professionnels relevant de catégories différentes se voient affecter le même coefficient eu égard à la situation géographique de la parcelle sur laquelle ils se situent, cette circonstance vise précisément à préserver l'égalité devant la loi, dès lors qu'à des situations semblables, telle que celles de locaux situés sur une même parcelle, il est fait application d'un traitement identique, par l'application du même coefficient de localisation. La société requérante n'est pas fondée à se prévaloir d'une rupture d'égalité entre les locaux d'une même catégorie situés sur des parcelles différentes, dès lors que c'est seulement lorsqu'une parcelle présente une situation particulière au sein de son secteur d'évaluation qu'un coefficient de localisation peut être appliqué. La différence de traitement ainsi relevée ne résulte pas des dispositions précitées du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts mais de l'adéquation entre, d'une part, la délimitation des parcelles dont il s'agit et le coefficient de localisation appliqué et, d'autre part, les facteurs géographiques de localisation caractérisant la situation particulière censée correspondre au coefficient de localisation. Si la SA ADP affirme que la définition du champ d'application géographique du coefficient de localisation est inséparable des dispositions litigieuses, la délimitation des parcelles affectées d'un même coefficient de localisation se fait sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qui est en mesure de vérifier la pertinence de l'application d'un coefficient de localisation. Il s'ensuit que les dispositions contestées ne portent pas atteinte, par elles-mêmes, aux principes d'égalité devant la loi et les charges publiques.
12. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Ce grief ne peut qu'être écarté dès lors qu'à l'appui de son grief tiré de l'incompétence négative du législateur, la société ADP n'invoque aucun autre droit ou liberté garanti par la Constitution que le principe d'égalité.
13. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée par la SA ADP est dépourvue de caractère sérieux. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres conditions exigées par les dispositions organiques précitées, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.
Sur la légalité de la décision attaquée :
14. La SA ADP soutient que la section cadastrale BI, située sur le territoire de la commune de Tremblay-en France, qui regroupe plus de la moitié des locaux professionnels du secteur n° 6 d'évaluation auquel cette section appartient, comprenait, à la date à laquelle les loyers servant à la révision des valeurs locatives ont été observés, au sein de ce secteur d'évaluation, la totalité des biens des catégories de locaux professionnels, définies par l'article 310 Q de l'annexe II au code général des impôts, HOT1 (hôtels " confort ", 4 étoiles et plus, ou confort identique), HOT2 (hôtels " supérieur ", 2 ou 3 étoiles, ou confort identique), MAG3 (magasins appartenant à un ensemble commercial) et MAG4 (magasins de grande surface, surface principale comprise entre 400 et 2 500 m²), la quasi-totalité des biens relevant des catégories BUR3 (locaux assimilables à des bureaux mais présentant des aménagements spécifiques), DEP3 (parcs de stationnement à ciel ouvert) et DEP4 (parcs de stationnement couverts), ainsi que plus de la moitié de ceux relevant de la catégorie BUR2 (locaux à usage de bureaux d'agencement récent). La SA ADP soutient que, compte tenu des règles de détermination des valeurs locatives, selon lesquelles sont constitués des secteurs d'évaluation présentant un marché locatif homogène et sont classés les locaux professionnels par sous-groupes, définis en fonction de leur nature et de leur destination et, à l'intérieur de ces sous-groupes, par catégories, en fonction de leur utilisation et de leurs caractéristiques physiques, tandis que sont fixés, dans chaque secteur d'évaluation, des tarifs par mètre carré déterminés à partir des loyers moyens constatés par catégorie de propriétés et que la valeur locative de chaque propriété bâtie est obtenue par application à sa surface pondérée du tarif par mètre carré correspondant à sa catégorie, modulé, le cas échéant, par l'application du coefficient de localisation, il résultait directement de cette situation que les tarifs moyens au mètre carré retenus pour les locaux situés dans les limites du secteur d'évaluation n° 6 étaient déterminés, entièrement pour les quatre premières catégories et de manière prépondérante pour les quatre dernières, par les loyers moyens au mètre carré observés, pour ces mêmes catégories, au sein des parcelles de la section cadastrale en litige, ce qui excluait toute possibilité d'appliquer un coefficient de localisation à ces parcelles, sauf à majorer indument, pour une grande part des locaux situés dans les limites de cette section, les tarifs moyens qui y étaient appliqués, en contrariété avec la logique de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels.
15. Lorsqu'un requérant conteste, devant le juge de l'excès de pouvoir, la fixation des tarifs applicables pour la détermination de la valeur locative d'un local professionnel ou la fixation d'un coefficient de localisation pour la parcelle sur laquelle se situe ce local et qu'il fait état d'éléments suffisamment étayés à l'appui de son recours, il appartient au juge de se déterminer sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties, l'administration, sollicitée en tant que de besoin par le juge, devant apporter au débat les éléments relatifs au calcul de ces tarifs et, lorsqu'elle n'est pas suffisamment prise en compte par ceux-ci, à la situation de la parcelle en cause justifiant l'application d'un coefficient de localisation.
16. En l'espèce, il ressort de la liste des locaux dont les loyers ont servi à déterminer la valeur locative moyenne par mètre carré au sein de ce secteur n° 6, produite par le ministre, que la section BI comprend, au sein du secteur, la totalité des biens de cinq catégories de locaux professionnels, soit les catégories " HOT 1 " (hôtels " confort ", 4 étoiles et plus, ou confort identique), " HOT 2 " (hôtels " supérieur ", 2 ou 3 étoiles, ou confort identique), " MAG 3 " (magasins appartenant à un ensemble commercial), " MAG 4 " (magasins de grande surface, surface principale comprise entre 400 et 2 500 m²), " A... 3 " (parcs de stationnement à ciel ouvert) et " A... 4 " (parcs de stationnement couverts). Les tarifs moyens au mètre carré du secteur d'évaluation n° 6 ont donc été exclusivement déterminés, pour ces catégories, par les loyers des propriétés situées sur la section BI. Il ressort également de ces données que la section BI comprend en outre la quasi-totalité des biens relevant de la catégorie " BUR 3 " (locaux assimilables à des bureaux mais présentant des aménagements spécifiques) et plus de la moitié de ceux relevant de la catégorie " BUR 2 " (locaux à usage de bureaux d'agencement récent), la seule catégorie de locaux professionnels pour laquelle la section BI comprend moins de la moitié des locaux étant la catégorie " A... 2 " (lieux de dépôts couverts).
17. Si le coefficient litigieux vise à tenir compte de la situation particulière de la section cadastrale BI au sein du secteur n° 6 du département de la Seine-Saint-Denis, qui se compose des sections cadastrales BD, BE, BH, BI, BK et BL de la commune de Tremblay-en-France, les tarifs moyens au mètre carré retenus pour les locaux situés dans les limites du secteur n° 6 ont été déterminés, entièrement pour six catégories et de manière prépondérante pour deux autres, par les loyers moyens au mètre carré observés, pour ces mêmes catégories, au sein des parcelles de la section BI. Dans ces conditions, les tarifs appliqués à cette section reflètent, dans une très large mesure, l'état du marché locatif. Aussi, en appliquant aux parcelles de la section BI le coefficient le plus élevé prévu par les dispositions prévues par l'article 1498 du CGI, la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels du département de la Seine-Saint-Denis a commis une erreur manifeste d'appréciation, les tarifs moyens qui y étaient appliqués se trouvant majorés sans justification pour une grande part des locaux de cette section.
18. Par suite, la SA ADP est fondée à demander l'annulation de la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels du département de la Seine-Saint-Denis publiée le 14 décembre 2018 en tant qu'elle fixe un coefficient de 1,3 pour la section BI de la commune de Tremblay-en-France.
19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SA ADP d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par la SA Aéroports de Paris dans le cadre de la présente instance.
Article 2 : La décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels du département de la Seine-Saint-Denis publiée le 14 décembre 2018 est annulée en tant qu'elle assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France.
Article 3 : L'Etat versera à la SA Aéroports de Paris la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Aéroports de Paris, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la commune de Tremblay-en-France et à l'établissement public territorial Paris Terres d'Envol.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre
Mme Dorion, présidente-assesseure,
M. Tar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 décembre 2023.
Le rapporteur,
G. TARLa présidente,
F. VERSOL
La greffière,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 22VE02705