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22/12/2023 | FRANCE | N°23PA02515

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 22 décembre 2023, 23PA02515


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La Polynésie française a déféré au tribunal administratif de la Polynésie française comme prévenu d'une contravention de grande voirie M. B... A..., et elle a demandé au tribunal de le condamner à l'amende prévue à cet effet, de mettre à sa charge la somme de 28 443 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie, de le condamner à réparer le dommage, soit par l'enlèvement des installations occupant le domaine public e

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Polynésie française a déféré au tribunal administratif de la Polynésie française comme prévenu d'une contravention de grande voirie M. B... A..., et elle a demandé au tribunal de le condamner à l'amende prévue à cet effet, de mettre à sa charge la somme de 28 443 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie, de le condamner à réparer le dommage, soit par l'enlèvement des installations occupant le domaine public et la remise en état des lieux dans le délai d'un mois sous astreinte de 50 000 F CFP par jour de retard, soit, en cas de carence, en autorisant la Polynésie française à procéder d'elle-même à ces travaux et en condamnant le contrevenant au paiement de la somme de 45 328 680 F CFP correspondant au coût de la remise en état du domaine public, et enfin de le condamner à supporter les entiers dépens de procédure.

Par un jugement n° 2200406 du 28 février 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné M. A... d'une part à payer une amende de 150 000 F CFP à la Polynésie française, et d'autre part à verser à cette collectivité la somme de 45 328 680 F CFP au titre des frais nécessaires à la remise en état du domaine public et celle de 28 443 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie.

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 juin 2023 et 11 août 2023, M. A..., représenté par Me Quinquis, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2200406 du tribunal administratif de la Polynésie française du 28 février 2023 ;

2°) avant dire-droit, d'ordonner une expertise et de désigner un expert ayant pour mission de se faire remettre tous documents utiles à la solution du litige, de décrire les travaux nécessaires à la remise en état du domaine public et d'en donner une estimation chiffrée ;

3°) d'ordonner une médiation en vue de faire réaliser sous le contrôle de la Polynésie française le démantèlement des ouvrages litigieux ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française le versement de la somme de 200 000 F CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'action publique était prescrite dès lors que les constructions étaient anciennes, avaient été initialement autorisées, que l'administration avait parfaitement connaissance de leur existence et que la prescription conventionnelle applicable est d'un an ;

- il entend procéder lui-même au démantèlement des constructions ;

- le montant demandé par le tribunal au titre du coût de remise en état des lieux, fixé après réalisation d'un seul devis, est disproportionné par rapport au coût réel des travaux nécessaires et il y a lieu dès lors d'ordonner une expertise pour faire évaluer ce coût ;

- l'action domaniale doit tendre à la remise en état des lieux, or la condamnation pécuniaire demandée par la Polynésie française excède largement le coût de remise en état et il n'est par ailleurs pas établi que la somme en cause sera affectée à cette remise en état ;

- le requérant souhaitant poursuivre son activité perlière, une médiation sur le fondement des articles L. 213-1 et L. 213-7 du code de justice administrative pourrait permettre de trouver un accord permettant de concilier cette activité économique avec la remise en état du domaine public ;

- il justifie de la réalisation des travaux de démolition de la construction objet du litige.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2023, la Polynésie française, représentée par son président en exercice, conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions relatives aux frais de remise en état des lieux, et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions tendant à la réalisation d'une médiation sont devenues sans objet dès lors que les travaux de remise en état ont été réalisés ;

- en raison de la réalisation de ces travaux les conclusions tendant à la condamnation de

M. A... à supporter le coût de la remise en état des lieux sont également devenues sans objet ;

- les conclusions tendant à ce que soient ordonnées une expertise et une médiation sont irrecevables car présentées pour la première fois en appel ;

- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 et notamment son article 22 ;

- la délibération n° 2004-34 APF du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de l'aménagement de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Degardin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., qui exploite une ferme perlière dans l'atoll de Ahe, a bénéficié d'autorisations d'occupation du domaine public du lagon de Ahe par arrêtés notamment des

24 février 1997, 20 février 2006, et 15 octobre 2008. La superficie qu'il était autorisé à occuper a ensuite été réduite de 1 083 mètres carrés à 150 mètres carrés par arrêté du 7 avril 2011 dont il dit n'avoir pas reçu notification, et il a dès lors laissé en place les maisons nécessaires à son exploitation perlière qu'il avait antérieurement édifiées lorsqu'il disposait d'une autorisation portant sur une plus grande superficie. Par courrier du 9 octobre 2020 il a été constaté un dépassement de la superficie autorisée, et un délai de trois mois a été accordé à M. A... pour réduction de la maison d'exploitation de greffe à 150 mètres carrés. Alors que les arrêtés ultérieurs en date des 28 octobre 2020 et 9 avril 2021 ne l'autorisaient toujours à occuper qu'une superficie du domaine public de 150 mètres carrés pour cette maison d'exploitation de greffe, celle-ci n'a pas été réduite, et, par un arrêté n°3988 VP/DRM du 9 avril 2021, la Polynésie française a déféré M. A... comme prévenu d'une contravention de grande voirie pour avoir occupé illégalement le domaine public maritime en excédant la surface d'occupation autorisée, et cette collectivité a également demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner M. A... à l'amende prévue à cet effet, au versement de la somme de 28 443 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie, et à la réparation du dommage, soit par l'enlèvement des installations occupant le domaine public et la remise en état des lieux dans le délai d'un mois sous astreinte de 50 000 F CFP par jour de retard, soit, en cas de carence, par la condamnation du contrevenant au paiement de la somme de 45 328 680 F CFP correspondant au coût de la remise en état du domaine public, après que la Polynésie française aura été autorisée à y procéder elle-même. Par jugement n° 220046 du 28 février 2023 le tribunal administratif de la Polynésie française a condamné M. A..., d'une part, à payer une amende de 150 000 F CFP à la Polynésie française, et, d'autre part, à verser à cette collectivité la somme de 45 328 680 F CFP au titre des frais nécessaires à la remise en état du domaine public ainsi que la somme de 28 443 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie.

M. A... relève dès lors appel de ce jugement par la présente requête.

Sur les exceptions de non-lieu à statuer soulevées par la Polynésie française :

2. Il ressort des pièces du dossier et notamment de l'attestation en date du 17 juillet 2023 du maire délégué de la commune associé de Ahe, délivrée à M. A... et produite par celui-ci à l'appui de son mémoire complémentaire, que l'intéressé a achevé les travaux de démolition de la maison d'exploitation occupant une superficie non autorisée du domaine public, et que la superficie d'occupation de cette dépendance du domaine a été réduite à celle qui était autorisée. Cette remise en état des lieux est d'ailleurs confirmée par la Polynésie Française qui produit un procès-verbal de constat et de contravention de grande voirie en date du 14 septembre 2023, établi par des agents assermentés, et constatant à l'issue d'un déplacement du 1er septembre précédent, que " la maison a été démolie et l'emplacement nettoyé (..) il ne reste plus que la partie autorisée (150 mètres carrés ), Concernant les lignes d'élevage et de greffe elles ont été en partie enlevées et des employés continuent le nettoyage en notre présence ". Toutefois, si M. A... a ainsi d'ores et déjà procédé à la remise en état du domaine public maritime, cette circonstance, qui n'a pas modifié l'état du droit résultant du jugement du tribunal administratif l'ayant notamment condamné à verser à la Polynésie française la somme de 45 328 680 F CFP au titre des frais nécessaires à cette remise en état, n'est pas de nature à rendre sans objet les conclusions de la requête tendant à l'annulation de cette condamnation. Par suite les conclusions à fins de non-lieu présentées sur ce point par la Polynésie française ne peuvent qu'être rejetées.

3. Par ailleurs en relevant que l'expertise sollicitée était désormais " inutile " compte tenu de la réalisation de la totalité des travaux de remise en état, et que la demande de médiation était devenue " sans objet ", la Polynésie française doit être regardée comme ayant entendu soutenir qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur ces conclusions. Et, dès lors que, ainsi qu'il vient d'être dit, il est établi que les travaux de remise en état ont été effectués, les conclusions tendant à la réalisation d'une expertise aux fins notamment de " décrire les travaux nécessaires à la remise en état du domaine public maritime " et " en donner une estimation chiffrée ", ainsi que celles tendant à l'organisation d'une médiation " en vue de faire réaliser sous le contrôle de la Polynésie française le démantèlement des ouvrages litigieux par M. A... " sont effectivement devenues sans objet ; il n'y a dès lors plus lieu d'y statuer.

Sur l'action publique :

4. Aux termes de l'article 2 de la délibération n° 2004-34 de l'assemblée de la Polynésie française du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française : " Le domaine public naturel comprend : le domaine public fluvial qui se compose de l'ensemble des cours d'eau, avec leurs dépendances, des lacs, de toutes les eaux souterraines et sources (...) ". Aux termes de l'article 6 de la même délibération : " Nul ne peut sans autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente, effectuer aucun remblaiement, travaux, extraction, installation et aménagement quelconque sur le domaine public (...) ". D'autre part, en vertu de l'article 62 de la loi organique du 12 avril 1996, dont les dispositions ont été reprises et précisées à cet égard par l'article 22 de la loi organique du 27 février 2004, l'assemblée de la Polynésie française peut édicter des contraventions de grande voirie pour réprimer les atteintes au domaine public qui lui est affecté, le produit des condamnations étant alors versé à son budget. L'article 27 de la délibération du 12 février 2004 précitée dispose que : " Les infractions à la réglementation en matière de domaine public (...) constituent des contraventions de grande voirie et donnent lieu à poursuite devant le tribunal administratif, hormis le cas des infractions à la police de la conservation du domaine public routier qui relèvent des juridictions judiciaires. (...) ".

5. Il ressort des pièces versées au dossier que deux agents assermentés de la direction des ressources marines, chargés du contrôle du respect de la réglementation applicable aux activités en matière de perliculture, de pêche et d'aquaculture, signataires du procès-verbal de contravention de grande voirie n° 3656/MCE/DRM du 19 juillet 2022, ont constaté, le 30 octobre 2021, que

M. A... occupait illégalement le domaine public dès lors que la superficie de sa maison d'exploitation et de greffe a été évaluée à 1100 mètres carrés, excédant alors de 950 mètres carrés la surface autorisée par l'arrêté n° 3988/VP/DRM du 9 avril 2021. Cette atteinte caractérisée à l'intégrité du domaine public maritime de la Polynésie française constitue l'infraction prévue à l'article 6 de la délibération précitée du 12 février 2004 et est réprimée sur le fondement de l'article 27 de cette même délibération.

6. En vertu de l'article 9 du code de procédure pénale, l'action publique tendant à la répression des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise. La prescription d'infractions continues ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin. En vertu de l'article 9-2 du même code, peuvent seules être regardées comme des actes d'instruction ou de poursuite de nature à interrompre la prescription en matière de contraventions de grande voirie, outre les jugements rendus par les juridictions et les mesures d'instruction prises par ces dernières, les mesures qui ont pour objet soit de constater régulièrement l'infraction, d'en connaître ou d'en découvrir les auteurs, soit de contribuer à la saisine du tribunal administratif ou à l'exercice par le ministre de sa faculté de faire appel ou de se pourvoir en cassation.

7. Il résulte de l'instruction que l'occupation par la maison d'exploitation et de greffe du requérant d'une superficie de 1 100 mètres carrés du domaine public maritime au lieu des 150 mètres carrés autorisés constitue une infraction continue qui peut donner lieu à des poursuites à tout moment, tant qu'elle n'a pas pris fin. Par suite, le président du gouvernement de la Polynésie française était fondé à faire constater, par un procès-verbal en date du 19 juillet 2022, une contravention de grande voirie à raison de l'occupation sans droit ni titre du domaine, et ce alors même que cette maison d'exploitation et de greffe aurait été édifiée plusieurs années auparavant, et que l'administration en aurait eu connaissance antérieurement. De plus il ressort des termes mêmes de la requête d'appel, enregistrée le 8 juin 2023, que l'infraction subsistait toujours à cette date, le requérant demandant alors à être autorisé à procéder lui-même aux travaux de remise en état du domaine et sollicitant un délai de douze mois pour cela, avant de procéder, de fait, à la remise en état au cours des mois suivants. Par suite il n'est pas fondé à soutenir que l'action publique serait prescrite, ni par voie de conséquence, que la Polynésie française ne pouvait légalement lui infliger l'amende litigieuse.

Sur l'action domaniale :

8. Ainsi qu'il a été dit au point 2 il ressort des pièces du dossier que les travaux de remise en état de la dépendance du domaine public maritime ont été entièrement exécutés. Par suite

M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à verser à la Polynésie française une somme de 45 328 680 F CFP au titre des frais nécessaires à cette remise en état.

Sur les frais d'établissement du procès-verbal :

9. M. A... ne soulevant aucun moyen de nature à établir que le tribunal l'aurait à tort condamné à verser à la Polynésie française une somme de 28 443 F CFP correspondant aux frais d'établissement du procès-verbal de contravention de grande voirie, il n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a prononcé une telle condamnation.

10. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fins d'expertise ni sur celles tendant à l'organisation d'une médiation, et par ailleurs que le requérant n'est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué qu'en tant qu'il l'a condamné, au titre de l'action domaniale, à verser à la Polynésie française une somme de 45 328 680 F CFP au titre des frais nécessaires à la remise en état du domaine public.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française le paiement de la somme de 1 500 euros à verser à M. A... au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à ce que soient ordonnées une expertise et une médiation.

Article 2 : Le jugement n° 2200406 du 28 février 2023 du tribunal administratif de la Polynésie française est annulé en tant qu'il a condamné M. A... à verser à la Polynésie française une somme de 45 328 680 F CFP au titre des frais nécessaires à la remise en état du domaine public.

Article 3 : La Polynésie française versera à M. A... une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ivan Luben, président de chambre,

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2023.

La rapporteure,

M-I. C...Le président,

I. LUBENLa greffière,

N. DAHMANILa République mande et ordonne au Haut-commissaire de la république en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02515


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02515
Date de la décision : 22/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : SELARL PIRIOU QUINQUIS BAMBRIDGE-BABIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-22;23pa02515 ?
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