Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I... A..., agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal des jeunes D..., F... et C... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française en Guinée refusant de délivrer aux jeunes D..., F... et C... des visas d'entrée et de long séjour, dans le cadre du regroupement familial.
Par un jugement n° 2108665 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 2 juin 2021 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 février 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 février 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre de l'intérieur soutient que :
- les actes d'état civil produits sont apocryphes et ne permettent pas d'établir l'identité des demandeurs ni les liens familiaux qu'ils allèguent ;
- ces liens familiaux ne sont pas davantage démontrés par la possession d'état ;
- les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant n'ont pas été méconnues.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2023, M. I... A... et
Mme B... E... représentés par Me Keravec, agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de leurs enfants D..., F... et C... concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 10 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. I... A..., la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 2 juin 2021 refusant de délivrer à Mme B... E... ainsi qu'aux enfants D..., F... et C... A... des visas de long séjour au titre de la procédure de regroupement familial et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : 1° Sauf s'il est exempté de cette obligation, des visas exigés par les conventions internationales (...) ". Aux termes de l'article L. 434-2 de ce code : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ; 2° Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ". Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 434-4 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
S'agissant du refus de visa opposé à Mme E... :
6. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer le visa de long séjour sollicité au motif que les actes d'état civil présentés par Mme E... étaient dépourvus de caractère probant et qu'ils ne permettaient d'établir ni son identité ni le lien matrimonial allégué.
7. Pour établir son identité et le lien matrimonial l'unissant à M. A...,
Mme E... a produit un jugement supplétif d'acte de naissance n°5065 rendu le 22 mai 2017 par le tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco, la copie de l'acte de naissance n°4239, transcrit le 26 mai 2017 suivant ce jugement supplétif, ainsi qu'un passeport guinéen. Si le numéro personnel d'identification figurant sur le passeport biométrique de Mme E... délivré le 16 mars 2017 ne correspond pas au numéro de l'acte n°4239 transcrit le 26 mai suivant, cette circonstance ne suffit pas à établir le caractère frauduleux du jugement supplétif produit, les mentions relatives à l'identité de l'intéressée étant par ailleurs corroborées par les autres documents, notamment son acte de mariage, dont l'authenticité n'est pas contestée. Il est vrai que le jugement supplétif d'acte de naissance de Mme E... indique que l'intéressée est née le 8 novembre 1990 à Conakry et qu'elle est la fille de H... et de J..., sans mentionner la date de naissance ou l'âge, le domicile et la profession des parents. A supposer même que, pour cette raison, le contenu de ce jugement ne serait pas conforme aux dispositions de l'article 175 du code civil guinéen, cette circonstance n'est pas davantage de nature à établir le caractère frauduleux du jugement supplétif d'acte de naissance de Mme E..., dont les mentions concordent, ainsi qu'il a été dit, avec celles, plus précises, figurant dans les autres documents produits, notamment son acte de mariage. Enfin, la circonstance que le jugement supplétif litigieux a été rendu vingt-sept ans après la naissance qu'il relate n'est pas de nature à caractériser une fraude, l'objet même d'un jugement supplétif étant d'intervenir postérieurement à la naissance de la personne à laquelle il se rapporte. Ce jugement supplétif ainsi que l'acte de mariage produit par Mme E... établissent l'identité de cette dernière ainsi que le lien matrimonial l'unissant à M. A.... En estimant que ce lien n'est pas établi, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.
S'agissant du refus de visas opposés à l'enfant D... :
8. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer le visa de long séjour sollicité au motif que les actes d'état civil présentés pour l'enfant D... étaient dépourvus de caractère probant et qu'ils ne permettaient d'établir ni son identité ni le lien de filiation allégué.
9. Pour justifier de l'identité de la jeune D..., née le 1er septembre 2010, et établir le lien de filiation l'unissant à M. A..., ont été produits un jugement supplétif d'acte de naissance n°1661, rendu le 3 décembre 2018 par le tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco, la copie de l'acte de naissance n°9862 pris pour la transcription de ce jugement, ainsi qu'un passeport guinéen, délivré le 1er juillet 2019. Le jugement supplétif indique que l'enfant est née le 1er septembre 2010 à Conakry, et qu'elle est la fille de G... et de B... E.... A supposer même que le contenu de ce jugement ne serait pas conforme aux dispositions de l'article 175 du code civil guinéen, en ce qu'il ne mentionne ni la date de naissance, ni le domicile, ni la profession des parents, cette circonstance n'est pas de nature à établir le caractère frauduleux de ce jugement, dont les mentions concordent avec celles, plus précises, figurant dans les autres documents produits, notamment l'acte de mariage des deux parents de l'enfant D.... Enfin, la circonstance que le jugement supplétif litigieux a été rendu huit ans après la naissance qu'il relate n'est pas de nature à caractériser une fraude, l'objet même d'un jugement supplétif étant d'intervenir postérieurement à la naissance de la personne à laquelle il se rapporte. Ce jugement établit l'identité de l'enfant D... ainsi que le lien de filiation qui l'unit à M. A.... En estimant que ce lien n'est pas établi, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.
S'agissant des refus de visa opposés aux enfants F... et C... :
10. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer les visas de long séjour sollicités pour les enfants F... et C... au motif que leurs actes d'état civil étaient dépourvus de caractère probant et qu'ils ne permettaient d'établir ni leur identité ni le lien de filiation allégué.
11. Pour justifier de l'identité des jeunes F... et C..., nés respectivement le 25 septembre 2013 et le 15 septembre 2015, et établir les liens de filiation qui unissent ces derniers à M. A..., ont été produits deux jugements supplétifs d'acte de naissance n°5066 et n°5064, rendus le 7 juin 2017 et le 22 mai 2017 par le tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco, les copies des actes de naissance n°4736 et n°4241 pris pour la transcription de ces jugements, ainsi que des passeports biométriques guinéens délivrés le 12 avril 2017. Si les numéros personnels d'identification figurant sur ces passeports ne correspondent pas aux numéros figurant sur les actes de naissance des enfants, cette circonstance ne suffit pas à établir le caractère frauduleux des jugements supplétifs produits, compte tenu de ce que les mentions relatives à l'identité des enfants F... et C... sont corroborées par les autres documents produits notamment l'acte de mariage de leurs parents, versé au dossier et dont l'authenticité n'est pas contestée. Il est vrai que les jugements supplétifs n'indiquent que les dates et lieux de naissance des enfants ainsi que les prénoms et noms de leurs parents. A supposer même que, pour cette raison, le contenu de ces jugements ne serait pas conforme aux dispositions de l'article 175 du code civil guinéen, cette circonstance n'est pas toutefois de nature à établir le caractère frauduleux de ces jugements supplétifs dont les mentions concordent avec celles, plus précises, figurant dans les autres documents produits, notamment l'acte de mariage de leurs deux parents. Enfin, la circonstance que les jugements supplétifs litigieux ont été rendus, respectivement, 3 ans et un an après les naissances qu'ils relatent n'est pas de nature à caractériser une fraude, l'objet même d'un jugement supplétif étant d'intervenir postérieurement à la naissance de la personne à laquelle il se rapporte. Ce jugement établit l'identité des jeunes F... et C... ainsi que les liens de filiation qui les unissent à M. A.... En estimant que ces liens ne sont pas établis, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. I... A..., la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 2 juin 2021.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. A... et Mme E... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... et à Mme E... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. G... et à Mme B... E....
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2023.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLe greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00590