Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2022, sous le n° 2216286, M. B... C... alias A... D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 7 novembre 2022 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence, d'enjoindre au préfet territorialement compétent de procéder au réexamen de sa situation et d'effacer son signalement Schengen dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance n° 2216286 du 24 avril 2023, cette requête a été transmise au tribunal administratif de Versailles, en application de l'article R. 776-16 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2303366 du 28 avril 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté du 7 novembre 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis, enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, et de prendre toutes mesures utiles pour la suppression du signalement de M. C... dans le système d'information Schengen et a mis à la charge de l'Etat la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 7 juin 2023, sous le n° 23VE01234, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Montreuil puis de Versailles.
Il soutient que :
- la présence du requérant sur le territoire français constitue une menace pour l'ordre public eu égard au nombre des infractions commises au cours de son séjour ; l'intéressé ne saurait donc se prévaloir des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les arrêtés attaqués ne sont pas entachés d'incompétence ;
- ils sont suffisamment motivés et ont été précédés d'un examen particulier de sa situation ;
- ils ne méconnaissent ni les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant refus d'un délai de départ volontaire n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur le risque de fuite ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2023, M. C..., représenté par Me Giudicelli-Jahn, avocate, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa présence ne représente pas une menace pour l'ordre public ;
- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation et est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la décision lui faisant interdiction de retourner sur le territoire pendant un an est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Des pièces ont été enregistrées le 4 décembre 2023, pour M. C..., postérieurement à la clôture de l'instruction.
II. Par une requête, enregistrée le 7 juin 2023, sous le n° 23VE01235, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2303366 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles du 28 avril 2023.
Il soutient que :
- le sursis à exécution du jugement attaqué doit être prononcé sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative ;
- l'exécution du jugement attaqué est susceptible d'entraîner, compte tenu du risque de fuite de l'intéressé, des conséquences difficilement réparables et doit, ainsi, se voir appliquer les dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;
- la présence du requérant sur le territoire français constitue une menace pour l'ordre public eu égard au nombre des infractions commises au cours de son séjour ; l'intéressé ne saurait donc se prévaloir des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les arrêtés attaqués ne sont pas entachés d'incompétence ;
- ils sont suffisamment motivés et ont été précédés d'un examen particulier de sa situation ;
- ils ne méconnaissent ni les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant refus d'un délai de départ volontaire n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur le risque de fuite ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2023, M. C..., représenté par Me Giudicelli-Jahn, avocate, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa présence ne représente pas une menace pour l'ordre public ;
- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire n'a pas été précédé d'un examen particulier de sa situation et est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la décision lui faisant interdiction de retourner sur le territoire pendant un an est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Des pièces ont été enregistrées le 4 décembre 2023, pour M. C..., postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Houllier,
- et les observations de Me Giudicelli-Jahn, pour M. C..., présent.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., alias A... D..., ressortissant algérien né le 25 mai 1981, déclare être entré en France, pour la dernière fois, au cours de l'année 2019. Par un arrêté du 7 novembre 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour, sous le n° 23VE01234, d'annuler le jugement du 28 avril 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Versailles a annulé cet arrêté et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. C... dans un délai de deux mois. Le préfet de la Seine-Saint-Denis demande également, sous le n° 23VE01235, qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement. Ces deux requêtes sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.
2. M. C... a sollicité, le 2 novembre 2023, le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de l'admettre provisoirement à l'aide juridictionnelle sur le fondement des dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique susvisée.
Sur la requête n° 23VE01234 :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Le tribunal administratif a estimé que l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations précitées eu égard à la situation familiale de M. C.... Toutefois, il résulte du second alinéa de l'article 8 précité qu'en cas de risques de trouble à l'ordre public, il est possible de limiter le droit au respect de la vie privée et familiale. Or, en l'espèce, si M. C... justifie être le père d'une petite fille de nationalité française, née le 18 juin 2022, il ressort des pièces du dossier qu'il a fait l'objet, entre 2016 et 2021, de plusieurs signalements et condamnations, y compris à des peines d'emprisonnement, pour des faits de vol aggravé, vol en réunion, outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, exhibition sexuelle, menace de mort ou d'atteinte aux biens dangereuse pour les personnes à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, détention frauduleuse de faux documents administratifs, violence aggravée et conduite en état d'ivresse manifeste. Dans ces circonstances, nonobstant la présence en France de sa fille mineure, de nationalité française, la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations précitées et c'est à tort que le tribunal administratif a retenu ce moyen pour annuler l'arrêté attaqué.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Versailles.
6. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'acte de naissance, que M. C... est le père d'une petite fille, née le 18 juin 2022, de nationalité française, reconnue le même jour par ses deux parents, et il n'est pas contesté qu'il vit avec cette enfant et la mère de cette dernière, elle-même de nationalité française. Dans ces conditions, M. C..., qui produit au demeurant plusieurs factures concernant du lait maternel et des produits de puériculture, doit être regardé comme contribuant effectivement à l'entretien et à l'éducation de sa fille dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celle-ci. Dans ces circonstances, le comportement de M. C..., qui fait apparaître plusieurs condamnations pénales pour des faits de vol, outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, exhibition sexuelle et menace de mort ou d'atteinte aux biens dangereuses pour les personnes à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique, ainsi que plusieurs signalements pour des faits de violences, y compris sur personne dépositaire de l'autorité publique, ne saurait faire obstacle au bénéfice de la protection accordée par ces dispositions qui ne prévoient pas d'exception en cas de menace pour l'ordre public. Par suite, le moyen soulevé par M. C..., tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit être accueilli.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles, a annulé ses arrêtés du 7 novembre 2022.
Sur la requête n° 23VE01235 :
9. La cour statuant par le présent arrêt sur la requête n° 23VE01234 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 23VE01235 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. C... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : M. C... est admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : La requête n° 23VE01234 du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23VE01235 du préfet de la Seine-Saint-Denis.
Article 4 : Les conclusions de M. C... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... C... alias A... D.... Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Houllier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.
La rapporteure,
S. HoullierLa présidente,
C. Signerin-Icre
La greffière,
C. Fourteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N°s 23VE01234, 23VE01235