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21/12/2023 | FRANCE | N°23NC00025

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 21 décembre 2023, 23NC00025


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 2 décembre 2021 par lequel le préfet de la Haute-Saône l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé la destination d'éloignement en cas de non-respect de ce délai de départ volontaire et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2200005 du 7 février 2022, le pr

sident du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 2 décembre 2021 par lequel le préfet de la Haute-Saône l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé la destination d'éloignement en cas de non-respect de ce délai de départ volontaire et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2200005 du 7 février 2022, le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2023, M. B..., représenté par Me Bertin demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 7 février 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 2 décembre 2021 par lequel le préfet de la Haute-Saône l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé la destination d'éloignement en cas de non-respect de ce délai de départ volontaire et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Saône de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire est illégale au regard des risques qu'il encourt en cas de retour dans son pays d'origine en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 février 2023, le préfet de la Haute-Saône conclut au rejet de la requête et à titre subsidiaire, à ce qu'il soit uniquement enjoint au réexamen et à ce que les frais versés à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soient limités à 300 euros.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Barrois, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant libyen, né le 27 juillet 1991, est entré sur le territoire français le 16 juillet 2018. Il a déposé une demande d'asile que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejetée par une décision en date du 10 mars 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 1er octobre 2021. Par un arrêté du 2 décembre 2021, le préfet de la Haute-Saône a obligé M. B... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... demande l'annulation de cet arrêté. M. B... fait appel du jugement du 7 février 2022 par lequel le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte du paragraphe 2 du jugement attaqué que le président du tribunal administratif de Besançon a suffisamment répondu au moyen qui n'était pas opérant à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français. Par suite, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité sur ce point.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, le moyen soulevé des risques encourus en cas de retour en Lybie ne peut être utilement soulevé à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi :/ 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ;/ 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " et aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

5. M. B... soutient être membre de la tribu Bayo et originaire de la ville de Benghazi, et qu'en raison de son activité sur les réseaux sociaux en faveur de la démocratie, avoir fait l'objet de menaces de mort en décembre 2014. A la suite d'un contrôle d'identité par les milices de la brigade d'El Rarada, il aurait été emprisonné 6 mois et aurait fait l'objet de tortures étant suspecté d'avoir des liens avec le maréchal Haftar. Après s'être échappé de prison en mai 2015, il se serait réfugié chez les parents d'un ami avant d'être ensuite kidnappé en avril 2017 par la milice contre rançon. Il aurait enfin réussi à s'échapper pour quitter le pays en août 2017 et rejoindre la France via l'Italie en juillet 2018. Toutefois, le requérant n'établit pas plus qu'en première instance que la véracité de son récit ni que le syndrome de stress post traumatique pour lequel il a bénéficié d'un suivi psychiatrique depuis le 15 juin 2020 et d'un traitement médicamenteux qu'il a interrompu en mars 2021, serait la conséquence des violences qu'il aurait subies en Lybie. Au demeurant, ni l'OFPRA, ni la CNDA n'ont considéré que les faits allégués et les risques d'atteintes graves auxquelles le requérant pourrait être exposé étaient avérés. Enfin, le requérant ne produit aucune pièce complémentaire, ni aucune explication qui seraient de nature à établir le caractère réel, personnel et actuel des risques allégués en cas de retour en Lybie et de l'existence de violences caractérisées dans la province de Benghazi dont il est originaire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles cités au point 4 est écarté.

6. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que la décision l'obligeant à quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité et que par suite, le moyen tiré de ce que la décision lui interdisant le retour sur le territoire français est dépourvue de base légale est écarté.

7. En dernier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ", de l'article L. 612-6 de ce code " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. " et de l'article L. 612-7 de ce même code : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. ". D'autre part, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié d'un délai de départ volontaire de trente jours et qu'à la date de sa décision, le préfet de la Haute-Saône ne pouvait savoir qu'il s'était maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà de ce délai de départ volontaire. Par suite, la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un an est annulée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision lui interdisant le retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Cette annulation n'implique cependant pas que l'administration prenne une nouvelle décision dans un sens déterminé ou réexamine sa situation.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Bertin, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Bertin de la somme de 1 200 euros.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2200005 du 7 février 2022 du tribunal administratif de Besançon est annulé en tant qu'il rejette la demande présentée par M. B... tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Article 2 : La décision du 2 décembre 2021 par laquelle le préfet de la Haute-Saône a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an à l'encontre de M. B... est annulée.

Article 3 : L'Etat versera à Me Bertin, avocat de M. B... une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Bertin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Bertin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Saône

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- Mme Barrois, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2023.

La rapporteure,

Signé : M. BarroisLe président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

2

N° 23NC00025


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00025
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Marion BARROIS
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;23nc00025 ?
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