Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision de rejet implicite par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de titre de séjour.
Par un jugement n° 2200088, du 20 juin 2023, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision de rejet implicite du préfet du Rhône et a enjoint à la préfète du Rhône de réexaminer la demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de jugement.
Procédure devant la cour
Par une requête n° 23LY02697, enregistrée le 18 août 2023, la préfète du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 20 juin 2023 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... devant le tribunal administratif.
La préfète du Rhône soutient que le jugement attaqué est entaché d'erreur de fait dès lors que le dossier déposé par Mme B... à la préfecture du Rhône 23 mars 2021 était incomplet, que l'intéressée ayant déposé une nouvelle demande de titre auprès du préfet de l'Isère le 22 avril 2022, elle se trouvait dessaisie de l'examen du droit au séjour de Mme B... à la date de l'audience devant le tribunal administratif de Lyon, le 6 juin 2023, que le préfet de l'Isère a statué sur ce droit au séjour les 4 octobre 2022 et le 3 mars 2023, ce que l'intéressée et son conseil ne pouvaient ignorer, le même cabinet étant intervenu lors des audiences du 8 novembre 2022 et du 30 juin 2023.
Par une requête n° 23LY02698, enregistrée le 18 août 2023, la préfète du Rhône demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Lyon du 20 juin 2023.
La préfète soutient que les moyens de sa requête au fond sont sérieux.
Par lettre du 6 octobre 2023, les parties ont été informées en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que la cour était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité de la demande de première instance, le caractère incomplet du dossier de demande de titre de séjour faisant obstacle à la naissance d'une décision implicite de rejet.
Par lettre du 3 novembre 2023, les parties ont été informées en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que la cour était susceptible de soulever soit l'irrecevabilité des conclusions d'appel dirigées contre le jugement en tant qu'il prononce une injonction de réexamen alors que l'administration a de nouveau statué sur la situation de Mme B..., soit l'irrégularité du jugement pour n'avoir pas constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins d'injonction de réexamen alors que l'administration avait de nouveau statué sur la situation de l'intéressée.
Une réponse à ce moyen d'ordre public, présentée par la préfète du Rhône, a été enregistrée le 9 novembre 2023. Elle soutient que le jugement aurait dû constater l'irrecevabilité des conclusions aux fin d'injonction de réexamen, dès lors que la situation de la requérante avait déjà été examinée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2023, Mme B..., représentée par Me Sabatier, conclut au rejet de la requête de la préfète du Rhône et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient, en outre, que les conclusions d'appel dirigées contre le jugement en tant qu'il prononce une injonction de réexamen sont irrecevables.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Bourrachot, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante congolaise née le 24 juin 1985, est entrée régulièrement en France le 8 août 2015 afin d'y poursuivre des études supérieures. Elle a été autorisée à y séjourner en qualité d'étudiante jusqu'au 14 septembre 2017. Le 23 février 2021, Mme B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " en application des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le silence gardé par le préfet du Rhône pendant plus de quatre mois sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet, dont la requérante a demandé l'annulation. La préfète du Rhône relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a, dans un article 1er, annulé cette décision et, dans un article 2, lui a enjoint de procéder au réexamen de la demande de Mme B... dans un délai de deux mois.
Sur la jonction :
2. L'appel et la demande de sursis à exécution présentés par la préfète du Rhône étant formés contre un même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions de la requête n° 23LY02697 :
En ce qui concerne le caractère incomplet du dossier :
3. Aux termes de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande adressée à l'administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations. / Le délai mentionné à l'article L. 114-3 au terme duquel, à défaut de décision expresse, la demande est réputée acceptée ne court qu'à compter de la réception des pièces et informations requises. / Le délai mentionné au même article au terme duquel, à défaut de décision expresse, la demande est réputée rejetée est suspendu pendant le délai imparti pour produire les pièces et informations requises. Toutefois, la production de ces pièces et informations avant l'expiration du délai fixé met fin à cette suspension ". Aux termes de l'article L. 100-1 du même code " Le présent code régit les relations entre le public et l'administration en l'absence de dispositions spéciales applicables ". Aux termes de l'article R. 431-10 du code d'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° Les documents justifiants de son état civil / 2° Les documents justifiants de sa nationalité /3° Les documents justifiants de l'état civil et de la nationalité de son conjoint, de ses enfants et de ses parents lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour pour motif familial. La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents (...) ". L'article R. 431-11 du même code prévoit que : " L'étranger qui sollicite la délivrance d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande les pièces justificatives dont la liste est fixée par arrêté annexé au présent code ". Aux termes de l'article R. 432-1 de ce code : " Le silence gardé par l'autorité administrative sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet ". Enfin, aux termes de l'article R. 432-2 du même code : " La décision implicite de rejet mentionnée à l'article R. 432-1 nait au terme d'un délai de quatre mois ".
4. En premier lieu, les dispositions législatives et règlementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient la procédure de dépôt, d'instruction et de délivrance des différents titres autorisant les étrangers à séjourner en France. Elles constituent des dispositions spéciales régissant le traitement par l'administration des demandes de titres de séjour, en particulier les demandes incomplètes, que le préfet peut refuser d'enregistrer. Par suite, la procédure prévue à l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration n'est pas applicable à ces demandes.
5. En second lieu, le refus d'enregistrer une telle demande, motif pris du caractère incomplet du dossier, ne constitue pas une décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque le dossier est effectivement incomplet, en l'absence de l'un des documents mentionnés à l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou lorsque l'absence d'une pièce mentionnée à l'annexe 10 à ce code, auquel renvoie l'article R. 431-11 du même code, rend impossible l'instruction de la demande. L'enregistrement de la demande de titre de séjour d'un étranger ayant présenté une demande d'asile qui n'a pas été définitivement rejetée ne peut être refusé au motif de l'absence de production des documents mentionnés à l'article R. 431-10.
6. En l'espèce, il ne ressort des pièces du dossier ni que la demande de titre de séjour, déposée le 23 mars 2021 par Mme B... sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile présenterait un caractère incomplet au regard l'article R. 431-10 du même code, ni que manquerait une pièce mentionnée à l'annexe 10 à ce code rendant impossible l'instruction de la demande. D'ailleurs, la préfecture a délivré à l'intéressée, le même jour, une attestation de dépôt de demande de titre de séjour. Si la préfète du Rhône a, par les courriers de relance du 4 juin et 4 novembre 2021, sollicité de l'intéressée, la production des pièces complémentaires et autres documents permettant d'actualiser sa situation, aucune de ces pièces n'est au nombre de celles que l'intéressée doit, en vertu des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables à sa situation, fournir à l'appui de sa demande de titre de séjour pour lui conférer un caractère complet. Dès lors, la préfète du Rhône doit être regardée comme ayant adressé à Mme B... une demande de pièces aux seules fins de porter une appréciation sur son droit au séjour. Il s'ensuit qu'une décision implicite de rejet de la demande de titre de séjour de Mme B... est bien née, du silence gardé par l'autorité préfectorale, le 23 juillet 2021. Par suite, il appartenait à la préfète du Rhône, dont les invitations à compléter le dossier sont restées sans effet, d'en tirer les conséquences, soit en rejetant la demande par une décision explicite soit en motivant la décision de rejet implicite en réponse à la demande de communication des motifs faite par Mme B....
En ce qui concerne la légalité de la décision implicite de rejet :
7. L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". Selon les termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 de ce code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande ".
8. Il résulte de ces dispositions qu'en cas de silence gardé par l'administration sur une demande de communication, en l'espèce une demande de titre de séjour, la décision implicite de rejet est illégale faute d'être motivée suite à la demande de l'intéressée formulée dans les délais de recours.
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., par une lettre du 26 juillet 2021 réceptionnée le 30 juillet suivant, soit un mois après la naissance de la décision implicite de rejet, a demandé la communication des motifs de rejet opposé à sa demande. Le préfet du Rhône n'a pas communiqué, dans le délai d'un mois en application de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, les motifs de rejet. C'est à bon droit que le tribunal administratif de Lyon a jugé que la décision de refus de titre de séjour est illégale.
En ce qui concerne l'incompétence de la préfète du Rhône :
10. Aux termes de l'article R. 431-20 du code d'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve de l'exception prévue à l'article R.426-3, le titre de séjour est délivré par le préfet du département dans lequel l'étranger a sa résidence et, à Paris, par le préfet de police ".
11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que tant à la date de la décision de rejet implicite attaquée qu'à la date de la demande de communication des motifs de rejet, Mme B... était résidente au département du Rhône. Par conséquent, le moyen tiré de l'incompétence du préfet du Rhône pour l'examen de la demande de droit au séjour de Mme B... doit être écarté.
12. En deuxième lieu, la légalité d'une décision administrative s'appréciant à la date de son édiction la préfète du Rhône ne peut utilement faire valoir que l'intéressée ayant déposé une nouvelle demande de titre auprès du préfet de l'Isère le 22 avril 2022, elle se trouvait dessaisie de l'examen du droit au séjour de Mme B... à la date de l'audience devant le tribunal administratif de Lyon le 6 juin 2023.
13. En troisième lieu, lorsque l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt implique normalement, eu égard aux motifs de ce jugement ou de cet arrêt, le prononcé d'une injonction, il appartient au juge, saisi de conclusions sur le fondement des dispositions précitées, de statuer sur ces conclusions, en tenant compte, le cas échéant après une mesure d'instruction, de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision. Si, au vu de cette situation de droit et de fait, il apparaît toujours que l'exécution du jugement ou de l'arrêt implique nécessairement une mesure d'exécution, il incombe au juge de la prescrire à l'autorité compétente.
14. Si la préfète du Rhône soutient en appel que l'intéressée ayant déposé une nouvelle demande de titre de séjour auprès du préfet de l'Isère le 22 avril 2022, elle se trouvait dessaisie de l'examen du droit au séjour de Mme B... à la date de l'audience devant le tribunal administratif de Lyon, le 6 juin 2023 et que le préfet de l'Isère a statué sur ce droit au séjour les 4 octobre 2022 et le 3 mars 2023, ce que l'intéressée et son conseil ne pouvaient ignorer, le même cabinet étant intervenu lors des audiences du 8 novembre 2022 et du 30 juin 2023, il ressort des pièces du dossier de première instance que la préfète du Rhône n'a produit ni mémoire en défense ni l'entier dossier relatif à la situation de l'intéressée. En outre, la préfète du Rhône n'était ni présente, ni représentée, à l'audience du 6 juin 2023. Enfin, l'intéressée et son représentant n'ont pas non plus informé le premier juge de la décision du préfet de l'Isère.
15. Toutefois, la préfète du Rhône est recevable en appel à contester le jugement en tant qu'il prononce une injonction de réexamen. Il résulte de l'instruction et du dossier d'appel que le préfet de l'Isère a réexaminé la situation de Mme B... antérieurement au jugement attaqué. Dès lors, les conclusions aux fins d'injonction de réexamen étaient devenues sans objet à la date du jugement attaqué. Par suite, il y a lieu pour la cour, d'annuler le jugement pour avoir omis de prononcer un non-lieu à statuer sur ce point et de constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'injonction de réexamen.
16. Il résulte de ce tout ce qui précède que la préfète du Rhône n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé sa décision implicite de rejet. Par suite, le surplus des conclusions qu'elle présente en appel doit être rejeté.
Sur les conclusions de la requête n° 23LY02698 :
17. Le présent arrêt rejetant l'appel de la préfète du Rhône, il n'y a plus lieu de statuer sur sa demande de sursis à exécution.
Sur les frais liés au litige :
18. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, une somme de 1 200 euros à verser à Mme B... au titre des frais d'instance exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 23LY02698.
Article 2 : Le jugement n° 2200088 du 20 juin 2023 est annulé en ce qu'il a omis de constater un non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins d'injonction de réexamen.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'injonction de réexamen présentées par Mme B... devant le tribunal administratif.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la préfète du Rhône est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie du présent arrêt en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2023.
Le président-rapporteur,
F. BourrachotLa présidente-assesseure,
P. Dèche
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 23LY02697, 23LY02698 2
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