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21/12/2023 | FRANCE | N°22LY03013

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 21 décembre 2023, 22LY03013


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 24 juillet 2018 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique de la société VFD contre la décision du 16 octobre 2017 de l'inspecteur du travail de la 22ème section de l'unité départementale de l'Isère refusant d'autoriser son licenciement et, d'autre part, a annulé cette décision et autorisé ce licenciement.



Par un jugement n° 1806054 du 31 mai 2019, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 24 juillet 2018 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, retiré sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique de la société VFD contre la décision du 16 octobre 2017 de l'inspecteur du travail de la 22ème section de l'unité départementale de l'Isère refusant d'autoriser son licenciement et, d'autre part, a annulé cette décision et autorisé ce licenciement.

Par un jugement n° 1806054 du 31 mai 2019, le tribunal administratif a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 19LY03094 du 18 mai 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société VFD contre ce jugement.

Par décision n° 454723 du 7 octobre 2022, le Conseil d'État statuant au contentieux a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour le jugement de l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 22LY03013.

Procédure devant la cour avant cassation

Par une requête et un mémoire enregistrés le 5 août et le 29 novembre 2019, la société VFD, représentée par Me Curt, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il a annulé la décision ministérielle du 24 juillet 2018 et de rejeter la demande présentée au tribunal par M. B... ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la faute commise par M. B... est d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, dès lors qu'il n'a pas respecté les procédures internes à l'entreprise sur les règles de sécurité.

Par mémoires enregistrés le 28 octobre 2019, les 22 et 24 janvier 2020 (ces derniers non communiqués), M. B..., représenté par Me Slupowski, conclut dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société VFD au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Procédure devant la cour après cassation

Par un mémoire enregistré le 24 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Slupowski conclut aux mêmes fins.

Il soutient que :

- la requête d'appel est tardive ;

- le ministre a illégalement retiré sa décision implicite de rejet dans un délai supérieur à deux mois ;

- la décision en litige est insuffisamment motivée ;

- en estimant qu'il n'y a pas de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat représentatif qu'il exerçait, la ministre a entaché sa décision d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire enregistré le 16 novembre 2022, la société VFD, représentée par Me Curt, qui conclut aux mêmes fins, demande en outre que la somme devant être mise à la charge de M. B... soit portée à 5 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de procédure civile ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;

- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;

- les observations de Me Meyzonnade, représentant la société VFD et de Me Slupowski, représentant M. B... ;

Une note en délibéré a été présentée pour M. B... et a été enregistrée le 11 décembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société VFD, spécialisée dans le transport par autocars, a sollicité auprès de l'inspecteur du travail de la 22ème section de l'Isère l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. A... B..., conducteur-receveur exerçant les fonctions de délégué du personnel, délégué syndical et de membre du comité d'entreprise. Par une décision du 16 octobre 2017, l'inspecteur du travail a refusé de délivrer l'autorisation de licenciement sollicitée. La ministre du travail, saisie par un recours hiérarchique formé par l'employeur, a, par une décision du 24 juillet 2018, retiré sa décision implicite de rejet née du silence gardé sur ce recours, annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 16 octobre 2017 et autorisé le licenciement. Par un jugement du 31 mai 2019, le tribunal administratif de Grenoble a, sur demande de M. B..., annulé cette décision. Par un arrêt du 18 mai 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel présenté par la société VFD contre ce jugement. Par une décision du 7 octobre 2022, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour pour qu'elle y statue de nouveau.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4. "

3. Ce délai est un délai franc. En vertu de la règle rappelée à l'article 642 du code de procédure civile, un délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié à la société VFD le 4 juin 2019. Le délai d'appel de deux mois, expirant le dimanche 4 août, était donc prorogé jusqu'au lundi 5 août 2019, à minuit. La requête de la société VFD, enregistrée au greffe de la cour le 5 août 2019, à 13 heures 05, n'est donc pas tardive.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., après avoir transporté dix-huit enfants et trois adultes d'une colonie de vacances à l'occasion d'une sortie d'une demi-journée le 18 juillet 2017, a procédé, une fois ces passagers raccompagnés au lieu de cette colonie de vacances, à un nettoyage et une inspection du véhicule sur place, puis qu'il a ensuite conduit et garé son véhicule au dépôt de la société VFD, où il l'a laissé à la fin de son service après en avoir fermé les trappons avant et arrière, et que ce même jour vers 18 h 55, un des collègues de M. B..., de retour au dépôt de la société VFD, a découvert fortuitement un des jeunes enfants de la colonie de vacances, auparavant endormi dans ce véhicule, qui se manifestait, en pleurs, pour essayer d'en sortir. Ces faits qui sont matériellement établis et qui traduisent le manque de vigilance dont M. B... a fait preuve présentent un caractère fautif. Si M. B... fait valoir que cette faute n'était pas intentionnelle, qu'il a reconnu les faits et ainsi montré le sens des responsabilités exigé d'un conducteur de véhicule de transport en commun, que cette défaillance ne reflétait pas sa manière habituelle de servir et qu'il n'a fait l'objet d'aucune sanction durant les six années passées au sein de la société VFD, il ressort des pièces du dossier que le défaut de vigilance de M. B..., dont l'attention avait été appelée en application du " guide du conducteur " 2017 de l'entreprise sur la nécessité, à la fin du service, de faire le tour du véhicule à l'extérieur comme à l'intérieur, a conduit à ce qu'un enfant se retrouve enfermé dans un véhicule de transport collectif stationné au dépôt de la société après la fin du service, à une heure tardive rendant particulièrement aléatoire sa découverte à bref délai, seul le passage fortuit d'un collègue de M. B... ayant, en l'espèce, permis de le faire sortir de ce véhicule. Compte tenu de ces éléments, les agissements reprochés à l'intéressé présentent un caractère de gravité suffisant pour justifier son licenciement. Par suite, la société VFD est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de ce que la ministre du travail avait entaché sa décision du 24 juillet 2018 d'erreur d'appréciation.

6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... tant en première instance qu'en appel.

Sur les autres moyens invoqués par M. B... en première instance et en appel :

7. En premier lieu, lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre chargé du travail doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision. Dans le cas où le ministre, ainsi saisi d'un recours hiérarchique, annule la décision par laquelle un inspecteur du travail s'est prononcé sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, il est tenu de motiver l'annulation de cette décision ainsi que le prévoit l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, que cette annulation repose sur un vice affectant la légalité externe de la décision ou sur un vice affectant sa légalité interne. Dans le premier cas, si le ministre doit indiquer les raisons pour lesquelles il estime que la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'illégalité externe, il n'a pas en revanche à se prononcer sur le bien-fondé de ses motifs. Dans le second cas, il appartient au ministre d'indiquer les considérations pour lesquelles il estime que le motif ou, en cas de pluralité de motifs, chacun des motifs fondant la décision de l'inspecteur du travail est illégal.

8. Il ressort des pièces du dossier que, par sa décision du 16 octobre 2017, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. B... au motif que les faits reprochés au salarié n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Par sa décision du 24 juillet 2018, la ministre du travail, après avoir retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique, née le 15 avril 2018 (article 1), a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 16 octobre 2017 (article 2) pour un motif tiré de l'illégalité interne de celle-ci en raison de l'erreur d'appréciation commise par l'inspecteur du travail. Puis, se prononçant à nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement, la ministre a accordé l'autorisation (article 3), après avoir estimé d'une part, que les faits matériellement établis portant sur le comportement du conducteur allant à l'encontre de ses obligations et sur le non-respect des procédures en vigueur au sein de l'entreprise et sur la mise en danger de la sécurité des clients par négligence caractérisaient une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé, d'autre part, qu'il n'existait aucun indice de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice des mandats détenus par le salarié. En exposant ces éléments, la ministre du travail a, contrairement à ce que soutient M. B..., suffisamment motivé sa décision du 24 juillet 2018.

9. En deuxième lieu, M. B... fait valoir que deux salariés de la société VFD qui ont commis des fautes graves, pour le premier, en oubliant un adolescent dans un bus et pour le second, en effectuant une marche arrière sur l'autoroute n'ont fait l'objet d'aucune mesure de licenciement. Toutefois ces circonstances ne sont pas à elles seules de nature à établir l'existence d'un lien qui existerait entre les mandats qu'il exerce et la demande d'autorisation de licenciement sollicitée.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. "

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que, en refusant de faire droit à la demande d'autorisation de licenciement de M. B..., présentée par la société VFD, en raison de l'absence de gravité suffisante des faits reprochés au salarié pour justifier son licenciement, l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation. La décision du 16 octobre 2017 étant entachée d'illégalité, la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société VFD, qui la confirme, était également illégale. Ainsi, et alors qu'il est constant que ce retrait est intervenu dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision implicite, la ministre du travail pouvait donc légalement la retirer. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut être accueilli.

12. Il résulte de ce qui précède que la société VFD est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 24 juillet 2018 de la ministre du travail. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société VFD, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. B... une somme au profit de la société VFD sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1806054 du 31 mai 2019 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de la société VFD présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société VFD et au ministre du travail, du plein l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente-assesseure,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

La rapporteure,

P. Dèche

Le président,

F. Bourrachot,

La greffière,

A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein l'emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03013


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03013
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. - Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Pascale DECHE
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : SLUPOWSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22ly03013 ?
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