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21/12/2023 | FRANCE | N°22LY02879

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 21 décembre 2023, 22LY02879


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble, établissement support du Greta de Grenoble, à lui verser les sommes de 18 566,23 euros, 113 778,79 euros et 60 309,15 euros correspondant respectivement à une perte de revenus subie entre juillet 2018 et décembre 2019, une perte de chance au titre de droits à la retraite ainsi qu'un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, avec les intérêts au

taux légal à compter du 25 mai 2020 et la capitalisation de ces intérêts.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble, établissement support du Greta de Grenoble, à lui verser les sommes de 18 566,23 euros, 113 778,79 euros et 60 309,15 euros correspondant respectivement à une perte de revenus subie entre juillet 2018 et décembre 2019, une perte de chance au titre de droits à la retraite ainsi qu'un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, avec les intérêts au taux légal à compter du 25 mai 2020 et la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n° 2005321 du 30 juin 2022, le tribunal a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 3 octobre 2022, M. A..., représenté par Me Leblanc, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble, établissement support du Greta de Grenoble, à lui verser ces sommes avec les intérêts au taux légal à compter du 25 mai 2020 et la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge du lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son licenciement est fautif, en l'absence de justification de difficultés économiques ;

- son licenciement est également fautif à défaut de mise en œuvre de l'obligation de reclassement, et est à l'origine de sa perte injustifiée d'emploi ;

- la décision du 25 avril 2018 était illégale, étant entachée d'un défaut de motivation et d'un vice de procédure faute de communication de l'avis de la commission administrative paritaire compétente ;

- l'illégalité de son licenciement lui a causé un préjudice direct et certain correspondant à une perte de revenus durant la période du 1er juin 2018 au 14 décembre 2019, pour un montant de 18 566,23 euros, une perte de chance de bénéficier d'une pension de retraite plus importante, pour un montant de 113 778,79 euros, ainsi qu'un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, à hauteur de 60 309,15 euros.

Par un mémoire enregistré le 27 février 2023, le lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble, représenté par Me Le Chatelier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés et, qu'en toute hypothèse, les montants des chefs de préjudice invoqués sont excessifs.

Par une ordonnance du 27 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mai 2023.

La demande d'aide juridictionnelle de M. A... a été rejetée par une décision du 3 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Chassagne, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Leblanc, pour M. A..., ainsi que celles de Me Riffard, substituant Me Le Chatelier, pour le lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble, établissement support du Greta de Grenoble ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté par le Greta de Grenoble, dont le lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble est l'établissement support, en dernier lieu par contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2007 et en qualité de responsable de formation au service industrie de cet organisme. Par un courrier du 25 avril 2018, l'ordonnateur du Greta de Grenoble a prononcé son licenciement pour motif économique, avec effet au 30 juin 2018. Le tribunal administratif de Grenoble, par un jugement devenu définitif du 14 octobre 2019, a annulé cette décision et a enjoint à cette autorité, sous deux mois, de le réintégrer juridiquement à compter du 1er juillet 2018 et de reconstituer ses droits sociaux et ses droits à retraite entre cette date et la date du jugement mais également de le réintégrer effectivement à compter de cette dernière date. Par un arrêté du 12 décembre 2019, prévoyant également la reconstitution rétroactive de ses droits sociaux et à la retraite pour cette période, M. A... a été juridiquement réintégré à compter du 1er juillet 2018 jusqu'au 31 mars 2019, l'intéressé ayant fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er avril 2019. La réclamation indemnitaire préalable de M. A..., formée par un courrier du 25 mai 2020 au titre des chefs de préjudice qu'il estimait avoir subis du fait de la décision de licenciement, a été rejetée par un courrier du 15 juillet 2020. M. A... relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de condamnation du lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble, établissement support du Greta de Grenoble, à lui verser une somme totale de 192 654,17 euros, avec les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision du 25 avril 2018.

2. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.

Sur le principe de la responsabilité :

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal du conseil d'administration du lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble, établissement support du Greta de Grenoble, du 17 octobre 2017, relatif aux projections budgétaires pour l'année 2018, qu'à la date de la décision du 25 avril 2018, la situation économique de cet organisme et en particulier de son service industrie, au sein duquel M. A... exerçait ses fonctions, était fortement affectée. Ainsi, il apparait que, compte tenu de la baisse significative des demandes de formation pour ce service, amorcée depuis plusieurs années, alors qu'elles représentaient une part importante de l'activité du Greta, son financement ne bénéficiant pas de subventions directes et étant fonction des formations rémunérées qu'il dispense, une baisse des effectifs, comprenant certains agents en contrat à durée indéterminée, était nécessaire. Ni l'insuffisance formelle de motivation de la décision de licenciement du 25 avril 2018, qui a justifié son annulation par le jugement du 14 octobre 2019, ni le document budgétaire du mois de mai 2018 postérieur à cette décision ne permettent d'établir l'absence de réalité du motif tiré de difficultés économiques. M. A... n'est donc pas fondé à soutenir que son premier licenciement serait fautif en l'absence de justification de difficultés économiques.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 45-5 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État, applicable aux agents contractuels recrutés pour exercer leurs fonctions dans les Greta par application de l'article L. 937-1 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable : " I.- Le licenciement pour un des motifs prévus aux 1° à 4° de l'article 45-3 ne peut être prononcé que lorsque le reclassement de l'agent, dans un autre emploi que la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 autorise à pourvoir par un agent contractuel et dans le respect des dispositions légales régissant le recrutement des agents non titulaires, n'est pas possible. Ce reclassement concerne les agents recrutés pour des besoins permanents par contrat à durée indéterminée (...). / Il s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie hiérarchique ou à défaut, et sous réserve de l'accord exprès de l'agent, d'un emploi relevant d'une catégorie inférieure. / L'offre de reclassement concerne les emplois des services relevant de l'autorité ayant recruté l'agent. L'offre de reclassement proposée à l'agent est écrite et précise. L'emploi proposé est compatible avec ses compétences professionnelles. / II.- Lorsque l'administration envisage de licencier un agent pour l'un des motifs mentionnés au I du présent article, elle convoque l'intéressé à un entretien préalable selon les modalités définies à l'article 47. A l'issue de la consultation de la commission consultative paritaire prévue à l'article 1er-2, elle lui notifie sa décision par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge. / Cette lettre précise le ou les motifs du licenciement et la date à laquelle celui-ci doit intervenir, compte tenu des droits à congés annuels restant à courir et de la durée du préavis prévu à l'article 46. / Cette lettre invite également l'intéressé à présenter une demande écrite de reclassement, dans un délai correspondant à la moitié de la durée du préavis prévu à l'article 46 et indique les conditions dans lesquelles les offres de reclassement sont susceptibles de lui être adressées. / (...). ".

5. Il ne résulte pas de l'instruction que l'ordonnateur du Greta de Grenoble aurait invité M. A..., dans son courrier de convocation à l'entretien préalable au licenciement ayant été prononcé par décision du 25 avril 2018, à présenter une demande écrite de reclassement, ou, en toute hypothèse, qu'il aurait été procédé à une recherche de reclassement avant l'intervention de cette décision, conformément aux dispositions de l'article 45-5 précité. Ainsi, le Greta de Grenoble n'a pas satisfait à son obligation de recherche de reclassement à l'égard de M. A.... Cette illégalité fautive est, le cas échéant, de nature à engager la responsabilité de l'administration

6. En dernier lieu, dès lors que le tribunal administratif de Grenoble a définitivement estimé, par son jugement du 14 octobre 2019, que la décision de licenciement du 25 avril 2018 était entachée d'un défaut de motivation et d'un vice de procédure en raison de l'absence d'avis émis par la commission administrative paritaire compétente sur le projet de licenciement de l'intéressé, de telles fautes sont, à condition d'avoir causé à M. A... un préjudice direct et certain, susceptibles d'engager, à son égard, la responsabilité du lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble, établissement support du Greta de Grenoble.

Sur la réparation du préjudice :

7. En premier lieu, M. A... soutient que l'illégalité de son licenciement lui a causé un préjudice correspondant à une perte de revenus durant la période du 1er juin 2018 au 14 décembre 2019, pour un montant de 18 566,23 euros. Toutefois, il résulte de l'instruction que, compte-tenu des difficultés économiques évoquées au point 3, le Greta de Grenoble a été amené à modifier son organisation interne, et a pu ainsi proposer à M. A..., il est vrai après l'intervention de la décision de licenciement, par courrier du 27 juin 2018, un reclassement sur un poste de coordonnateur à temps partiel à hauteur de 60 %, dont l'activité devait être répartie pour les deux tiers sur le service tertiaire et pour le tiers restant au sein de la filière " sécurité " de cet organisme. Or, l'intéressé a refusé cette proposition par courriel du 4 juillet 2018. Si M. A... fait par ailleurs valoir qu'un poste de responsable de formation à temps complet sur le service tertiaire ne lui a pas été proposé, le Greta de Grenoble fait valoir en défense, sans être contesté, que de toutes les façons ce dernier ne possédait pas l'une des compétences requises. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que d'autres postes auraient été disponibles au sein du Greta pour que M. A... soit reclassé avant son licenciement. Dans ces conditions, d'une part, M. A... n'a pas perdu une chance sérieuse d'être reclassé, et d'autre part, les seules fautes tirées de l'insuffisance de motivation et d'un vice de procédure en raison de l'absence d'avis émis par la commission administrative paritaire compétente sur le projet de licenciement entachant la décision du 25 avril 2018 ne sauraient être regardées comme étant à l'origine, de manière directe et certaine, d'un quelconque préjudice dès lors qu'il résulte de l'instruction que compte tenu de ce qui a été exposé au point 3, cette décision de licenciement aurait pu légalement être prise, dans le cadre d'une procédure régulière. Ce chef de préjudice doit donc être écarté.

8. En deuxième lieu, M. A... demande à être indemnisé de la perte de chance de bénéficier d'une pension de retraite plus importante, qu'il évalue à la somme de 113 778,79 euros. Toutefois, il résulte de l'instruction que le lycée polyvalent Vaucanson de Grenoble, établissement support du Greta de Grenoble a régularisé sa situation, pour la période du 1er juin 2018 au 31 mars 2019, au titre de ses droits à la retraite et de ses droits sociaux en vertu d'un arrêté du 12 décembre 2019 pris en application du jugement du 14 octobre 2019 précité. Par ailleurs, M. A... n'est pas fondé à invoquer cette perte de chance pour la période postérieure au 1er avril 2019, un tel chef de préjudice, en toute hypothèse, étant sans lien avec les fautes dont il se prévaut, dès lors que l'intéressé a fait valoir ses droits à la retraite à compter de cette date et a bénéficié d'une retraite à taux plein. Ce chef de préjudice ne peut ainsi être retenu.

9. En dernier lieu, et alors au demeurant que pour demander l'indemnisation d'un préjudice moral et de troubles dans ses conditions d'existence, évalués à hauteur de 60 309,15 euros, M. A..., qui était un agent public, ne saurait utilement se référer aux barèmes existant en droit du travail, il n'est pas fondé à en obtenir réparation pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7. Ce chef de préjudice ne saurait être indemnisé.

10. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de M. A... une somme au titre des frais exposés par le lycée polyvalent Vaucanson, établissement support du Greta de Grenoble et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le lycée polyvalent Vaucanson, établissement support du Greta de Grenoble au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., et au lycée polyvalent Vaucanson, établissement support du Greta de Grenoble.

Copie en sera adressée au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement ;

M. Chassagne, premier conseiller ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le rapporteur,

J. Chassagne

La présidente de la formation de jugement,

A. Duguit-LarcherLa greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02879

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02879
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité et illégalité.


Composition du Tribunal
Président : Mme DUGUIT-LARCHER
Rapporteur ?: M. Julien CHASSAGNE
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : ADALTYS AFFAIRES PUBLIQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22ly02879 ?
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