Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'office public de l'habitat Lille Métropole Habitat a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement la société par actions simplifiée (SAS) Ramery Revitalisation, venant aux droits de la société Apinor, venant elle-même aux droits de la société Sodenor, la société à responsabilité limitée (SARL) Pingat XD, venant aux droits de la société Cobat, M. A... B..., la société anonyme (SA) Axa France IARD ainsi que la SA Covea Risks à lui verser la somme de 421 057,14 euros.
Par un jugement n°1807651 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Lille, après avoir rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions dirigées contre les sociétés Axa France IARD, MMA IARD Assurances Mutuelles et la MMA IARD et mis hors de cause la société Pingat XD, a condamné la société Ramery Revitalisation à verser à l'office public de l'habitat Lille Métropole Habitat (LMH) la somme de 258 500,50 euros, a mis à sa charge définitive également les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 6 058,33 euros, a condamné M. B... à garantir la société Ramery Revitalisation à hauteur de 25 % des condamnations prononcées à son encontre, a mis à la charge de la société Ramery Revitalisation la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 mai, 10 octobre et 7 novembre 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société Ramery Revitalisation, représentée par Me Haquette, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de Lille Métropole Habitat, et de toutes autres parties en ce qu'elles sont dirigées contre elle ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner in solidum M. B..., la société Axa France Iard, la société MMA Iard assurance mutuelles et la SA MMA Iard à la relever et la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre et à ce que Lille Métropole Habitat conserve une quote-part ne pouvant être inférieure à 50 % ;
4°) de mettre à la charge de Lille Métropole Habitat ou de toute partie perdante, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- sa responsabilité ne peut pas être recherchée sur le fondement de la garantie décennale en l'absence d'ouvrage et de désordres, au sens des dispositions de l'article 1792 du code civil ;
- les demandes financières de Lille Métropole Habitat n'ont pas pour but de réparer un " désordre " mais d'indemniser des surcoûts et retards de travaux ; le tribunal administratif n'a pas répondu sur ce point ;
- la garantie décennale n'a pas vocation à réparer des dommages immatériels ; au demeurant Lille Métropole Habitat est à l'origine des préjudices qu'elle allègue, en ne s'étant pas opposée aux majorations de prix proposées par la société Cari Thouraud ;
- en admettant même les non-conformités alléguées, celles-ci étaient visibles lors de la réception des ouvrages ;
- sa responsabilité ne peut pas être non plus recherchée sur le fondement contractuel, la réception ayant été prononcée sans réserve et le marché ayant été intégralement réglé ;
- en tout état de cause, l'action contractuelle de Lille Métropole Habitat est frappée par la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil ;
- les demandes de Lille Métropole Habitat ne sont justifiées ni dans leur principe, ni dans leur montant ;
- subsidiairement, en cas de condamnation à son encontre, il conviendra de retenir la faute de M. B..., maître d'œuvre, qui n'a pas prévu les moyens de s'assurer du résultat et ne s'est pas assuré de la conformité de l'exécution des travaux ; le taux de garantie de 25 % retenu par le tribunal administratif devra être majoré ;
- si M. B... n'était pas partie au rapport d'expertise, il peut néanmoins en discuter au cours de la procédure judiciaire ;
- son action à l'encontre de M. B... n'est pas prescrite ;
- une quote-part est également imputable au maître d'ouvrage, qui n'a pas détecté les difficultés au moment de la réception des travaux de démolition et dont l'inertie a participé aux retards du chantier dont il demande à être indemnisé.
Par des mémoires, enregistrés les 23 mai et 24 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Parichet, conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) à la confirmation du jugement en tant que le tribunal administratif a rejeté les conclusions de Lille Métropole Habitat à son encontre ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement en tant que le tribunal administratif de Lille l'a condamné à garantir la société Ramery Revitalisation des condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et a rejeté le surplus de ses conclusions ;
3°) au rejet, en conséquence, des conclusions de la société Ramery Revitalisation, de Lille Métropole Habitat, de la société MMA Iard assurances mutuelles, et de la SA MMA Iard ou de toute autre partie, présentées à son encontre ;
4°) subsidiairement, sur le fond, au rejet de l'ensemble des conclusions de Lille Métropole Habitat à son encontre ;
5°) à titre encore plus subsidiaire, à ce que la société Ramery Revitalisation, la société Axa France Iard, la société MMA Iard assurances mutuelles et la société MMA Iard le garantissent et relèvent indemne de toutes condamnations prononcées à son encontre, LMH gardant à sa charge une quote-part ne pouvant être inférieure à 50 % ;
6°) à titre encore plus subsidiaire, à ce que sa quote-part de responsabilité soit limitée à un pourcentage qui ne saurait être supérieur à 15 % ;
7°) à la mise à la charge de tout succombant, de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les actions de LMH sur le fondement des garanties décennale et contractuelle sont prescrites dès lors que l'office n'a dirigé ses demandes à son égard pour la première fois que le 5 novembre 2021 ;
- pour les mêmes raisons, l'action en garantie formulée par la société Ramery revitalisation à son encontre est également privée d'objet ;
- subsidiairement, l'expertise lui est inopposable dès lors qu'il n'a pas été personnellement attrait aux opérations d'expertise ; en conséquence, elle n'a pas interrompu le délai de prescription ;
- à titre encore plus subsidiaire, sa responsabilité ne peut pas être recherchée au motif qu'il aurait exercé sous l'enseigne Cobat, dès lors qu'il n'a jamais été une filiale de cette société et qu'il disposait de son propre numéro au registre du commerce et des sociétés ;
- sa responsabilité décennale ne peut être engagée dès lors que sa mission de maîtrise d'œuvre s'est limitée à des travaux de démolition ; il n'avait aucune mission de coordination et n'avait donc pas à s'enquérir des cotes altimétriques voulues par la maîtrise d'œuvre chargée de la construction des immeubles ; il n'avait pas davantage de mission VISA ;
- il n'existe aucun désordre de nature décennale ;
- le préjudice allégué par LMH reste hypothétique, en ce qu'il est réclamé sur le fondement d'un risque éventuel lié à la stabilité ultérieure des fondations ; en l'absence de préjudice matériel, les réclamations au titre du préjudice immatériel doivent être rejetées ;
- les problématiques dénoncées par la société Cari Thouraud étaient parfaitement visibles au moment de la réception ;
- en tout état de cause, le rapport d'expertise n'identifie que des problématiques d'exécution des travaux de démolition par l'entreprise ;
- sa responsabilité au titre d'un manquement au devoir de conseil ne peut pas être engagée dès lors qu'il n'a pas été informé par le maître d'ouvrage des désordres ;
- LMH est à l'origine des préjudices qu'il allègue dès lors qu'il ne s'est pas opposé aux majorations de prix proposées à tort par la société Cari Thouraud ;
- le lien de causalité entre les préjudices et les opérations de démolition n'est pas établi, la société Cari Thouraud ayant fait supporter par le maître d'ouvrage des travaux qu'elle aurait normalement dû englober dans sa prestation initiale.
Par un mémoire, enregistré le 30 septembre 2022, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, co-assureurs de la société Cobat, représentées par Me Vercaigne, concluent :
1°) à la confirmation du jugement en ce que le tribunal administratif a rejeté les demandes dirigées contre elles ;
2°) au rejet des appels en garantie présentés par M. B... et la société Ramery Revitalisation ;
3°) à l'annulation du jugement en tant qu'il a condamné M. B... à garantir la société Ramery Revitalisation à hauteur de 25 % des condamnations au titre des travaux et frais d'expertise ;
4°) à ce que la société Ramery Revitalisation soit déboutée de sa demande de garantie à l'encontre de M. B... et par voie de conséquence, à leur encontre ;
5°) à la mise à la charge solidaire de la société Ramery Revitalisation et de M. B..., de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que des entiers dépens.
Elles soutiennent que :
- la juridiction administrative est incompétente pour connaître des demandes en garantie présentées à titre subsidiaire par la société Ramery Revitalisation et M. B... à leur encontre ;
- ces demandes sont irrecevables car présentées pour la première fois en appel ;
- l'action de LMH à l'encontre de M. B... au titre de la garantie décennale est prescrite ;
- l'action récursoire de la société Ramery Revitalisation est également prescrite ;
- le point de départ de la prescription quinquennale est l'assignation en référé expertise délivrée à la société Apinor, et non la date de la demande au fond présentée par LMH comme l'a jugé le tribunal administratif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2022, l'office public de l'habitat Lille Métropole Habitat, représenté par Me Deregnaucourt, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à l'annulation du jugement en tant que le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'indemnisation au titre de la perte des loyers et ses conclusions dirigées contre M. B... ;
3°) à titre principal, à ce que la société Ramery Revitalisation et M. B... soient condamnés in solidum à lui verser la somme de 421 057,14 euros sur le fondement de la garantie décennale ;
4°) à titre subsidiaire, à ce que la société Ramery Revitalisation et M. B... soient condamnés à lui verser la somme de 421 057,14 euros sur le fondement de la responsabilité contractuelle ;
5°) en tout état de cause, à la mise à la charge solidaire de la société Ramery Revitalisation et de M. B... de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que des entiers dépens.
Il soutient que :
- les travaux de démolition ont été réalisés à l'occasion de la réalisation d'un ouvrage, à savoir des logements pour lesquels un marché de maîtrise d'œuvre avait été attribué avant même l'attribution du marché de démolition ; le choix de scinder l'opération en deux marchés distincts ne saurait entraîner le rejet de la qualification d'ouvrage ;
- la non-conformité du sol a eu pour effet de rendre l'ouvrage impropre à sa destination ;
- cette non-conformité aurait compromis également la solidité de l'ouvrage à venir ;
- il est fondé à demander une indemnisation pour les surcoûts et retards de travaux ;
- l'écart d'altimétrie de 30 cm n'était pas visible lors de la réception ;
- à titre subsidiaire, il est fondé à rechercher la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre, qui est tenu à une obligation de conseil au-delà de la réception mais aussi de la société Ramery Revitalisation, en sa qualité d'entreprise spécialisée ;
- l'action contractuelle se prescrivant par dix ans et non par cinq ans, le maître d'ouvrage pouvait encore agir lors de l'introduction de la requête en 2018, le délai ayant commencé à courir le 15 juillet 2010 ; le jugement du tribunal administratif doit être infirmé sur ce point ;
- M. B... a exercé sous l'enseigne Cobat, laquelle est intervenue au cours des opérations d'expertise, sans jamais opposer qu'elle n'aurait pas été la partie contractante au marché de maîtrise d'œuvre relatif aux travaux de démolition ;
- il maintient cependant, également ses demandes à l'encontre de M. B... en son nom personnel ;
- le suivi des travaux, qui figurait parmi les missions de M. B..., impliquait de s'assurer du respect des cotes altimétriques ;
- le partage de responsabilité demandé par la société Ramery Revitalisation n'est pas fondé dès lors qu'il a été contraint d'attendre l'identification des responsabilités à la suite des déclarations de sinistre et la préconisation de la solution réparatoire pour avancer dans le projet ; l'office n'a ainsi pas participé à la réalisation du préjudice dont il demande réparation ;
- les désordres ont retardé le chantier de vingt-trois mois et ont conduit à une perte de loyers, dans un contexte de demande sociale nettement supérieure au nombre de logements disponibles ; le préjudice résultant d'une perte de loyers d'un montant de 162 556,64 euros est établi ;
- à cet égard, le tribunal administratif a méconnu son office en s'abstenant de mettre en œuvre ses pouvoirs d'instruction ;
- le retard dans l'exécution du chantier a été acté par l'expert judiciaire, le chantier ayant été réceptionné le 24 mars 2011 ;
- le surcoût lié aux travaux de construction s'élève à la somme de 258 500,50 euros.
Par un mémoire, enregistré le 17 octobre 2022, la société Pingat XD, représentée par Me Boddaërt, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause et à la mise à la charge de Lille Métropole Habitat et de toute autre partie perdante, d'une somme de 2 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que des entiers dépens.
Elle soutient que :
- le marché régularisé par LMH l'a été avec M. B..., exerçant en son nom propre et en aucun cas avec la société Cobat Nord devenue Pingat XD, qui n'existait pas au moment de la conclusion du contrat, ni au moment de son exécution ; M. B... exerçant en son nom personnel, il ne peut être regardé comme une filiale de la société Cobat Nord ;
- il est donné acte qu'en appel, la société Ramery Revitalisation a renoncé à diriger ses conclusions contre elle et les a dirigées contre M. B....
Par une ordonnance du 7 octobre 2022, la clôture l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 7 novembre 2022, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Haquette représentant la société Ramery Revitalisation, de Me Leuliet, représentant Lille Métropole Habitat et de Me Parichet, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Le 23 mars 2004, l'office public d'habitations à loyer modéré de Lille Métropole-Communauté urbaine, devenu Lille Métropole Habitat (LMH), a confié à M. A... B..., agissant en son nom personnel sous l'enseigne " Cabinet Cobat ", un marché de maîtrise d'œuvre et d'organisation, de coordination et de planification du chantier consistant d'une part, à démolir un bâtiment situé 61 rue de la Croix Rouge à Tourcoing, en vue de " libérer des surfaces foncières qui recevront un pré-verdissement en attente d'une future construction " et, d'autre part, à la remise en état du sol. Le marché de travaux de démolition a quant à lui été confié en 2005 à la société Sodenor, aux droits de laquelle est venue la société Ramery Revitalisation. En avril 2005, LMH a confié au groupement d'entreprises composé du cabinet atelier 9.81 et de la société Iosis un marché de maîtrise d'œuvre en vue de la construction sur le même terrain d'une résidence dénommée " l'Alsacienne ", composée de 18 logements. La société Cari Thouraud s'est vu confier, quant à elle, le lot " gros œuvre " de ce projet de construction. Par une décision du 18 septembre 2006, les travaux de démolition ont fait l'objet d'une réception sans réserve avec effet au 30 octobre 2006. En juin 2008, alors que les travaux de construction débutaient pour une durée initialement fixée à douze mois, la société Cari Thouraud a constaté des défauts d'altimétrie ainsi que la présence persistante d'anciennes fondations et de caves dans le remblaiement justifiant un arrêt des travaux, qui n'ont ensuite repris qu'au mois de juillet 2009 pour être réceptionnés le 24 mars 2011.
2. Par une ordonnance du 28 janvier 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a désigné un expert afin notamment de déterminer les conditions d'exécution du chantier de démolition et de répertorier les éventuelles insuffisances ou malfaçons au regard des règles de l'art. Le rapport d'expertise a été déposé le 15 juillet 2010. LMH a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement M. B..., la société Ramery Revitalisation, la société Pingat XD, la société Axa France IARD ainsi que les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et la MMA IARD à lui verser la somme de 421 057,14 euros. Par un jugement du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Lille a condamné la société Ramery Revitalisation à verser à LMH la somme de 258 500,50 euros, a également mis à sa charge définitive les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 6 058,33 euros et a condamné M. B... à garantir la société Ramery Revitalisation à hauteur de 25% des condamnations prononcées à son encontre. La société Ramery Revitalisation relève appel de ce jugement tandis que M. B... et LMH présentent des appels incidents ou provoqués contre ce jugement.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
3. Les conclusions subsidiaires de la société Ramery Revitalisation tendant à appeler en garantie les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD, co-assureurs de la société Cobat, sont relatives à l'exécution d'obligations de droit privé entre un constructeur et son assureur et échappent dès lors à la compétence de la juridiction administrative. Il en va de même des conclusions de M. B... tendant à appeler en garantie ces mêmes assureurs et la société Axa France Iard. Par suite, il y a lieu de rejeter ces conclusions comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur la mise hors de cause de la SARL Pingat XD :
4. S'il résulte de l'instruction que la société Pingat XD, est venue aux droits de la SARL Cobat Nord, créée le 1er février 2007, en revanche, aucun élément ne permet d'établir qu'elle serait elle-même venue aux droits de M. A... B..., signataire, en son nom personnel, du marché de maîtrise d'œuvre et d'organisation, coordination planification conclu avec LMH. Dans ces conditions, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, la société Pingat XD ne pouvant être regardée comme ayant la qualité de maître d'œuvre pour le marché de démolition litigieux, elle doit être mise hors de cause et l'ensemble des conclusions dirigées à son encontre doivent dès lors être rejetées.
Sur la régularité du jugement attaqué :
5. D'une part, il ressort du point 9 du jugement attaqué que le tribunal administratif de Lille a retenu que le non-respect des altimétries nécessaires à la future construction, l'absence de prélèvement complet des fondations et de démolition de toutes les caves, les défauts de compactage et la granulométrie insuffisante des remblais constituaient des désordres faisant obstacle à l'édification du bâtiment initialement prévu, en raison d'un niveau de portance insuffisant et d'une instabilité. Ce faisant, le tribunal administratif s'est prononcé sur l'existence des désordres et leur caractère décennal. Par suite, le moyen soulevé par la société Ramery Revitalisation tiré de ce que le tribunal administratif a omis de répondre à son moyen tiré de l'inexistence de désordres matériels doit être écarté.
6. D'autre part, il ressort du jugement, que pour rejeter la demande d'indemnisation du préjudice résultant de la perte de loyers, les premiers juges ont estimé que LMH n'apportait pas d'éléments suffisants pour en établir l'existence et le quantum. Contrairement à ce que soutient LMH dans le cadre de son appel incident, le tribunal n'a pas méconnu son office en s'abstenant de lui réclamer des pièces complémentaires dès lors qu'il appartenait au seul maître d'ouvrage d'apporter les éléments de nature à justifier la réalité de son préjudice. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier sur ce point doit également être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur les conclusions d'appel principal de la société Ramery Revitalisation :
7. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
8. Aux termes de l'article 1-1 du cahier des clauses techniques
particulières (CCTP) du marché de démolition : " Le marché a pour objet, les travaux de démolition d'immeubles à usage d'habitation (R+4) et de garages sur la commune de Tourcoing, en vue de libérer des surfaces foncières qui recevront un préverdissement en attente d'une future construction ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3-3-11 de ce CCTP : " Le remblai général sera réalisé à un niveau défini par le maître d'œuvre (...) / (...) Le remblaiement sera exécuté en matériaux sains exempts de bois, plâtre, fers... Il pourra s'agir de matériaux issus de la démolition qui seront concassés en granulométrie 0/150 et compactés par couche de 30 cm. Les derniers dix centimètres de remblai seront en cailloux d'une granulométrie 0/6. /. Les remblais à réaliser jusqu'au niveau - 0,20 par rapport au niveau de sol fini. / Le compactage sera effectué selon les normes pour des projets de voirie et d'habitation / (...) ".
9. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Lille, que dans le courant du mois de juin 2008, l'entreprise Cari Thouraud, titulaire du gros œuvre du marché de construction des six logements individuels et des douze logements collectifs sous maîtrise d'ouvrage de LMH, a engagé les travaux de terrassement pour les fondations et a alors constaté des défauts d'altimétrie et l'existence d'anciennes fondations et caves. Un constat d'huissier dressé en septembre 2008 puis un référé constat d'urgence du 24 octobre 2008, ont mis en évidence un terrain plus haut de 30 cm en moyenne par rapport à l'altimétrie prévue, une terre de surface argileuse souillée de matériaux de démolition ainsi que la présence d'un ancien massif de fondation. Selon les conclusions du rapport d'expertise déposé le 15 juillet 2010, les prescriptions du CCTP du marché de démolition confié à la société Sodenor n'ont pas été convenablement exécutées dans la mesure où, d'une part, les altimétries nécessaires à la future construction n'ont pas été respectées par la société Sodenor, alors cependant que les informations utiles relatives au niveau des sols avaient été transmises par l'atelier 9.81 tant au maître d'œuvre qu'à la société en charge des travaux. D'autre part, l'expert a relevé qu'il n'a pas été procédé à l'enlèvement complet de l'ensemble des fondations ni à la démolition de toutes les caves ou cavettes et enfin que le remblai n'a pas été exécuté conformément aux stipulations du marché, dès lors qu'ont été relevés des défauts de compactage et une granulométrie insuffisante.
10. Selon ce rapport d'expertise, l'écart altimétrique, limité à une hauteur de 30 cm, ne pouvait être décelé à l'œil nu, de même que la mauvaise qualité des remblais et l'existence de vestiges de caves et de fondations, de sorte que n'étant pas apparentes lors de la réception de l'ouvrage prononcée sans réserve le 18 septembre 2006, ces malfaçons n'ont pu être révélées qu'au moment du lancement de l'opération de construction du programme immobilier porté par LMH.
11. Il résulte de l'instruction, notamment des stipulations précitées du CCTP, qu'à l'issue des opérations de démolition et de remblaiement, les surfaces libérées devaient être engazonnées, dans l'attente d'une future construction. Il est constant que, dès le 11 avril 2005, LMH a notifié au groupement de maîtrise d'œuvre composé de l'atelier 9.81 et de la société OTH, le marché pour la maîtrise d'œuvre portant sur la conception et la réalisation de dix-huit logements, de sorte que les travaux de préparation du sol peuvent être regardés comme présentant un certain lien de connexité avec cette opération immobilière. Pour autant, à cette date, les caractéristiques et les modalités techniques de réalisation de cet ensemble immobilier, dont les travaux n'ont au demeurant débuté qu'en juin 2008, n'étaient pas encore précisément définies. A cet égard, il ressort de l'article 1.5 du CCTP du lot n° 1 " gros œuvre " du marché de construction, confié à la société Cari Thouraud, que celle-ci était titulaire des travaux de terrassements, comprenant des fouilles à exécuter, la démolition, le cas échéant, de bancs de pierre, de roche ou d'ouvrages de toute nature, ainsi que la réalisation de remblais. En vertu des stipulations de l'article 1.6 de ce CCTP, cette entreprise était en particulier chargée des travaux de fondations " par semelles filantes " et selon les stipulations de l'article 1.7, il lui incombait d'exécuter des travaux d'infrastructure consistant en la " réalisation d'une plateforme sous dalle pour mise à niveau ". Dans ces conditions, si, dès le 14 juin 2015, l'atelier 9.81 a pris l'attache tant du maître d'œuvre M. B... que de la société Sodenor, pour leur indiquer les niveaux de sol nécessaires au futur projet de construction et si le remblaiement prescrit par les stipulations, citées au point 8, du CCTP du marché de démolition impliquait de procéder à un enrochement et à un compactage de matériaux non homogènes tenant compte d'une granulométrie précisément définie, les remaniements du sol opérés par la société Sodenor ne sauraient être considérés comme portant sur la réalisation d'ouvrages de fondation ou de soutènement. Par suite, ces travaux préparatoires ne sauraient être qualifiés de travaux d'aménagement constitutifs d'un ouvrage. Dans ces conditions, quand bien même les logements bâtis prenaient appui sur le sol remanié préalablement pour les besoins de l'opération, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les travaux de démolition confiés à la société Sodenor ne sont pas, en raison de leur nature, au nombre de ceux qui peuvent donner lieu à garantie sur la base des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs.
12. Par suite, la société Ramery Revitalisation est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a retenu ce fondement de responsabilité pour la condamner à verser à LMH une indemnité de 258 500, 50 euros.
Sur les conclusions d'appel incident présentées par M. B... :
13. Par voie de conséquence de ce qui a été dit au point 12, le jugement du tribunal administratif doit être annulé en tant qu'il condamne M. B... à garantir la société Ramery Revitalisation de la somme de 258 500, 50 euros mise à sa charge.
Sur les autres conclusions d'appel incident présentées par LMH :
En ce qui concerne la responsabilité décennale :
14. Il résulte de ce qui a été dit précédemment, que la responsabilité décennale des constructeurs n'étant pas susceptible d'être engagée en ce qui concerne les désordres ayant affecté le terrain d'assiette de la résidence dénommée " l'Alsacienne " à Tourcoing, LMH n'est pas fondé à demander, sur ce fondement, le versement d'une somme de 421 057,14 euros TTC au titre de la réparation de leurs conséquences dommageables. Ses conclusions d'appel incident présentées à ce titre à l'encontre tant de la société Ramery Revitalisation que de M. B..., doivent, par suite, être rejetées.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle à raison de fautes commises par les constructeurs dans l'exécution du marché :
15. La réception d'un ouvrage est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle vaut pour tous les participants à l'opération de travaux, même si elle n'est prononcée qu'à l'égard de l'entrepreneur, et met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage lorsqu'aucune réserve n'est émise.
16. Il résulte de l'instruction que les travaux de démolition ont fait l'objet d'une réception sans réserve le 18 septembre 2006 avec effet au 30 octobre 2006. Il s'ensuit que LMH n'est plus fondé à se prévaloir des stipulations du marché ni à invoquer la responsabilité contractuelle de M. B... et de la société Ramery Revitalisations, en leur qualité de constructeurs.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle résultant de manquements allégués à l'obligation de conseil :
17. La responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.
18. En premier lieu, il résulte du principe énoncé au point précédent, que la société Ramery Revitalisation n'ayant pas la qualité de maître d'œuvre, LMH ne saurait utilement rechercher sa responsabilité à raison de manquements à son obligation de conseil lors des opérations de réception.
19. En second lieu, aux termes de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction applicable à la date de réception des travaux : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ". Aux termes de l'article 1792-4-3 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : " En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux ". Aux termes du II de l'article 26 de la même loi : " Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ". A la date de réception des travaux, le 18 septembre 2006, il résultait des principes dont s'inspirait l'article 2262 précité du code civil, que l'action du maître d'ouvrage tendant à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle des constructeurs se prescrivait par trente ans. Aucune règle applicable en droit public n'avait pour effet de limiter à dix ans le délai dans lequel cette responsabilité était susceptible d'être recherchée. La loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ayant réduit la durée de la prescription applicable à l'espèce, le délai de dix ans, prévu à l'article 1792-4-3 du code civil précité doit courir à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de cette loi.
20. D'autre part, aux termes de l'article 2241 du code civil : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription (...) ". Alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes " signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire ", termes qui n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action. Il en résulte qu'une citation en justice, au fond ou en référé, n'interrompt la prescription qu'à la double condition d'émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait.
21. Il est constant que, devant le tribunal administratif, LMH n'a présenté ses conclusions tendant à ce que soit engagée la responsabilité contractuelle de M. B... pour manquement à son devoir de conseil lors de la réception que dans un mémoire enregistré le 5 novembre 2021. Si l'ordonnance du 28 janvier 2010 du juge des référés répondant favorablement à la demande d'expertise sollicitée par LMH, constitue une action en justice susceptible d'interrompre la prescription de dix ans, citée précédemment, il est toutefois constant que cette ordonnance ne citait pas M. B... personnellement mais la société Cobat, alors que cette dernière, créée le 1er février 2007, ne pouvait être regardée comme titulaire du marché de maîtrise d'œuvre contracté par M. B..., agissant en son nom personnel. Dans ces conditions, et alors même que M. B... a assuré les fonctions de gérant de cette société créée le 1er février 2007, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'en l'absence de tout élément de nature à établir que la prescription aurait été interrompue à l'égard de M. B..., personne physique désignée comme titulaire du marché de maîtrise d'œuvre pour les travaux de démolition, l'action en responsabilité contractuelle de LMH contre celui-ci ne pouvait qu'être rejetée.
Sur les conclusions d'appel provoqué :
22. A l'issue de l'appel principal, M. B... ne voit pas sa situation aggravée par rapport au jugement de première instance. Ses conclusions d'appel provoqué tendant à être garanti par la société Ramery Revitalisation, la société Axa France Iard, la société MMA Iard assurance mutuelles et la société MMA Iard ne sont donc pas recevables.
Sur les conclusions d'appel en garantie présentées par les autres parties à l'instance :
23. Par voie de conséquence de l'ensemble de ce qui précède, les conclusions d'appel en garantie présentées par les parties à la présente instance doivent être rejetées.
Sur les dépens :
24. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ".
25. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge de la société Ramery Revitalisation, les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 6 058,33 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Lille du 29 juillet 2010.
Sur les frais liés à l'instance :
26. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par les parties à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Les conclusions dirigées contre les sociétés Axa France IARD, MMA IARD Assurances Mutuelles et la MMA IARD sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : La société Pingat XD est mise hors de cause.
Article 3 : Les articles 3, 5 et 6 du jugement du tribunal administratif de Lille du 15 mars 2022 sont annulés.
Article 4 : Les conclusions présentées par LMH devant le tribunal administratif de Lille et devant la cour sont rejetées.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Ramery revitalisation et des autres parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ramery Revitalisation, à l'office public de l'habitat Lille Métropole Habitat, à M. A... B..., à la SARL Pingat XD, à la société d'assurances mutuelles à cotisations fixes MMA IARD Assurances Mutuelles et à la SA MMA IARD.
Délibéré après l'audience publique du 5 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
La présidente de chambre,
Signé : M-P. ViardLa greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
N. Roméro
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N°22DA01025
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N°"Numéro"