Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre des années 2015 et 2016.
Par un jugement n° 1900156 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 septembre 2021, et un mémoire enregistré le 31 mars 2022, M. et Mme A..., représentés par Me Martin, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- c'est à tort que l'administration, afin de limiter le montant de la réduction d'impôt à laquelle ils pouvaient prétendre, a entendu apprécier la condition du b) du VI quinquies de l'article 199 terdecies-0 A du code général des impôts en se fondant sur le besoin de financement d'une entreprise au cours de l'année de souscription au capital alors qu'une telle notion ne saurait en constituer le critère unique, ni même un critère prévu par les textes ;
- la société Pharmacie Bonsecours étant en phase d'expansion, les souscriptions à son capital étaient nécessaires au sens de l'article 199 terdecies-0 A y compris en ce qui concerne ses besoins en fonds de roulement, besoins visés au demeurant par les lignes directrices de la commission européenne ; il est établi à cet égard que la société a disposé d'un fonds de roulement de l'ordre de 480 k€ à la clôture des exercices 2015 et 2016 parce que les associés avaient apporté par leurs souscriptions une somme globale de 880 000 euros et c'est par un contresens que l'administration et le jugement attaqué leur font le grief de ne pas démontrer que la société aurait été sous-capitalisée ; l'argument des travaux réalisés dans le centre commercial, outre qu'il n'est pas démontré, est inopérant, cette circonstance étant sans incidence sur la phase d'expansion ;
- en estimant que le renforcement du fonds de roulement n'était pas nécessaire, l'administration s'immisce dans sa gestion alors que les apports litigieux ont bien été utilisés pour les besoins de l'exploitation.
Par un mémoire enregistré le 21 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par M. et Mme A... n'est fondé. Subsidiairement, sur le fondement de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, il demande que la réduction d'impôt de l'année 2016 soit limitée à une somme de 3 600 euros au lieu de 6 946 euros dont les contribuables ont bénéficié à la suite d'une erreur de report du plafond de 20 000 sur la case 7 DY de la déclaration modèle 2042 au lieu de la case 7 CV.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1998/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Martin représentant les requérants.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A... ont pratiqué au titre des années 2014, 2015 et 2016 la réduction d'impôt prévue par l'article 199 terdecies-0 A du code général des impôts à raison de la souscription de 200 000 euros au capital de la société Pharmacie de Bonsecours effectuée par M. A... au cours de l'année 2014. Par une proposition de rectification du 15 décembre 2017, l'administration a informé les contribuables qu'elle envisageait, selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, de limiter la base de calcul de cette réduction d'impôt à 8 525 euros. Ces rectifications ont été confirmées le 12 mars 2018 en réponse aux observations des contribuables. Toutefois à la suite d'une entrevue avec la supérieure hiérarchique, l'administration a retenu comme base de calcul de la réduction d'impôt une somme de 55 677 euros et a décidé d'abandonner la rectification au titre de l'année 2014. Les impositions supplémentaires au titre des années 2015 et 2016 ont été mises en recouvrement au cours de l'année 2018 et la réclamation préalable des contribuables a été rejetée le 20 décembre 2018. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 8 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Aux termes de l'article 199 terdecies-0 A du code général des impôts dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. 1° Les contribuables domiciliés fiscalement en France peuvent bénéficier d'une réduction de leur impôt sur le revenu égale à 18 % des versements effectués au titre de souscriptions en numéraire au capital initial ou aux augmentations de capital de sociétés (...)/2° Le bénéfice de l'avantage fiscal prévu au 1° est subordonné au respect, par la société bénéficiaire de la souscription, des conditions suivantes :/ (...) g) La société vérifie les conditions mentionnées (...) aux b et c du VI quinquies du présent article (...)/ II. Les versements ouvrant droit à la réduction d'impôt mentionnée au I sont ceux effectués jusqu'au 31 décembre 2016. Ils sont retenus dans la limite annuelle de 50 000 € pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et de 100 000 € pour les contribuables mariés soumis à imposition commune./ La fraction d'une année excédant, le cas échéant, les limites mentionnées au premier alinéa ouvre droit à la réduction d'impôt dans les mêmes conditions au titre des quatre années suivantes./ VI quinquies.- Le bénéfice des I et II (...) est subordonné au respect, selon le cas par les sociétés bénéficiaires des versements mentionnées au 1 du I (...) du règlement (CE) n° 1998/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis (...) Toutefois, cette disposition n'est pas applicable lorsque les conditions suivantes sont cumulativement satisfaites par les sociétés mentionnées à la phrase précédente : (...)/ b) La société est en phase d'amorçage, de démarrage ou d'expansion au sens des lignes directrices communautaires concernant les aides d'Etat visant à promouvoir les investissements en capital-investissement dans les petites et moyennes entreprises (2006/ C 194/02) ". Aux termes des lignes directrices 2006/C 194/02 : " Capital d'expansion : financement visant à assurer la croissance et l'expansion d'une société qui peut ou non avoir atteint le seuil de rentabilité ou dégager des bénéfices, et employé pour augmenter les capacités de production, développer un marché ou un produit ou renforcer le fonds de roulement de la société ". Il résulte de ces dispositions que le bénéfice de la réduction d'impôt est réservé aux versements en numéraire effectués au titre de souscriptions au capital initial ou aux augmentations de capital des sociétés employés aux fins décrites par les lignes directrices dans le cadre du capital d'expansion.
3. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a entendu limiter l'assiette de calcul de la réduction d'impôt pratiquée par les époux A..., dans la stricte mesure des apports effectués à la SELARL Pharmacie Bonsecours par ses associés fondateurs le 1er août 2014, s'élevant à 880 000 euros, dont 220 000 euros par M. A..., regardés par elle comme ayant été effectivement nécessaires pour éviter une sous-capitalisation. Elle a d'abord fixé le montant des apports éligibles à 34 098 euros dans la proposition de rectification, en estimant que les 880 000 euros d'apports n'avaient servi à financer les immobilisations acquises qu'à hauteur de ce montant. Elle a ensuite fixé le montant des apports éligibles à 222 708 euros, au stade de l'entretien avec le chef de service, en estimant que les apports avaient servi en outre à l'acquisition du stock de départ de marchandises. Elle a ensuite estimé, devant le tribunal administratif, que la société Pharmacie Bonsecours ne se trouvait pas en phase d'expansion compte tenu de ce qu'elle avait repris un fonds de commerce déjà exploité depuis dix ans et que l'augmentation de son chiffre d'affaires depuis 2014 n'était due qu'à la rénovation du centre commercial où il est exploité et non pas aux apports effectués. Enfin, devant cette cour, l'administration soutient finalement que le montant des apports éligibles à la réduction d'impôt doit être arrêté à 400 000 euros, cette somme étant regardée comme strictement nécessaire pour garantir un fonds de roulement à l'équilibre, suffisant aux besoins de la société.
4. Il résulte de l'instruction que la SELARL Pharmacie Bonsecours a connu depuis sa création une augmentation du chiffre d'affaires du fonds de commerce qu'elle a repris de 47 % et une augmentation de la fréquentation de son officine de 7 %. Il résulte de ces éléments que la société se trouvait en phase d'expansion au sens des dispositions ci-dessus rappelées, que cette croissance soit due à l'évolution favorable de son environnement ou à sa politique commerciale, notamment en matière de prix, ou au deux.
5. Il résulte également de l'instruction, ainsi que l'administration le reconnaît, que les apports en capital effectués par ses associés fondateurs ont permis à la société Pharmacie Bonsecours d'avoir un fonds de roulement de 478 865 euros au titre de l'exercice clos le 31 mai 2015 et de 485 543 euros au titre de l'exercice clos le 31 mai 2016. Il en résulte que ces fonds ont bien été employés à renforcer le fonds de roulement de l'entreprise au sens des dispositions ci-dessus reproduites, sans qu'il y ait lieu de rechercher comme le demande l'administration, en s'immisçant d'ailleurs ce faisant dans la gestion de la société, si un fonds de roulement simplement à l'équilibre eut été suffisant à ses besoins de trésorerie, une telle condition ne résultant d'aucun texte. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que la société Pharmacie Bonsecours satisfaisait à la condition prévue au b) du VI quinquies de l'article 199 terdecies-0 A du code général des impôts auquel renvoie le g) du 2° du I du même article.
6. Il résulte de ce qui précède que les époux A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande. Par suite, ils sont fondés à demander à être rétablis au bénéfice de la réduction d'impôt prévue par les dispositions ci-dessus reproduites à hauteur de 6 265 euros au titre de l'année 2015 et de 3 600 euros au titre de l'année 2016.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales :
7. Il résulte de ce qui précède que le présent arrêt n'admet la réduction d'impôt sollicitée par les époux A... au titre de l'année 2016 que dans la mesure résultant de l'application des dispositions ci-dessus reproduites de l'article 199 terdecies-0 A du code général des impôts et ne prononce la décharge de l'imposition supplémentaire litigieuse que dans cette mesure. Par suite, les conclusions aux fins de compensation présentées par le ministre chargé du budget sur le fondement de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales sont dépourvues d'objet et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par les époux A... dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1900156 du tribunal administratif de Nancy du 8 juillet 2021 est annulé.
Article 2 : La réduction d'impôt sur le revenu de l'article 199 terdecies-0 A du code général des impôts des époux A... est fixée à 6 265 euros au titre de l'année 2015 et 3 600 euros au titre de l'année 2016.
Article 3 : Les époux A... sont déchargés des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre des années 2015 et 2016 ainsi que des majorations correspondantes dans la mesure de l'exécution de l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme A... la somme de 2000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 21NC02442
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