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21/12/2023 | FRANCE | N°21BX04279

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 21 décembre 2023, 21BX04279


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 606 264 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi à raison des fautes lourdes commises par le commissaire du gouvernement exerçant la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile en s'abstenant de demander à la caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du

30 juin 1995, et

de la faute commise par le Premier ministre en procédant à une consolidation erronée du code ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 606 264 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi à raison des fautes lourdes commises par le commissaire du gouvernement exerçant la tutelle de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile en s'abstenant de demander à la caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées le décret n° 95-825 du

30 juin 1995, et de la faute commise par le Premier ministre en procédant à une consolidation erronée du code de l'aviation civile.

Par un jugement n° 1604561 du 22 septembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 novembre 2021 et 31 mai 2022, M. B..., représenté par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du

22 septembre 2021 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 606 264 euros en réparation du préjudice subi, assortie de la capitalisation des intérêts à compter de sa réclamation préalable, ou à titre subsidiaire d'ordonner une médiation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée en raison de la faute commise par le Premier ministre lors de la codification du code de l'aviation civile, puisqu'à compter de 1987, l'édition papier du code de l'aviation civile puis les éditions électroniques ne comportaient plus ni les subdivisions, ni l'intitulé correspondant aux sections IV à VII du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie réglementaire, et que cette erreur a eu pour effet de dénaturer la portée des dispositions du code relatives au calcul de la pension des affiliés de la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile (CRPNPAC), désormais intégrées dans une section relative à la constitution des droits à la retraite, alors que la constitution et le calcul des droits sont deux opérations différentes ; les décrets n° 84-469 et n° 95-825 sont, ainsi que l'a jugé le tribunal, indissociables et, étant pris pour l'application de la loi n° 72-1223 du 29 décembre 1972, ils ne peuvent la contredire ou ajouter à ses dispositions ; or, cette loi était d'application rétroactive ; il convenait d'appliquer les nouvelles dispositions du décret du

30 juin 1995, plus favorables aux retraités, aux affiliés de la caisse qui avaient cotisé pour constituer les réserves, et avaient pris leur retraite depuis 1984 ;

- en outre, les pilotes d'Air France peuvent prétendre au bénéfice de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique, de sorte que la non décote des pensions de retraite, qui relève des principes fondamentaux de la sécurité sociale, est applicable ; indépendamment de cette loi, une faute a été commise en refusant de faire application des dispositions du décret n° 95-825 alors que la décote instituée par le décret de juin 1984 était illégale ; la responsabilité de l'Etat peut être engagée sur le fondement des principes de sécurité juridique et de confiance légitime compte tenu de la consolidation erronée du code de l'aviation civile ;

- il existe une discrimination contraire aux stipulations combinées de l'article 1er du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 14 de cette convention entre les affiliés au régime de retraite, selon qu'ils prennent leur retraite avant ou après 1984 ;

- la responsabilité de l'Etat est également engagée en raison de la faute lourde commise par le commissaire du Gouvernement exerçant la tutelle sur la CRPNPAC, qui s'est abstenu de demander que celle-ci applique le décret n° 95-825 du 30 juin 1995 de manière rétroactive ;

- il est renvoyé aux écritures de première instance pour la justification du préjudice subi, qui correspond au manque à gagner sur un montant de retraite qui aurait dû être recalculé sur la base des droits nouveaux prévus par le décret 84-469 pour toute période postérieure au

1er juillet 1973.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 avril 2022, la ministre de la transition écologique, représentée par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le moyen tiré de l'erreur de codification affectant le code de l'aviation civile et qui engagerait la responsabilité de l'Etat a déjà été rejeté par différentes juridictions ; la discordance effective entre le découpage initial en sections du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie réglementaire du code issu du décret du 30 mars 1967 et les éditions sur papier consolidées successives de ce code, puis les éditions électroniques, n'a pas été de nature à faire obstacle à la bonne compréhension, à l'accessibilité et à l'intelligibilité de la norme, d'autant que les intitulés des divisions d'un texte juridique sont en principe dépourvus de valeur normative ; alors que cette divergence rédactionnelle a été explicitement discutée devant différentes juridictions judiciaires, le requérant n'est pas fondé à soutenir que celles-ci se seraient méprises sur la portée des dispositions combinées du code de l'aviation civile telles que modifiées par le décret du 30 juin 1995 ;

- le décret du 30 juin 1995 ne prévoit pas de rétroactivité et l'argumentation développée pour tenter de démontrer le contraire est inintelligible ; contrairement à ce qu'il est soutenu, le tribunal n'a pas reconnu l'indissociabilité de ce décret avec le décret du 18 juin 1984 ; ni la loi du 29 décembre 1972 avant son abrogation ni les articles L. 921-1 et suivants du code de la sécurité sociale, qui ne traitent pas de la validation des périodes travaillées, n'ont vocation à interdire l'institution d'une décote ; la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique n'est pas applicable au personnel navigant d'Air France ; l'institution d'une décote relève de la compétence du pouvoir réglementaire, de sorte que le requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret du 18 juin 1984 serait, pour ce motif, illégal ;

- l'Etat n'a pas instauré une discrimination contraire aux stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il existe une différence de situation objective entre les personnels navigants selon la date à laquelle ils ont demandé la liquidation de leur pension ;

- le requérant n'est pas fondé à soutenir que le commissaire du gouvernement auprès de la CRPNPAC aurait commis une faute lourde, dès lors que les pilotes retraités ayant fait valoir leurs droits à pension avant le 1er juillet 1995 ne pouvaient prétendre bénéficier des dispositions du décret du 30 juin 1995 en l'absence de disposition prévoyant son application rétroactive ; si la réforme intervenue en 1995 comporte des avantages pour les pensionnés, elle prévoit aussi un certain nombre de contraintes, notamment des conditions de durée de service plus restrictives pour jouir d'une retraite à taux plein dès 50 ans ;

- les questions étant déjà tranchées, l'Etat n'est pas favorable à une médiation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'aviation civile ;

- la loi n° 72-1223 du 29 décembre 1972 ;

- le décret n° 67-334 du 30 mars 1967' ;

- le décret n° 84-469 du 18 juin 1984 ;

- le décret n° 95-825 du 30 juin 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., affilié à la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et dont les droits à pension ont été liquidés le 19 avril 1989, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 606 264 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison, d'une part, de la faute qu'aurait commise le Premier ministre dans la codification du code de l'aviation civile et, d'autre part, de la faute lourde qu'aurait commise le commissaire du Gouvernement exerçant la tutelle sur cette caisse, en s'abstenant de demander à cette dernière d'appliquer le décret du 30 juin 1995 aux pensions déjà liquidées. Par un jugement du 22 septembre 2021 dont M. B... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 426-16-1 du code de l'aviation civile, dans sa version résultant du décret du 30 juin 1995 relatif au régime de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile et modifiant le code de l'aviation civile : " La pension est déterminée sur la base du salaire moyen indexé de carrière défini au c de l'article R. 426-5 ou, le cas échéant, sur la base du salaire moyen indexé majoré défini au d de l'article R. 426-5 (...) ". Ce décret a modifié les dispositions antérieures, issues du décret du 18 juin 1984 relatif au régime d'assurance et au régime de retraite complémentaire du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile, qui instituaient une décote au-delà des vingt-cinq meilleures années prises en compte pour le calcul de la pension.

En ce qui concerne l'erreur commise dans la codification du code de l'aviation civile :

3. M. B... soutient que la discordance entre, d'une part, le découpage initial en sections du chapitre VI du titre II du livre IV de la partie règlementaire du code de l'aviation civile issu du décret du 30 mars 1967 portant codification des textes réglementaires applicables à l'aviation civile et, d'autre part, les éditions sur papier consolidées successives de ce code, puis les éditions électroniques, qui regroupaient, à compter du 1er juillet 1987, dans une même section, des dispositions qui auparavant étaient réparties en quatre subdivisions, a engendré une confusion entre les règles relevant de la constitution des droits à pension et celles relatives au calcul de la pension. Selon lui, elle aurait également induit en erreur la Cour de cassation dans son interprétation des dispositions de l'article R. 426-16-1 de ce code, issues du décret du

30 juin 1995, en la conduisant à les juger dépourvues de portée rétroactive sur les pensions déjà liquidées. Toutefois, les dispositions de ce décret ne prévoyaient pas expressément leur application aux pensions déjà liquidées. Dès lors, la façon dont ces dispositions ont été codifiées dans le code de l'aviation civile ou la discordance entre les versions papier et électronique du code sont demeurées sans incidence sur le contenu même des dispositions de ce décret, et n'ont pas porté atteinte au principe de sécurité juridique. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les services du Premier ministre auraient commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en codifiant de manière erronée les dispositions de ce décret.

En ce qui concerne l'exercice par le commissaire du Gouvernement de son pouvoir de tutelle sur la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile :

4. En premier lieu, M. B... ne peut utilement soutenir que le décret du 18 juin 1984 instituant une décote applicable aux annuités au-delà des vingt-cinq meilleures années serait contraire à la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique, alors que cette loi n'est pas applicable au personnel navigant de l'aviation civile. Il n'est pas davantage fondé à soutenir que ce décret serait illégal car entaché d'incompétence de son auteur, alors que l'institution d'une décote pour la prise en compte des droits à pension relève de la compétence, non pas du législateur, mais du pouvoir réglementaire. Dans ces conditions, il ne peut être reproché au Commissaire du Gouvernement auprès de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile d'avoir commis une faute lourde en s'abstenant de demander à la caisse de ne pas appliquer le décret du 18 juin 1984 sur la décote.

5. Ni les dispositions de la loi du 29 décembre 1972 portant généralisation de la retraite complémentaire au profit des salariés et anciens salariés dont se prévaut M. B... pour contester la légalité du décret du 18 juin 1984, qui prévoient que toutes les périodes travaillées sont validées, qu'elles soient cotisées ou non, ni celles des articles L. 921-1 et suivants du code de la sécurité sociale qui les reprennent, ne régissent les modalités de calcul des pensions et ne font obstacle à l'institution d'une décote. Ainsi, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'à défaut d'être prévue par la loi, la minoration résultant de la prise en compte de 40 % des annuités au-delà des 25 meilleures années, prévue par le décret du 18 juin 1984, serait illégale et que, par suite, il appartenait à l'Etat dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de tutelle, de s'opposer à l'application par la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile des dispositions en cause de ce décret.

6. En second lieu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens ou de protocole d'accord entre partenaires sociaux le prévoyant, le décret du 30 juin 1995 ne pouvait s'appliquer rétroactivement. Par suite, la liquidation des pensions intervenue avant sa date d'application n'a pas lieu d'être remise en cause par les modifications ultérieures du régime, ainsi que l'a jugé la chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt du

27 juin 2002, n° 01-02038. Dans ces conditions, il ne peut être reproché au Commissaire du Gouvernement auprès de la Caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile d'avoir commis une faute lourde en s'abstenant de demander à la caisse d'appliquer aux pensions déjà liquidées les dispositions du décret du 30 juin 1995, modifiant les dispositions du d) de l'article R. 426-5 du code de l'aviation civile.

7. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les modalités de liquidation plus favorables introduites par le décret du 30 juin 1995 visant à supprimer la décote sur les annuités acquises au-delà de la vingt-cinquième année de cotisation trouvent leur contrepartie dans un allongement de la durée de cotisation, sujétion à laquelle n'ont pas été soumis les affiliés qui, comme M. B..., ont fait valoir leur droit à retraite avant l'entrée en vigueur de cette réforme. M. B... ayant été placé dans une situation distincte de celle des salariés qui cotisaient à la date d'entrée en vigueur de cette réforme, il suit de là, d'une part, que le décret du 30 juin 1995 n'a méconnu ni l'article 14 de la convention européenne du droit de l'homme et des libertés fondamentales qui prohibe les traitements discriminatoires ni l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention qui protège le droit à la propriété, d'autre part, que l'État en sa qualité d'autorité de tutelle de la caisse de retraite n'a pas commis de faute lourde en s'abstenant de demander l'adoption d'un dispositif rétroactif ouvert aux pensionnés.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il ait été utile de proposer une médiation, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros à verser à l'Etat au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : M. B... versera à l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... , à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2023.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX04279


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04279
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;21bx04279 ?
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