Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris, avant dire droit, de saisir la commission du secret de la défense nationale afin qu'elle se prononce sur la déclassification et la communication des motifs de la décision en date du 15 mai 2019 par laquelle la ministre des armées a rejeté son recours formé contre la décision du 17 août 2018 portant non agrément de sa demande d'habilitation " secret défense ", par ailleurs d'annuler cette décision, d'enjoindre à la ministre des armées de procéder au réexamen de sa demande d'habilitation " secret défense", et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1816320/5-3, du 10 février 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 avril 2021 et 27 janvier 2022, M. B..., représenté par Me Drevet, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 10 février 2021 ;
2°) de saisir avant-dire droit la Commission du secret de la défense nationale pour que soient déclassifiés et communiqués le rapport d'enquête réalisé par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) ainsi que les motifs de la décision de non-agrément du
17 août 2018 de la ministre des armées ;
3°) d'annuler la décision du 17 août 2018 portant non agrément de sa demande d'habilitation " secret défense ", ensemble la décision de la ministre des armées en date du
15 mai 2019 rejetant le recours préalable formé à l'encontre de cette décision ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le document qu'il avait produit ne peut être qualifié de " faux " alors qu'il s'agit d'un document établi par sa hiérarchie, dans la direction à laquelle il appartenait antérieurement, ce qui prive de fondement le jugement attaqué ;
- il bénéficiait antérieurement d'une habilitation " secret défense " dans ses précédentes fonctions, n'avait aucun intérêt à établir un faux et n'a transmis le document en cause, sans intention frauduleuse, que dans le but de gagner du temps en justifiant de son habilitation antérieure au secret défense ;
- la décision litigieuse de refus d'habilitation est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, et il y a lieu, pour permettre d'établir cette erreur, de saisir la commission du secret de la défense nationale pour obtenir communication de ces motifs.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 décembre 2021, 29 septembre 2022, et
7 octobre 2022, la ministre des armées demande à la Cour de rejeter la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un arrêt avant dire-droit n° 21PA01767 du 18 octobre 2022 la Cour a procédé à un supplément d'instruction tendant à la production par le ministre des armées, dans un délai de quatre mois, du rapport d'enquête réalisé par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), ou de tout document équivalent, ainsi que, en tout état de cause, de toutes précisions sur les motifs ayant justifié le rejet de la demande d'habilitation de M. B..., après avoir pris l'avis de la Commission du secret de la défense nationale dans les conditions prévues par le code de la défense.
Par un mémoire du 10 octobre 2023 le ministre des armées a informé la Cour de l'avis de la commission du secret de la défense nationale, partiellement favorable à la déclassification des documents en cause et de sa décision de suivre cet avis de la commission ;
Des pièces ont été produites par le ministre des armées le 13 octobre 2023.
Par un mémoire enregistré le 23 novembre 2023 M. B... conclut aux mêmes fins que sa requête et par les mêmes moyens, et demande aussi que la somme sollicitée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit portée à 4 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Degardin, rapporteure publique,
- et les observations de M. A..., représentant le ministre des armées.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., capitaine de vaisseau de réserve, s'est engagé le 2 mai 2018 à servir en qualité de réserviste opérationnel de la marine, à compter du 2 mai 2018 jusqu'au 4 mai 2019, au sein de la formation d'emploi dénommée " échelon central service interarmées des munitions " (SIMU) localisée à Versailles, qui relève de l'état-major des armées. Le 14 avril 2018, il a présenté une demande d'habilitation " secret défense ", nécessaire pour son poste de chargé de mission auprès du directeur du SIMU. Par décision du 17 août 2018, sa demande d'habilitation " Secret défense " a toutefois été refusée. M. B... a dès lors saisi la commission des recours des militaires (CRM) d'un recours préalable contre cette décision de refus, mais la ministre des armées a rejeté son recours par une décision du 15 mai 2019 qui, prise en réponse à un recours préalable obligatoire, s'est substituée à la décision initiale. Il a ensuite saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande, tendant à l'annulation de cette décision et à la saisine avant-dire droit de la commission du secret de la défense nationale afin qu'elle se prononce sur la déclassification et la communication des motifs de ladite décision. Après que le tribunal a rejeté cette demande par un jugement du
10 février 2021, la Cour, saisie en appel par M. B..., a, par un arrêt avant dire-droit du 18 octobre 2022, ordonné un supplément d'instruction tendant à la production par le ministre des armées, dans un délai de quatre mois, du rapport d'enquête réalisé par la DRSD, ou de tout document équivalent, ainsi que de toutes précisions sur les motifs ayant justifié le rejet de la demande d'habilitation de
M. B..., ou si le ministre des armées estimait que certaines de ces informations ne pouvaient être communiquées à la cour, de tous les éléments sur la nature des informations protégées et les raisons pour lesquelles elles sont classifiées, de façon à permettre à la cour de se prononcer en connaissance de cause, sans porter directement ou indirectement atteinte au secret de la défense nationale. Par avis du 20 septembre 2020, la commission du secret de la défense nationale, saisie par le ministre des armées, a émis un avis partiellement favorable à la déclassification des documents demandés, et des pièces ont dès lors été versées au dossier par le ministre.
Sur le bien -fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 2311-2 du code de la défense, dans sa version applicable au litige : " Les informations et supports classifiés font l'objet d'une classification comprenant trois niveaux : 1° Très Secret-Défense ; 2° Secret-Défense ; 3° Confidentiel-Défense ". Aux termes de l'article R. 2311-7 du même code : " Nul n'est qualifié pour connaître des informations et supports classifiés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation et s'il n'a besoin, selon l'appréciation de l'autorité d'emploi sous laquelle il est placé, au regard notamment du catalogue des emplois justifiant une habilitation établie par cette autorité, de les connaître pour l'exercice de sa fonction ou l'accomplissement de sa mission. ". Aux termes de l'article R. 2311-7-1 du même code : " Les habilitations mentionnées aux articles R. 2311-7 et R. 2311-7-2 peuvent être délivrées à des personnes physiques ainsi qu'à des personnes morales. ". Aux termes de l'article R. 2311-8 du même code : " La décision d'habilitation précise le niveau de classification des informations et supports classifiés dont le titulaire peut connaître ainsi que le ou les emplois qu'elle concerne. Elle intervient à la suite d'une procédure définie par le Premier ministre (...). Pour les niveaux de classification Secret-Défense et Confidentiel-Défense, la décision d'habilitation est prise par chaque ministre pour le département dont il a la charge. ". Aux termes de l'article 23 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale approuvée par un arrêté interministériel du 30 novembre 2011 : " (...) La demande d'habilitation déclenche une procédure destinée à vérifier qu'une personne peut, sans risque pour la défense et la sécurité nationale ou pour sa propre sécurité, connaître des informations ou supports classifiés dans l'exercice de ses fonctions. La procédure comprend une enquête de sécurité permettant à l'autorité d'habilitation de prendre sa décision en toute connaissance de cause (...). ". Aux termes de l'article 24 de cette même instruction : " (...) L'enquête de sécurité menée dans le cadre de la procédure d'habilitation est une enquête administrative permettant de déceler chez le candidat d'éventuelles vulnérabilités (...) L'enquête administrative est fondée sur des critères objectifs permettant de déterminer si l'intéressé, par son comportement ou par son environnement proche, présente une vulnérabilité, soit parce qu'il constitue lui-même une menace pour le secret, soit parce qu'il se trouve exposé à un risque de chantage ou de pressions pouvant mettre en péril les intérêts de l'Etat, chantage ou pressions exercés par un service étranger de renseignement, un groupe terroriste, une organisation ou une personne se livrant à des activités subversives (...). ". Aux termes de l'article 26 de la même instruction : " (...) La décision de refus d'habilitation est notifiée à l'intéressé par l'officier de sécurité. A cette occasion l'intéressé est informé, selon les modalités définies par le département ministériel dont il dépend, des voies de recours et des délais qui lui sont ouverts pour contester cette décision. Si le candidat sollicite, par l'exercice d'un recours, une explication du rejet de la demande d'habilitation, il obtient communication des motifs lorsqu'ils ne sont pas classifiés. Lorsqu'ils le sont, le candidat se voit opposer les règles applicables aux informations protégées par le secret ".
3. Aux termes de l'article L. 2312-1 du code de la défense : " La Commission du secret de la défense nationale est une autorité administrative indépendante. Elle est chargée de donner un avis sur la déclassification et la communication d'informations ayant fait l'objet d'une classification en application des dispositions de l'article 413-9 du code pénal, à l'exclusion des informations dont les règles de classification ne relèvent pas des seules autorités françaises ". En outre, aux termes de l'article L. 2312-4 du code de la défense : " Une juridiction française dans le cadre d'une procédure engagée devant elle (...) peut demander la déclassification et la communication d'informations, protégées au titre du secret de la défense nationale, à l'autorité administrative en charge de la classification. Cette demande est motivée. L'autorité administrative saisit sans délai la Commission du secret de la défense nationale ". Aux termes de l'article L. 2312-7 du même code : " La Commission du secret de la défense nationale émet un avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Cet avis prend en considération, d'une part, les missions du service public de la justice, le respect de la présomption d'innocence et les droits de la défense, ou l'exercice du pouvoir de contrôle du Parlement, d'autre part, le respect des engagements internationaux de la France ainsi que la nécessité de préserver les capacités de défense et la sécurité des personnels./ En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante./ Le sens de l'avis peut être favorable, favorable à une déclassification partielle ou défavorable. / L'avis de la commission est transmis à l'autorité administrative ayant procédé à la classification ". L'article L. 2312-8 de ce même code dispose que : " Dans le délai de quinze jours francs à compter de la réception de l'avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale, ou à l'expiration du délai de deux mois mentionné à l'article L. 2312-7, l'autorité administrative notifie sa décision, assortie du sens de l'avis, à la juridiction (...) ayant demandé la déclassification et la communication d'informations classifiées (...) " Aux termes de l'article 413-9 du code pénal : " Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès. Peuvent faire l'objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l'accès est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d'un secret de la défense nationale ".
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il statue sur une demande d'annulation d'une décision portant retrait ou refus d'une habilitation " secret défense ", de contrôler, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, la légalité des motifs sur lesquels l'administration s'est fondée. Il lui est loisible de prendre, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de l'instruction, toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, sans porter atteinte au secret de la défense nationale. Il lui revient, au vu des pièces du dossier, de s'assurer que la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
5. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'habilitation " secret défense ", présentée par le requérant le 14 avril 2018 en qualité de réserviste opérationnel au sein du SIMU, a fait l'objet le 8 août 2018 d'un avis défavorable émis par le service chargé de diligenter l'enquête de sécurité. Il est reproché à M. B... d'avoir fait usage d'un document, qu'il a produit à l'appui de sa requête, qu'il savait n'être pas le certificat de sécurité requis pour l'instruction de sa demande d'habilitation. Si M. B... soutient que le document en cause aurait été émis en août 2017 lors de son départ de la direction de la protection des installations, moyens et activités de la défense (DPID), il ressort des pièces produites par le ministre après l'intervention de l'arrêt avant-dire droit, et après leur déclassification, et en particulier des notes classées secret, qu'il a été procédé à une recherche sur l'authenticité du certificat produit par M. B... en 2018, et qu'il a été conclu que ce document " n'est pas un document authentique validé par la DPID " dès lors, d'une part, qu'il s'avère qu'il est issu d'un document authentique de 2016 mais a été " réenregistré " et, d'autre part, que la signature qu'il comporte ne correspond pas à celle de l'agent dont le nom figure en tant que signataire. Ainsi cette recherche a conduit à conclure que ce certificat provenait d'une modification d'un document authentique datant de 2016. De plus la fiche confidentielle qui a également été déclassifiée et produite par le ministre qualifie ce document de " certificat de sécurité falsifié " et conclut que " les vulnérabilités que présente l'intéressé font peser un risque tel qu'aucune mesure de sécurité accompagnant une éventuelle décision d'admission ne saurait être suffisante à le neutraliser ". Par suite M. B... n'est fondé à soutenir ni que c'est à tort qu'il aurait été fait état d'un document falsifié, ni, quels que soient par ailleurs les motifs pour lesquels il n'aurait pas effectué les formalités de départ de son précédent poste, que la décision de refus d'habilitation au secret défense serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
6. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Monsieur B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023
La rapporteure,
M-I. D...Le président,
I. LUBENLe greffier,
E. MOULINLa République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA01767