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19/12/2023 | FRANCE | N°21NC01580

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 19 décembre 2023, 21NC01580


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS 3D Est a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la commune de Nancy, d'une part, à lui verser les sommes respectives de 131 849,90 euros TTC au titre de solde de sa facture du 15 mars 2019 et de 44 160 euros en réparation du préjudice d'immobilisation qu'elle estime avoir subi, d'autre part, à l'indemniser à hauteur de la somme de 927 844,88 euros correspondant au manque à gagner qu'elle estime avoir subi et ayant pour cause son éviction, pour partie, de

s travaux de désamiantage du bâtiment Lyautey.



Par un jugement n° 190145...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS 3D Est a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la commune de Nancy, d'une part, à lui verser les sommes respectives de 131 849,90 euros TTC au titre de solde de sa facture du 15 mars 2019 et de 44 160 euros en réparation du préjudice d'immobilisation qu'elle estime avoir subi, d'autre part, à l'indemniser à hauteur de la somme de 927 844,88 euros correspondant au manque à gagner qu'elle estime avoir subi et ayant pour cause son éviction, pour partie, des travaux de désamiantage du bâtiment Lyautey.

Par un jugement n° 1901459 du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Nancy a, d'une part, donné acte du désistement des conclusions de la société 3D Est tendant à ce que la commune de Nancy lui verse le solde du marché à hauteur de 131 849,90 euros TTC, et d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la société 3D Est. Par le même jugement, le tribunal administratif de Nancy a rejeté les conclusions de la commune de Nancy présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 mai 2021 et 9 mai 2022, la société 3D Est, représentée par Me Demarest de la SCP Joubert Demarest Merlingue, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Nancy du 13 avril 2021 en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa demande ;

2°) de condamner la commune de Nancy à lui verser les sommes de 44 160 euros et 927 844,88 euros respectivement au titre de la réparation de son préjudice d'immobilisation et de son manque à gagner, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2019 et la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Nancy la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune de Nancy doit être regardée comme lui ayant promis de réaliser l'ensemble des travaux de désamiantage du bâtiment Lyautey ; une promesse non tenue est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration ;

- la commune de Nancy ne l'a pas avisée suffisamment tôt de ce qu'elle ne lui confierait pas la totalité des travaux de désamiantage ; les premiers juges n'ont ni visé ni analysé ce moyen ; cette carence à prendre clairement position est incontestablement fautive ;

- elle a subi un préjudice d'immobilisation des installations et du matériel à hauteur de la somme de 44 160 euros TTC ;

- elle a subi un manque à gagner à hauteur de 927 844,88 euros TTC.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2022, la commune de Nancy, représentée par Me Loctin de l'AARPI CL Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SAS 3D Est le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'elle n'a commis aucune faute et que les préjudices allégués par la société

3D Est ne sont pas établis.

Un mémoire, enregistré le 13 novembre 2023, présenté pour la commune de Nancy, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Demarest pour la société 3D Est ainsi que celles de Me Loctin pour la commune de Nancy.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de la défaillance de la société Xardel Démolition, initialement chargée des travaux de dépollution et de désamiantage du bâtiment Lyautey, la commune de Nancy a demandé à la société 3D Est d'intervenir sur ce bâtiment, dans le cadre du marché à bons de commande n° 2017-23 ayant pour objet " les travaux de désamiantage dans les propriétés de la ville de Nancy " passé entre la société 3D Est et la commune de Nancy. Par la suite, la commune de Nancy a confié le reste des travaux de désamiantage à la société SPIE Batignolles Est. Par courrier du 14 mars 2019, la commune de Nancy a confirmé à la société 3D Est que les travaux de désamiantage seraient poursuivis par la société SPIE Batignolles Est et lui a demandé de restituer le chantier le 19 mars 2019. Par un jugement du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Nancy a, d'une part, donné acte du désistement des conclusions de la société 3D Est tendant à ce que la commune de Nancy lui verse le solde du marché à hauteur de 131 849,90 euros TTC, et d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la société 3D Est tendant notamment à l'indemnisation de frais d'immobilisation et de manque à gagner. La société 3D Est relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande indemnitaire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Dans ses écritures de première instance, la société 3D Est a soutenu que la commune de Nancy aurait dû lui indiquer si elle entendait mettre en œuvre la procédure de passation d'un nouveau marché ou recourir aux services d'une autre entreprise pour les travaux de désamiantage et que l'absence de communication de cette information était constitutive d'une faute. Une telle argumentation, qui au demeurant a été visée par le tribunal administratif de Nancy dans son jugement attaqué, ne constituait toutefois pas un moyen auquel les premiers juges étaient tenus de répondre mais un argument venant au soutien du moyen selon lequel la commune de Nancy, en laissant croire à la société 3D Est qu'elle obtiendrait la totalité du marché, aurait commis une faute. Au surplus, les premiers juges ont expressément relevé, dans le jugement attaqué, que si les circonstances étaient de nature à révéler que les services de la commune de Nancy ont tardé à prendre une position non équivoque sur les demandes de la société 3D Est, il ne résultait en revanche pas de l'instruction que la commune de Nancy aurait pris l'engagement formel et précis de conclure avec la société 3D Est un marché portant sur la totalité des travaux de désamiantage.

3. Dès lors, la société 3D Est n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué n'aurait ni analysé ni répondu au moyen selon lequel la commune de Nancy aurait dû l'informer plus tôt de ce qu'elle ne lui confierait pas la totalité des travaux de désamiantage et serait, pour ce motif, irrégulier.

Sur les conclusions indemnitaires :

4. En premier lieu, la rupture unilatérale, par la personne publique, pour un motif d'intérêt général, des négociations préalables à la passation d'un contrat n'est pas de nature à engager sa responsabilité pour faute. Cette responsabilité peut, toutefois, être mise en cause lorsque la personne publique, au cours des négociations, a incité son partenaire à engager des dépenses en lui donnant, à tort, l'assurance qu'un tel contrat serait signé, si celui-ci peut soutenir qu'il ignorait légitimement le risque auquel il s'exposait. En revanche, alors même qu'une telle assurance aurait été donnée, elle ne peut créer aucun droit à la conclusion du contrat. La perte du bénéfice que le partenaire pressenti escomptait de l'opération ne saurait, dans cette hypothèse, constituer un préjudice indemnisable.

5. D'une part, le 25 juillet 2018, la société 3D Est a transmis à la commune de Nancy, un devis, d'un montant de 999 819,60 euros HT, pour les travaux de désamiantage de l'ensemble du bâtiment Lyautey. Le 2 août 2018, la société 3D Est a également réalisé un plan de retrait portant sur la totalité de la surface du bâtiment. Le 13 septembre 2018, après avoir rappelé le montant de son devis initial, la société 3D Est a réclamé la somme de 199 963,92 euros correspondant à l'acompte forfaitaire des travaux de désamiantage de l'ensemble de l'immeuble. Quelques jours après, le

26 septembre 2018, la commune de Nancy a émis un bon de commande d'un montant de

201 625,55 euros HT pour procéder à plusieurs mesures urgentes de désamiantage dans le bâtiment Lyautey. Le montant de ce bon de commande de 201 625,55 euros HT, supérieur au montant de l'acompte forfaitaire réclamé par la société pour le paiement du devis initial, ne pouvait donc valoir, même implicitement, acceptation du devis initial du 25 juillet 2018. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment des échanges entre la société 3D Est et la commune de Nancy, que le bon de commande du 26 septembre 2018 a été émis uniquement dans le cadre du marché à bons de commandes du 25 septembre 2017 dont la société 3D Est était l'unique attributaire. Dans son courrier électronique du 4 octobre 2018, dont les termes ont été confirmés le 14 mars 2019, la commune de Nancy a fermement indiqué son refus d'accepter le devis initial émis par la société 3D Est le 25 juillet 2018. Dans ces conditions, les prestations réalisées effectivement par la société 3D Est et rémunérées par la commune de Nancy se sont uniquement inscrites dans le cadre de ce bon de commandes émis le 26 septembre 2018 et ne se rattachaient pas au devis initial du 25 juillet 2018 portant sur les travaux de désamiantage de l'ensemble du bâtiment Lyautey.

6. D'autre part, par le courrier électronique du 4 octobre 2018, la commune de Nancy, après avoir rappelé l'existence du bon de commande du 26 septembre 2018, a précisé que, concernant le phasage, la suite des travaux ferait l'objet de marchés formalisés. La perspective du recours à de telles procédures ne pouvait donc laisser croire à la société 3D Est qu'elle était assurée d'obtenir l'intégralité des travaux de désamiantage. Le 20 février 2019, la commune de Nancy a indiqué, par courrier électronique, qu'une procédure de consultation des entreprises titulaires d'accord cadre multi attributaire, avait été lancée au cours du mois de janvier 2019 et que la société SPIE Batignolles Est avait été attributaire d'un marché subséquent pour le désamiantage de l'ensemble de l'immeuble Lyautey. Par un courrier du 14 mars 2019, la commune de Nancy a confirmé que la société SPIE Batignolles avait été choisie pour assurer la continuation des travaux entrepris par la société 3D Est. Par ce même courrier, la commune de Nancy demandait à la société 3D Est de remettre les clés du chantier le 19 mars 2019. Ainsi, il résulte de ces échanges que la commune de Nancy n'a jamais laissé entendre à la société 3D Est qu'elle était engagée pour l'ensemble des travaux de désamiantage de l'immeuble Lyautey.

7. Par suite, la commune de Nancy n'a donné aucune assurance à la société 3D Est qu'un contrat autre que celui du marché à bons de commandes les liant serait signé. Dès lors, la société

3D Est n'établit l'existence d'une faute commise par la commune de Nancy dans l'espérance qu'elle aurait pu faire dans la conclusion d'un nouveau contrat.

8. En second lieu, dans la mesure où la commune de Nancy avait indiqué, dès le 4 octobre 2018, concernant le phasage des travaux, qu'un marché formalisé serait conclu, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Nancy aurait tardé à adopter une position claire concernant le fait qu'elle cherchait une entreprise bénéficiant déjà d'un marché à bon de commande.

9. En dernier lieu, les conditions, quelles qu'elles soient, dans lesquelles la société SPIE Batignolles Est, figurant parmi les attributaires du lot n° 1 " Maçonnerie Gros Œuvre " de l'accord-cadre de travaux d'entretien, grosses réparations et petits travaux neufs s'est vu confier le marché subséquent relatif au " Désamiantage des locaux et ouvrages-Bâtiment Lyautey " sont enfin sans incidence sur l'appréciation des fautes de la commune à avoir donner des assurances à la société 3D Est d'obtenir l'intégralité des travaux et d'avoir tardé à prendre une position claire à ce titre, lesquelles, comme il vient d'être dit, ne sont pas établies.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société 3D Est n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Nancy, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société 3D Est demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société 3D Est le versement de la somme de 2 000 euros à la commune de Nancy sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société 3D Est est rejetée.

Article 2 : La société 3D Est versera à la commune de Nancy une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS 3D Est et à la commune de Nancy.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : A. DenizotLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne au préfet de Meurthe-et-Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 21NC01580


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01580
Date de la décision : 19/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Arthur DENIZOT
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SELARL CL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-19;21nc01580 ?
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