Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 19 février 2019 par laquelle le président directeur général de la société La Poste SA a prononcé sa révocation à titre disciplinaire.
Par un jugement n° 1900233 du 8 juin 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 septembre 2021 et un mémoire complémentaire enregistré le 3 décembre 2021, ainsi que des pièces enregistrées les 8 et 12 décembre 2021, 1er et 2 février 2022 et 7 avril 2022, M. B..., représenté par Me Monotuka, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 8 juin 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 19 février 2019 par laquelle le président directeur général de La Poste SA a prononcé sa révocation ;
3°) d'enjoindre à la société La Poste d'appliquer le protocole d'accord signé le 17 juillet 2017 entre les parties ;
4°) de mettre à la charge de La Poste une somme de 50 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique en date du 15 mai 2019 n'est pas motivée et l'instruction devant ce magistrat a méconnu le droit à un procès équitable ;
- le tribunal administratif de la Martinique ne s'est pas livré à un examen impartial de son dossier ; il avait pourtant demandé au Conseil d'Etat un dessaisissement de cette juridiction ;
- les pièces de son dossier individuel et leurs copies n'ont pas été numérotées ;
- M. C... n'a pas respecté ses engagements, pris devant témoins en mai 2016 et mai 2017, de déclencher le dispositif de prévention du harcèlement moral, et de réétudier sa situation ; il est faux de la part de La Poste de prétendre qu'elle a signé sous la contrainte le protocole d'accord du 17 juillet 2017 ; en conséquence, La Poste a méconnu son devoir de loyauté et doit voir sa responsabilité engagée pour promesses non tenues ;
- il n'était pas en situation d'absence irrégulière en mai 2017 puisqu'on lui avait demandé de rester chez lui ;
- il subit une répression antisyndicale et une discrimination en raison de son appartenance à un syndicat CMDT-Postes jugé illégal par La Poste ;
- Il a subi illégalement une triple sanction, à savoir une suspension de salaires pendant deux ans, puis une nouvelle suspension de salaires durant un an et enfin un déplacement d'office vers la direction de La Poste ; ces sanctions lui ont causé un préjudice d'autant plus grand qu'elles se sont appliquées en pleine pandémie de Covid-19,
- ces sanctions sont fondées sur des motifs fallacieux et mensongers ; La Poste et M. C... on introduit de faux témoignages dans son dossier disciplinaire ;
- la décision de révocation méconnaît les recommandations du rapport n° 371 de mars 2014 du Bureau International du Travail des Nations-Unies.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2022, la société La Poste, représentée par Me Bellanger, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne comporte aucun moyen dirigé contre le jugement du 8 juin 2021 ;
- les conclusions visant l'ordonnance du juge des référés du 15 mai 2019 et tendant à ce que soit constaté le dessaisissement du tribunal administratif de la Martinique sont irrecevables car ne relevant pas de l'office de la cour saisie du jugement au fond ;
- il en va de même d'un certain nombre des conclusions dont est saisie la cour, qui sont nouvelles en appel ;
- les conclusions indemnitaires sont irrecevables dès lors que non seulement elles sont nouvelles en appel mais elles n'ont pas été précédées d'une réclamation adressée préalablement à l'administration ;
- aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Par ordonnance du 10 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 mars 2023 à 12h00.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- l'arrêt n° 19BX02588, 19BX05038 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 1er février 2021 ;
- l'ordonnance n° 1900244 du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 2007-1331 du 10 septembre 2007 ;
- le décret n° 2010-191 du 26 février 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Laurent Pouget,
- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bellanger, représentant la SA La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., fonctionnaire de La Poste depuis 1990, a été affecté en 2012, suite à une mutation dans l'intérêt du service, sur le poste de superviseur courrier au sein de la direction du déploiement industriel de la direction des activités "courrier colis" de la direction régionale de La Poste de Martinique. Il a été placé en congé de longue maladie non imputable au service du 26 décembre 2012 au 25 décembre 2015. Il n'a pas repris son service à l'issue de ce congé en dépit de plusieurs mises en demeure et entretiens avec sa hiérarchie, et a été placé en congé de maladie ordinaire du 27 avril 2016 au 4 avril 2017. En mai 2017, M. B... a refusé une nouvelle fois explicitement de rejoindre son poste de travail et a entrepris ensuite d'entraver le fonctionnement des services de la Poste, d'abord par une occupation illicite, pendant plusieurs semaines, du bureau du directeur régional de La Poste en juin 2017, puis en suscitant de la part de tierces personnes des actions de blocage de plusieurs sites et des dégradations de locaux. Le président directeur général de la société La Poste SA, après avis favorable du conseil central de discipline du 30 juillet 2018, a prononcé sa révocation par une décision du 19 février 2019 dont l'intéressé a demandé l'annulation au tribunal administratif de la Martinique. M. B... relève appel du jugement du 8 juin 2021 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. D'une part, s'il affirme que le tribunal administratif de la Martinique n'a pas été impartial à son égard et fait valoir qu'il a sollicité pour ce motif son dessaisissement, M. B... n'établit pas la réalité de ce qu'il allègue alors que par un arrêt n° 19BX02588 - 19BX05038 du 1er février 2021 devenu définitif, la cour a rejeté sa requête à fin de renvoi pour cause de suspicion légitime.
3. D'autre part, le requérant ne peut utilement, en tout état de cause, se prévaloir à l'encontre du jugement du 8 juin 2021 dont il relève appel, de vices qui entacheraient selon lui la procédure devant le juge des référés du tribunal administratif et la motivation de l'ordonnance du 15 mai 2019 par laquelle celui-ci a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de la décision qu'il conteste.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 18 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable au présent litige : " Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant la situation administrative de l'intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité (...) ". Et l'article 1er du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'État dispose que : " L'administration doit dans le cas où une procédure disciplinaire est engagée à l'encontre d'un fonctionnaire informer l'intéressé qu'il a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de tous les documents annexes et la possibilité de se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. Les pièces du dossier et les documents annexes doivent être numérotés. "
5. Si M. B... prétend que les pièces de son dossier individuel et leurs copies n'étaient pas numérotées, en méconnaissance des dispositions précitées, une telle circonstance, à la supposer établie, ne caractérise pas par elle-même un vice de procédure de nature à entraîner l'annulation de la décision attaquée. En l'occurrence, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été informé le 7 décembre 2017 de la possibilité de consulter son dossier, qu'il a effectivement consulté le 14 décembre suivant. Il a également été informé le 14 juin 2018 de l'ajout de nouvelles pièces à ce dossier et mis à même de les consulter. Il ne soutient ni même n'allègue que le dossier dont il a ainsi pu prendre connaissance afin de préparer sa défense n'aurait pas été complet et il ressort en outre du procès-verbal de la séance du conseil de discipline du 30 juillet 2018 qu'il a lui-même admis à cette occasion que ce dossier était bien numéroté. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.
6. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la décision de révocation méconnaît les recommandations du rapport n° 371 de mars 2014 du Bureau International du Travail des Nations-Unies doit être écarté par adoption des motifs pertinents retenus par le tribunal au point 16 du jugement.
7. En troisième lieu, si M. B... soutient qu'il a été illégalement sanctionné à plusieurs reprises puisqu'il a fait par ailleurs l'objet de deux " suspensions de traitements " et d'un déplacement d'office, il ne précise pas son propos et il ne ressort en tout état de cause d'aucun élément du dossier qu'il aurait, dans le déroulement des faits ayant conduit à la mesure de révocation en cause, fait l'objet de sanctions déguisées de la part de l'administration de La Poste à raison de ces mêmes faits.
8. En quatrième lieu, l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose que : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public (...) ". L'article 25 de la même loi dispose : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. " Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dispose que : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes / (...) Quatrième groupe : / (...) - la révocation (...) ".
9. Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
10. La décision contestée du président directeur général de la société La Poste en date du 19 février 2019 prononce la révocation de M. B... aux motifs de sa contestation et remise en cause de l'autorité hiérarchique en récidive ainsi que d'actes d'intimidation envers ses supérieurs, de refus d'obéissance et d'absences irrégulières répétées, notamment du refus d'occuper le poste de superviseur qui lui avait été assigné en dépit de plusieurs mises en demeure, d'un comportement agressif en récidive, le 9 mai 2017, à l'encontre de la directrice " Ressources, appui et transformation ", du directeur régional et du médecin du travail, du refus d'exécuter une décision de suspension de fonctions notifiée le 16 juin 2017, de l'occupation illégale du bureau du directeur régional de la Poste pendant vingt-quatre jours ayant donné lieu à une décision de justice lui ordonnant de libérer les lieux, de l'extorsion, le 17 juillet 2017, de la signature du directeur régional dans le but d'obtenir sous la contrainte un protocole de sortie de crise unilatéralement rédigé, du refus d'obéissance caractérisé à la hiérarchie et de se plier à l'injonction judiciaire de mettre fin à son occupation illicite ayant conduit à l'intervention des forces de l'ordre pour l'évacuer, de comportements ayant conduit des personnes de son entourage, extérieures à l'entreprise, à se livrer à des actes de blocage des personnels sur plusieurs sites et à des actes de violence envers les personnels d'encadrement, ayant généré un climat d'insécurité, des troubles psychologiques, des arrêts de travail ainsi qu'une désorganisation sévère des services, du cautionnement de ces actes pour obtenir par intimidation la satisfaction de ses revendications personnelles, de la réitération du refus d'exécuter la mesure de suspension de fonctions en tentant d'obtenir du directeur de centre de tri de Dillon la réintégration le 18 août 2017 en se prévalant du protocole précité dont le caractère nul et non avenu lui avait été signifié, enfin de calomnies et insultes publiques envers des dépositaires de l'autorité hiérarchique nommément désignées mises en ligne sur internet et les réseaux sociaux.
11. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a estimé que ce dernier motif reposait sur des faits matériellement inexacts mais a considéré en revanche que la matérialité des autres griefs était établie par l'administration et que la gravité des fautes ainsi effectivement commises par M. B..., outre que celui-ci avait déjà fait l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires antérieures, était de nature à justifier la sanction prononcée à son encontre, qui ne présente pas de caractère disproportionné.
12. Le requérant se borne devant la cour, pour contester le bien-fondé de la sanction prise à son encontre et l'appréciation portée à ce titre par les premiers juges, à soutenir qu'il n'était pas en situation d'absence irrégulière en mai 2017 puisqu'on lui avait demandé de rester chez lui, que La Poste a méconnu son devoir de loyauté puisqu'elle n'a pas honoré le " protocole d'accord " signé le 17 juillet 2017 par le directeur régional en vertu duquel notamment il serait affecté au centre de tri de Dillon et toutes poursuites contre lui seraient abandonnées, et enfin que des faux témoignages ont été introduits par l'administration dans son dossier disciplinaire. Toutefois, M. B... n'assortit cette dernière affirmation d'aucune précision permettant à la cour d'en apprécier la portée. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que ce n'est qu'après que M. B... ait dû être expulsé du bureau du directeur régional de la Poste avec le concours de la force publique, le 5 juillet 2017, et dans un contexte de violences dont il était l'instigateur, qu'il lui a été fait interdiction d'accéder dans les locaux des services de La Poste. Il ne saurait donc, dans ces conditions, se prévaloir de cette interdiction pour contester la matérialité des faits d'absence irrégulière qui lui sont reprochés sur la période du 4 avril au 13 juin 2017, au cours de laquelle il lui a été ordonné en vain à de multiples reprises de reprendre son poste de superviseur courrier. Enfin, il ne saurait davantage invoquer une violation par l'administration du " protocole " du 17 juillet 2017, dont il ne conteste pas sérieusement les conditions illicites d'obtention, à savoir sous la contrainte, lesquelles constituent précisément l'un des motifs de la mesure disciplinaire dont il fait l'objet.
13. En dernier lieu, il ne ressort aucunement des pièces du dossier que la mesure litigieuse s'inscrirait dans le cadre d'une discrimination syndicale, ainsi que l'allègue le requérant.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de la Martinique du 8 juin 2021. Ses conclusions en ce sens doivent par suite être rejetées, de même que ses conclusions à fin d'injonction.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société La Poste, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros à verser à La Poste en application des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera une somme de 1 500 euros à La Poste en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la société La Poste SA.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président-rapporteur,
Laurent Pouget La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX03795