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19/12/2023 | FRANCE | N°21BX03793

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 19 décembre 2023, 21BX03793


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune de Turenne a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner in solidum la société Bureau Manciulescu ACMH et associés, la société Socoba ainsi que leurs assureurs les sociétés SMABTP et MAF à lui verser la somme totale de 438 664,40 euros en réparation de ses préjudices matériel, financier, de jouissance et moral.



Par un jugement n° 1801754 du 22 juillet 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté cette demande.
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Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 27 septembre 2021 ainsi que ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Turenne a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner in solidum la société Bureau Manciulescu ACMH et associés, la société Socoba ainsi que leurs assureurs les sociétés SMABTP et MAF à lui verser la somme totale de 438 664,40 euros en réparation de ses préjudices matériel, financier, de jouissance et moral.

Par un jugement n° 1801754 du 22 juillet 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 septembre 2021 ainsi que des mémoires enregistrés les 14 avril et 17 mai 2023 la commune de Turenne, représentée par Me Heymans, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 22 juillet 2021 ;

2°) de condamner solidairement la société Bureau Manciulescu ACMH et associés et la société Socoba à lui verser la somme totale de 438 664,40 euros en réparation des préjudices matériel, financier, de jouissance et moral que lui ont causé les désordres affectant la toiture en lauze de la chapelle des Capucins ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la société Bureau Manciulescu ACMH et associés et de la société Socoba une somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les infiltrations à travers la toiture rendent l'ouvrage impropre à sa destination :

- ces désordres sont imputables au maître d'œuvre et à l'entreprise en charge des travaux de rénovation de la toiture ;

- elle justifie de la réalité et du montant de ses préjudices.

Par un mémoire enregistré le 10 février 2023, la société Socoba, représentée par Me Plas, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la commune de Turenne au titre des frais exposés pour l'instance, subsidiairement à ce que l'Etat et le Bureau Manciulescu ACMH et associés soient condamnés à la garantir des condamnations mises à sa charge.

Elle soutient que :

- il appartient au maire de justifier de sa capacité à agir en justice ;

- les infiltrations constatées ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination et ont été supprimées par l'intervention qu'elle a réalisée dans le cadre de la garantie de parfait achèvement ;

- elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de ses prestations ;

- seul le choix d'une couverture en lauze pourrait être regardé comme fautif ;

- la commune ne justifie pas de son préjudice mais souhaite remplacer la couverture existante par une couverture en ardoise.

Par un mémoire enregistré le 6 avril 2023, la société Bureau Manciulescu ACMH et associés, représentée par Me Dasse, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la commune de Turenne au titre des frais exposés pour l'instance, subsidiairement à ce que la société Socoba et l'Etat soient condamnés à la garantir des condamnations mises à sa charge.

Elle soutient que :

- les infiltrations constatées ont été prévues lors de la conception de l'ouvrage, étaient apparentes et impliquent seulement un entretien régulier ;

- elles n'ont pas rendu l'ouvrage impropre à sa destination dans le délai de la garantie décennale ;

- seuls la société Socoba, au titre de son devoir de conseil, et l'Etat, à raison de son choix d'une couverture en lauze, pourraient être regardés comme ayant commis des fautes.

Par des mémoires enregistrés les 7 et 13 avril 2023, la ministre de la culture conclut au rejet de la requête et des appels en garantie formés à l'encontre de l'Etat par les sociétés Socoba et Bureau Manciulescu ACMH et associés.

Elle soutient que :

- les désordres en cause ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage et ne le rendent pas impropre à sa destination dès lors qu'ils ne concernent que des combles perdus ;

- aucune faute n'a été commise dans la conception ou l'exécution des travaux, qui prévoyaient des infiltrations d'eau ;

- le choix de couvrir avec des lauzes a été décidé en concertation avec le maître de l'ouvrage, et le maître d'œuvre et n'est pas à l'origine des infiltrations.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique,

- les observations de Me Quevarec, représentant la commune de Turenne, de Me Dasse, représentant la société Bureau Manciulescu ACMH et associés et les observations de Me Maret, représentant la société Socoba.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Turenne a souhaité engager des travaux de restauration complète de la toiture de la chapelle des Capucins, édifice classé aux monuments historiques, en procédant à la réfection de la couverture en lauze, sur deux versants symétriques avec renforcement et purge de la charpente en place. La maitrise d'œuvre de ce chantier a été confiée à la société Bureau Manciulescu ACMH et associés et les travaux à la société Socoba. Ces travaux ont été réceptionnés sans réserve à effet du 20 mai 2010. A compter de juillet 2011, des infiltrations ont été constatées dans la chapelle et la commune a sollicité la réalisation de travaux de reprise, qui ont été réalisés par la société Socoba en 2013. Estimant que ces reprises n'avaient pas apporté de solution pérenne au désordre, la commune a sollicité une expertise judiciaire. L'expert nommé par le président du tribunal administratif de Limoges a remis son rapport le 30 octobre 2017. La commune de Turenne relève appel du jugement du 22 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la société Bureau Manciulescu ACMH et associés et de la société Socoba à lui verser la somme totale de 438 664,40 euros en réparation de ses préjudices matériel, financier, de jouissance et moral.

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La responsabilité décennale peut être recherchée pour des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

3. D'une part, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté par la commune que les infiltrations d'eau de pluie, qui sont inhérentes aux couvertures en lauze, ont été prises en considération et anticipées au stade de la conception puis de l'exécution des travaux, par la mise en place d'un dispositif de collecte et d'évacuation des eaux infiltrées comprenant un traitement en ciment hydrofuge de l'extrados de la voute, et la mise en place d'une cunette de recueil de ces eaux.

4. D'autre part, si la commune entend se prévaloir d'un constat d'huissier effectué le 30 juin 2013 qui atteste de l'existence d'infiltration d'eau dans les murs et le plafond de la chapelle, ce constat est antérieur aux travaux de reprise effectués au second semestre 2013 par la société Socoba dans la cadre de la garantie de parfait achèvement. Il est également antérieur, de plusieurs années, aux visites de l'expert judiciaire. Or il ressort du rapport établi par celui-ci qu'à compter de la réalisation de ces travaux de reprise, et selon les dires mêmes du maire de la commune, plus aucune infiltration d'eau de pluie n'a été constatée dans les murs et le plafond de la chapelle. L'expert a en revanche constaté, lors de son passage après une période de forte pluie, des traces d'humidité sous les combles perdus et, en une occurrence, de moisissure sur la partie sud du versant ouest, particulièrement exposée aux intempéries. Il a noté un aspect irrégulier de la toiture vue de l'extérieur et un " resserrement " des lauzes ponctuellement insuffisant ainsi que l'existence de " jours interstitiels " consubstantiels à l'utilisation de lauzes. Il a néanmoins considéré qu'eu égard à leurs caractéristiques, ces lauzes avaient été posées conformément aux règles de l'art dès lors, en particulier qu'une seule lauze sur l'échantillon testé présentait une pente de 9 %, très légèrement inférieure aux recommandations d'usage. Il a également constaté que le bois de charpente, d'une classe pourtant inférieure à celle qui aurait, selon lui, été souhaitable, n'était chargé d'eau qu'à hauteur de 30 à 35% et demeurait inaltéré, ce qui témoigne d'un séchage rapide rendu possible par le système d'évacuation gravitaire des infiltrations d'eau et par une ventilation naturelle efficace des combles. Il en a conclu que les quelques désordres relevés n'étaient pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible.

5. Enfin, la commune, qui n'a pas sollicité la réalisation d'une nouvelle expertise contradictoire, entend également se prévaloir des attestations établies à sa demande en 2017 et en 2023 par un " lauzier " et un " formateur lauzier ", de l' " avis technique " établi en avril 2019 par la société Corrèze Ingénierie et d'un nouveau constat d'huissier établi le 14 mars 2023, qui font état d'une obstruction du mécanisme d'évacuation des eaux de pluie, qu'il appartenait à la commune d'entretenir, ainsi que d'une humidité au toucher sur les bois de charpente et de traces de moisissures sur les linteaux. Toutefois, ces seuls éléments, au demeurant essentiellement postérieurs à l'expiration de la garantie décennale, ne permettent, à eux-seuls, ni de caractériser une aggravation significative des désordres relevés en 2013 ni de considérer que l'humidité résiduelle, dont l'expert judiciaire a relevé qu'elle était conforme à ce qui pouvait être attendu de ce type de couverture et qui n'affecte que les combles perdus, compromettrait la solidité de l'ouvrage ou le rendrait impropre à sa destination.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête ou la réalité des préjudices allégués par la commune, que celle-ci n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont considéré que les désordres invoqués n'étaient pas de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs. Par suite, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

7. En application des mêmes dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Turenne des sommes de 1 500 euros au titre des frais d'instance exposés respectivement par la société Bureau Manciulescu ACMH et associés et par la société Socoba

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Turenne est rejetée.

Article 2 : La commune de Turenne versera à chacune des sociétés Bureau Manciulescu ACMH et associés et Socoba une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Turenne, à la société Bureau Manciulescu ACMH et associés, à la société Socoba et à la ministre de la culture.

.

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2023.

.

Le rapporteur,

Manuel A...

Le président,

Laurent PougetLa greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au préfet de la Corrèze en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°21BX03793 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03793
Date de la décision : 19/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : ADALTYS – AARPI INTERBARREAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-19;21bx03793 ?
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