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15/12/2023 | FRANCE | N°22PA04002

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 15 décembre 2023, 22PA04002


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 30 octobre 2019 par lequel la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a prononcé à son encontre une sanction de déplacement d'office ainsi que la décision implicite par laquelle il a rejeté son recours gracieux.



Par un jugement n° 2005162 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête, des mémoires et un mémoire récapitulatif enregistrés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 30 octobre 2019 par lequel la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a prononcé à son encontre une sanction de déplacement d'office ainsi que la décision implicite par laquelle il a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 2005162 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, des mémoires et un mémoire récapitulatif enregistrés les 29 août 2022 et 8 février, 27 février, 1er avril, 12 mai et 15 juin 2023, M. B..., représenté par Me Revel, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler l'arrêté du 30 octobre 2019 de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

3°) de mettre à la charge l'Etat et de l'université une somme, respectivement, de 10 000 euros et de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il est entaché d'omissions à statuer ;

- le tribunal aurait dû faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour obtenir les notes de séance et le procès-verbal non anonymisé de la séance de la commission administrative paritaire nationale (CAPN), et il est demandé à la Cour de se faire communiquer ces documents ;

- la procédure disciplinaire suivie devant la CAPN a méconnu l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle a méconnu le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 en ce que l'ensemble de ses témoins n'a pas été entendu et qu'aucune confrontation entre témoins n'a eu lieu ;

- la décision contestée est intervenue avant l'avis de la CAPN ;

- elle vise à tort l'avis motivé de la CAPN ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis ;

- il ne peut être sanctionné au titre des faits qui lui sont reprochés au regard des articles 6 ter A, 6 quinques et 28 de la loi du 13 juillet 1983 et 5-6 du décret du 28 mai 1982 dès lors qu'il s'agit de faits ayant fait l'objet d'une alerte, de la dénonciation du harcèlement moral dont il a été la victime, de la désobéissance à des ordres manifestement illégaux ou de l'exercice de son droit de retrait ;

- la décision de sanction a été prise en représailles à son signalement ;

- elle est disproportionnée.

Par un mémoire en défense et un mémoire récapitulatif enregistré les 17 mars et 16 juin 2023, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

L'université Paris 8 a présenté des observations, enregistrées les 25 janvier, 13 février, 16 mars et 20 juin 2023.

Le Défenseur des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, a présenté des observations, enregistrées le 7 février 2023.

Par une intervention, enregistrée le 12 juin 2023, l'association Maison des lanceurs d'alerte demande que le tribunal fasse droit aux conclusions de la requête de M. B... et qu'il mette à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son intervention est recevable ;

- M. B... réunit les six éléments conditionnant la reconnaissance de la qualité de lanceur d'alerte ;

- la sanction contestée est directement liée au signalement auquel il a procédé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, notamment son article 33 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;

- le décret n°82-453 du 28 mai 1982 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Revel, représentant M. B..., de Me Moreau et Me Ben Hamouda, représentants l'université Paris 8, et de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ingénieur de recherche, a été nommé directeur de la recherche au sein de l'université Paris 8 à compter du 1er décembre 2015. Par une décision du 30 octobre 2019, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a pris à son encontre une sanction de déplacement d'office. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation de cette décision et de la décision de rejet du recours gracieux exercé à son encontre.

Sur l'intervention de l'association Maison des lanceurs d'alerte :

2. Eu égard à son objet, l'association Maison des lanceurs d'alerte justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision contestée. Ainsi, son intervention à l'appui de la requête formée par M. B... est recevable.

Sur la régularité du jugement :

3. A l'appui de sa demande, M. B... soutenait notamment qu'il avait la qualité de lanceur d'alerte et que la sanction en litige avait été prise en représailles de son signalement. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, son jugement doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre sa régularité.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B....

Sur le bien-fondé de la demande de M. B... :

En ce qui concerne les moyens de légalité externe :

5. En premier lieu, la commission administrative paritaire nationale siégeant en formation disciplinaire ne dispose d'aucun pouvoir de décision et se borne à émettre un avis destiné à l'autorité compétente sur le principe et, le cas échéant, le quantum de la sanction disciplinaire qu'elle envisage de prononcer. Ainsi, elle ne constitue ni une juridiction, ni un tribunal au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant elle aurait méconnu ces stipulations ne peut être utilement invoqué par M. B... et doit, par suite, être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire poursuivi peut présenter devant le Conseil de discipline des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. Le droit de citer des témoins appartient également à l'administration ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " (...) Le conseil de discipline entend séparément chaque témoin cité. / A la demande d'un membre du conseil, du fonctionnaire poursuivi ou de son ou de ses défenseurs, le président peut décider de procéder à une confrontation des témoins, ou à une nouvelle audition d'un témoin déjà entendu (...) ".

7. Il appartient au conseil de discipline de décider s'il y a lieu de procéder à l'audition de témoins. Dès lors, la seule circonstance que le conseil de discipline n'a entendu que dix des cinquante-huit témoins dont M. B... avait demandé l'audition et des trente-deux témoins finalement convoqués, alors que les cinq témoins de l'administration ont été entendus, ne méconnaît pas les dispositions précitées du décret du 25 octobre 1984. Il résulte par ailleurs de l'article 5 de ce décret que le président du conseil de discipline n'était pas tenu de faire droit à la demande de confrontation de témoins formée par M. B.... Le moyen tiré de la méconnaissance des articles 3 et 5 de ce décret doit, par suite, être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, applicable au litige : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination qui l'exerce après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline et dans les conditions prévues à l'article 19 du titre Ier du statut général (...) ". Aux termes de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984 : " Le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l'intéressé et des témoins ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée (...). / Dans l'hypothèse où aucune des propositions soumises au conseil de discipline, y compris celle consistant à ne pas prononcer de sanction, n'obtient l'accord de la majorité des membres présents, le conseil est considéré comme ayant été consulté et ne s'étant prononcé en faveur d'aucune de ces propositions. Son président informe alors de cette situation l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. Si cette autorité prononce une sanction, elle doit informer le conseil des motifs qui l'ont conduite à prononcer celle-ci ".

9. Il résulte des dispositions précitées que le prononcé d'une sanction ne peut intervenir qu'après que l'autorité investie du pouvoir de nomination a été informée de l'avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline ou de ce qu'aucune proposition n'a recueilli l'accord de la majorité des membres présents. Il ressort des pièces du dossier que la sanction en litige est intervenue le 30 octobre 2019 mais que la présidente de la commission administrative paritaire nationale compétente à l'égard du corps des ingénieurs de recherche du ministère chargé de l'enseignement supérieur n'a informé la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation que le 8 novembre 2019 de ce qu'aucune des propositions soumises au vote n'avait recueilli la majorité des voix des membres présents. Cette circonstance n'a toutefois pas été de nature à avoir une influence sur le sens de la décision ni à priver M. B... d'une garantie en l'absence d'avis rendu par le conseil de discipline. Il ressort au surplus des pièces du dossier que la signataire de la décision du 30 octobre 2019 a présidé la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline qui a examiné l'affaire de M. B.... Par suite, le moyen tiré de ce que la sanction est intervenue avant l'avis de la commission administrative partiaire siégeant en conseil de discipline doit être écarté.

10. En quatrième lieu, la circonstance que la décision en litige vise, à tort, " l'avis motivé de la commission administrative paritaire du 16 octobre 2019 siégeant en formation disciplinaire " est restée, en l'absence d'avis émis, sans incidence sur le sens de la décision et n'est dès lors pas de nature à l'entacher d'irrégularité.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.

A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 2° Infligent une sanction (...) ".

12. Si certains énoncés de la décision du 30 octobre 2019 présentent un caractère général, celle-ci mentionne avec suffisamment de précisions les fautes retenues à l'encontre de M. B... lequel pouvait, à la lecture de ses motifs, être informé des faits qui lui étaient reprochés. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

S'agissant des fautes reprochées à M. B... :

13. En premier lieu, si M. B... conteste avoir manqué de loyauté à l'égard de la présidente de l'université et des deux vice-présidents de la commission de la recherche, il ressort des pièces du dossier que par un courriel du 20 décembre 2018, communiqué en copie à la cheffe du service de la valorisation de la recherche et à la directrice générale des services, il a accusé le vice-président de la commission de la recherche et son adjoint de " complicité " avec les actes irréguliers d'un laboratoire. En outre, par un courriel du 9 mars 2019 envoyé à tous les membres de la commission de la recherche, directeurs d'unité, membres du collège doctoral et à l'ensemble des agents de la direction de la recherche, il a mis en cause la probité de la présidente et des deux vice-présidents de la commission de la recherche, accusant la première de protéger ses plus proches collaborateurs et les seconds d'être " au-dessus des lois ". Il ressort en revanche des pièces du dossier qu'il n'est pas l'auteur de la lettre ouverte datée du 7 février 2019 et signée des agents de sa direction accusant " l'équipe présidentielle/direction de l'établissement " de ne pas respecter les règles administratives et financières et d'avoir des pratiques et comportements contraires à la déontologie et qu'il l'a décrochée dès que sa hiérarchie le lui a demandé, le 7 mars 2019. Ainsi aucun manquement ne peut-il lui être reproché au sujet de cette lettre et de son affichage dans un lieu de passage.

14. D'une part, aux termes du deuxième alinéa de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (...) ".

15. Si M. B... soutient qu'il ne peut être sanctionné pour ces agissements dès lors qu'il s'agissait de rendre publique une alerte, les faits qui lui sont reprochés n'ont pas consisté à rendre publique une alerte mais à dénigrer les vice-présidents de la commission de la recherche et la présidente de l'université. Il n'est dès lors pas fondé à se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article 6 ter 1 de la loi du 13 juillet 1983.

16. D'autre part, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, dans sa version applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés (...) ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

17. M. B... s'est plaint, dans sa demande de protection fonctionnelle contre le vice-président adjoint de la commission de la recherche formée le 19 février 2019, que celui-ci, après lui avoir apporté son soutien face au directeur du laboratoire dont il dénonçait les agissements, n'aurait rien fait pour le protéger. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le vice-président de la commission de la recherche et son adjoint ne se sont pas bornés à apporter leur soutien verbalement à M. B... mais ont au moins à deux reprises, par des courriels des 23 janvier 2018 et 25 mai 2018, appuyé sa position à l'égard du directeur du laboratoire concerné. Il n'appartenait par ailleurs pas à ces vice-présidents de porter plainte à la place de M. B.... Si M. B... fait également état, dans sa demande de protection fonctionnelle, de ce que le vice-président adjoint aurait exercé sur lui des pressions pour cautionner les pratiques illégales du laboratoire, il ne l'établit pas. Il n'établit pas davantage que ce vice-président adjoint l'aurait mis à l'écart, alors que M. B... a lui-même indiqué, le 20 décembre 2018, couper les relations avec les vice-présidents de la commission de la recherche, ni qu'il aurait empiété sur ses missions, la circonstance qu'il aurait demandé à son adjointe, en le mettant en copie, d'assister à une réunion n'étant pas de nature à révéler un tel empiètement. Il ressort en outre des pièces du dossier, notamment des échanges de mels des 20 décembre 2018 et 21 janvier 2019, que les vice-présidents de la commission de la recherche ont fait preuve d'indulgence à l'égard de M. B... malgré l'agressivité de ses réponses et la remise en cause par ce dernier des choix stratégiques de l'université. Dans ces conditions, M. B..., qui n'établit pas avoir fait l'objet d'agissements laissant présumer qu'il aurait été victime de harcèlement moral de la part du vice-président adjoint de la commission de la recherche, ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.

18. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'avant le courriel déjà mentionné du 9 mars 2019, M. B... a, par un courriel du 7 mars 2019 largement diffusé, qualifié de dictatoriales les pratiques de la directrice générale des services. S'il fait valoir qu'il n'est pas le seul à mettre un nombre important de personnes en copie de ses messages et qu'il répondait à des messages eux-mêmes largement diffusés, ses courriels, eu égard à leur contenu, ont été de nature, en exposant publiquement les dissensions l'opposant à d'autres membres de l'université, à perturber le fonctionnement du service. Il ressort également des pièces du dossier qu'alors que M. B... avait été, notamment par l'élaboration du cahier des charges, associé, depuis plusieurs mois, à la préparation d'un audit destiné à mettre au jour les dysfonctionnements d'un laboratoire de l'université qu'il avait signalés, et qu'il devait rencontrer, les 23, 24 et 25 janvier 2019, le cabinet d'audit, il a décidé, le 17 janvier, que sa direction n'y participerait pas, invoquant soudainement un conflit d'intérêts. S'il indique avoir transmis les documents qui lui ont été demandés, il ressort des pièces du dossier que ceux-ci n'ont pas été communiqués immédiatement et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il a apporté les précisions demandées par le cabinet d'audit, ce qui a compliqué la réalisation de cette opération. Enfin, M. B... ne conteste pas les refus de prendre en considération certains dossiers, dont s'est plainte la directrice des relations internationales et de nature à entraver le bon fonctionnement du service.

19. En troisième lieu, si M. B... conteste avoir manqué à son obligation d'obéissance hiérarchique, il ressort des pièces du dossier que par un courriel du 17 mars 2018, il a demandé au directeur général des services de ne plus assister aux réunions de chefs de services centraux et que par un courriel du 20 décembre 2018, il a décidé de rompre unilatéralement sa relation avec le vice-président de la commission de la recherche et son adjoint, invoquant un droit de retrait, et qu'il a demandé aux agents de sa direction de ne plus avoir de liens avec ces vice-présidents. Il ressort également des pièces du dossier que par un courriel du 25 janvier 2019, il a conditionné sa participation à la réunion que souhaitait tenir la présidente de l'université à la présence de son avocat, rendant impossible la tenue de cette réunion, et que, par un courriel du 7 mars 2019, il a reproché de manière véhémente à la présidente de boycotter son travail.

20. Aux termes de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public (...) ". Aux termes de l'article 5-6 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique : " I. - L'agent alerte immédiatement l'autorité administrative compétente de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. / Il peut se retirer d'une telle situation (...). / II. - Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux ".

21. M. B... ne fait état d'aucun ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public qui aurait été de nature à lui permettre de ne pas se conformer à son devoir d'obéissance hiérarchique. Il ne ressort par ailleurs d'aucune pièce du dossier qu'il se trouvait en situation de danger grave et imminent justifiant la rupture de ses relations avec les vice-présidents de la commission de la recherche. Il n'est dès lors pas fondé à se prévaloir des dispositions précitées.

22. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que la dégradation des relations entre M. B... et son adjointe, Mme A..., arrivée le 1er décembre 2017, a conduit la directrice générale des services à décider, le 7 mars 2019, la rupture du lien hiérarchique entre ces deux agents. Les deux témoignages de l'intéressée, datés des 31 janvier 2019 et 30 août 2019, font état de ce que des problèmes liés à son positionnement sont survenus peu après son arrivée, qu'elle a souffert d'un manque de considération de la part de M. B... vis-à-vis de son travail, d'un rabaissement au regard des tâches de secrétariat qu'il lui demandait, de difficultés rencontrées du fait d'un manque de collaboration et d'information, et de ce que M. B... aurait " parasité " ses décisions au mois de juin 2018 alors qu'il était en congé maladie. Aucune pièce du dossier ne vient toutefois étayer ces témoignages, s'agissant de la période allant jusqu'au mois de décembre 2018. M. B... produit de son côté des " textos " échangés entre septembre et novembre 2018 révélant une certaine complicité entre les deux agents, et un courriel de Mme A... du 30 août 2018 le remerciant de la qualité de leurs échanges à l'issue de son évaluation. Il ressort en revanche des pièces du dossier que ces relations se sont dégradées à compter du mois de décembre 2018, période à laquelle l'intéressée était en arrêt maladie, comme le confirment l'attestation de l'ancienne directrice de cabinet de la présidente de l'université et le courriel adressé le 31 janvier 2019 par la directrice des ressources humaines à la directrice générale des services. Il ressort en outre des pièces du dossier que M. B... n'a pas adopté un comportement adapté vis-à-vis de son adjointe au cours de cette période, comme le montrent la tonalité de son courriel du 21 janvier 2019 refusant sa participation à une réunion sur un dossier dont elle était chargée ainsi que les termes employés dans ce message, sa volonté d'organiser une réunion de " recadrage " avec cette adjointe qui était alors fragilisée psychologiquement ou encore sa réaction excessive à la décision de la directrice générale des services de mettre fin à leur relation hiérarchique. Ces faits ne permettent toutefois pas, compte tenu de la période limitée au cours de laquelle ils se sont produits et qui étaient marquée par des relations dégradées entre les deux agents, et alors au surplus que les arrêts maladie de Mme A... aux mois de décembre 2018 et février 2019 sont au moins pour partie liés à des problèmes physiologiques, de caractériser des agissements de harcèlement moral.

23. Il ressort également des pièces du dossier que jusqu'au mois de juin 2018, la direction de l'université a apporté son soutien sans réserve à M. B... face aux accusations de harcèlement moral formées par le directeur du laboratoire dont il dénonçait les pratiques, et lui a accordé à ce titre le bénéfice de la protection fonctionnelle le 11 juin 2018. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche se prévaut en outre, en défense, d'avoir refusé le 11 janvier 2020 le bénéfice de la protection fonctionnelle à ce directeur contre M. B.... Il ne ressort enfin pas des pièces du dossier que M. B... aurait adopté à l'égard de ce directeur un comportement agressif, l'administration se fondant pour l'affirmer sur les seules allégations de l'intéressé. Dans ces conditions, M. B... est fondée à soutenir que la décision en litige a retenu, à tort, son attitude vindicative à l'encontre de ce directeur.

24. Enfin, par les courriels déjà mentionnés des 20 décembre 2018, 21 janvier 2019 et 9 mars 2019, M. B... a remis en cause violemment les interventions et la probité du vice-président de la commission de la recherche et de son adjoint. Il ressort également des pièces du dossier que M. B... a dénoncé le cumul des fonctions de vice-président adjoint et de celles de directeur de laboratoire, qu'il estimait constituer par principe un conflit d'intérêts, ce que n'a pas confirmé le collège de déontologie par son avis rendu le 17 janvier 2020. Il ressort enfin des pièces du dossier, notamment du courrier de la demande de protection fonctionnelle formée par ce vice-président à l'encontre de M. B... le 13 février 2019, que l'attitude de ce dernier a eu un impact sur la santé du vice-président de la commission de la recherche. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que la décision en litige retient son attitude vindicative à l'égard des vice-présidents de la commission de la recherche.

25. Il résulte de tout ce qui précède qu'à l'exception du refus de décrocher la lettre ouverte du 7 février 2019, du harcèlement moral allégué à l'encontre de son adjointe et de son attitude vindicative à l'égard du directeur d'un laboratoire, les faits reprochés à M. B... sont établis et présentent un caractère fautif.

S'agissant de la proportionnalité de la sanction :

26. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984, dans sa version applicable au litige : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes (...) / Deuxième groupe : (...) / - le déplacement d'office (...) ".

27. Au regard de la nature et de l'impact sur le service des faits reprochés à M. B..., la sanction du deuxième groupe de déplacement d'office qui lui a été infligée n'est pas disproportionnée. Le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction doit, dès lors, être écarté.

S'agissant du lien avec l'alerte signalée par M. B... :

28. Aux termes du cinquième alinéa de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983, dans sa version applicable au litige : " En cas de litige relatif à l'application quatre premiers alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit, d'un crime, d'une situation de conflit d'intérêts ou d'un signalement constitutif d'une alerte au sens de l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ". Aux termes de l'article de la loi du 6 loi du 9 décembre 2016, dans sa rédaction applicable au litige : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance (...) ".

29. Par un courrier du 31 août 2017, M. B... a signalé à la présidente de l'université plusieurs irrégularités commises au sein d'un laboratoire de recherche de l'université, liées, notamment, au remboursement indu de trajets, de nuitées d'hôtel et de repas à un professeur de ce laboratoire, à l'utilisation des fonds destinés à des contrats de recherche non conforme aux règles applicables en la matière et à des demandes de remboursement d'achats de matériel effectués hors marchés. Par ce courrier, il peut être regardé comme ayant signalé de bonne foi et de manière désintéressée la violation grave et manifeste de la loi ou du règlement, dont il a eu personnellement connaissance.

30. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'après la réception de ce signalement, la présidente de l'université a adressé au directeur du laboratoire en cause un courrier le 4 octobre 2017 lui faisant part des manquements qui lui avaient été signalés et a organisé à ce titre une réunion au mois de décembre 2017. Il ressort également des pièces du dossier que M. B... a reçu le soutien du directeur général des services et des vice-présidents de la commission de la recherche, comme le montrent les courriels déjà mentionnés des 23 janvier et 25 mai 2018, et que l'organisation d'un audit a été décidée afin de mettre au jour ces pratiques. Si la remise du rapport de cet audit n'est intervenue qu'à la fin de l'année 2019, ce délai n'est pas imputable à la seule université. Il ne ressort par ailleurs d'aucune pièce du dossier que M. B... aurait été critiqué par sa hiérarchie pour avoir effectué ce signalement. L'intéressé se prévaut d'ailleurs de l'excellente évaluation professionnelle dont il fait l'objet le 31 mai 2018. D'autre part, il ressort des pièces du dossier qu'une procédure disciplinaire n'a été initiée à l'encontre de M. B... que le 28 mars 2019, soit plus de 18 mois après son alerte, et avant sa plainte auprès du procureur de la République le 4 avril 2019. Il ressort en outre des pièces du dossier que la procédure disciplinaire n'a été initiée qu'après que la situation du service se soit fortement dégradée, conduisant l'université à solliciter un audit sur ce point, et à l'issue de plusieurs fautes commises par M. B.... Il résulte de ce qui précède que la décision en litige est fondée sur des éléments objectifs étrangers à l'alerte signalée par M. B....

31. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en première instance, que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation du 30 octobre 2019 et de la décision implicite par laquelle elle a rejeté son recours gracieux.

Sur les frais du litige :

32. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de l'université Paris 8, qui ne sont en tout état de cause pas perdantes dans la présente instance, la somme que M. B... demande sur ce fondement. L'université Paris 8 et l'association Maison des lanceurs d'alerte n'ayant pas la qualité de parties, leurs conclusions présentées sur ce même fondement ne peuvent qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2005162 du 1er juillet 2022 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... devant le tribunal et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de l'université Paris 8 et de l'association Maison des lanceurs d'alerte présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à l'université Paris 8 et à l'association Maison des lanceurs d'alerte.

Copie en sera adressée, pour information, au Défenseur des droits.

Délibéré après l'audience du 24 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Heers, présidente de chambre,

Mme Bruston, présidente-assesseure,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04002
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SCP SAIDJI & MOREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;22pa04002 ?
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