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15/12/2023 | FRANCE | N°22PA03812

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 15 décembre 2023, 22PA03812


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Espace Valeurs a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler les contrats relatifs aux lots n° 1 et 2 du marché public de transport de fonds en agence et prestations associées conclus par l'Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie avec la société Vigifonds (OPT NC).



Par un jugement n° 2100369 du 19 mai 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Procé

dure devant la Cour :



Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 août et 21 octobre 2022 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Espace Valeurs a demandé au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie d'annuler les contrats relatifs aux lots n° 1 et 2 du marché public de transport de fonds en agence et prestations associées conclus par l'Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie avec la société Vigifonds (OPT NC).

Par un jugement n° 2100369 du 19 mai 2022, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 août et 21 octobre 2022 et 27 février et 27 avril 2023, la société Espace Valeurs, représentée par Me Claveleau, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

2°) d'annuler les contrats conclus entre l'OPT NC et la société Vigifonds au titre des lots n°1 et n° 2 du marché public de transport de fonds en agence et prestations associées ainsi que le rejet de son recours préalable ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'OPT NC et de la société Vigifonds une somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- au regard des sous-critères fixés par le règlement de la consultation, la commission d'appel d'offres aurait dû déterminer les notes relatives à la valeur des moyens humains et des moyens techniques indépendamment de l'offre de la société concurrente ;

- la seule ancienneté moyenne des employés ne permet pas d'apprécier la qualification et l'expérience des personnels affectés aux prestations du marché ;

- l'ancienneté des employés ne pouvait, en raison de son caractère discriminatoire, départager les offres sans la pénaliser ;

- elle a un nombre de salariés affectés à l'exécution des prestations du marché supérieur à ceux de la société Vigifonds ;

- le sous-critère relatif aux moyens humains relève de la capacité des sociétés et ne concerne pas la valeur de leur offre ;

- le sous-critère relatif aux moyens techniques n'était pas assez détaillé et l'OPT NC aurait dû l'inviter à compléter son offre le cas échéant ;

- la notation du sous-critère " moyens techniques " est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que le rapport d'analyse des offres a retenu qu'elle disposait de moyens techniques suffisants au regard des prestations à effectuer, qu'elle a démontré dans son offre qu'elle disposait de tous les moyens matériels qui permettaient de répondre au cahier des charges du marché et que le fait de disposer d'un centre-fort en Province Nord est un avantage très important s'agissant de la sécurité des remises et du traitement des fonds ;

- l'attribution d'une note unique à la valeur technique des différents lots n'est pas pertinente dès lors que chacun des lots présentait des spécificités techniques importantes ;

- les modalités de notation des sous-critères relatifs à la valeur technique ont pour effet de neutraliser le critère relatif au prix ;

- les vices dont sont entachés les contrats en litige sont de nature à entrainer leur annulation, le pouvoir adjudicateur ayant cherché à favoriser les offres de la société Vigifonds.

Par des mémoires en défense enregistrés les 21 décembre 2022 et 15 mars 2023, la société Vigifonds, représentée par la SELARL D et S Legal, conclut au rejet de la requête, subsidiairement à ce que la résiliation des marchés soit prononcée avec un effet différé de six mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et à ce que soit mise à la charge de la société Espace Valeurs une somme de 450 000 F CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 janvier, 13 mars et 31 mai 2023, l'Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie, représenté par la SELARL Royanez, conclut au rejet de la requête, subsidiairement à ce que la résiliation soit prononcée avec un effet différé de six mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et à ce que soit mise à la charge de la société Espace Valeurs une somme de 465 000 F CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;

- l'annulation des contrats conclus avec la société Vigifonds porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ;

- si les contrats devaient être annulés, l'annulation devrait être prononcée avec un effet différé de six mois.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la délibération n° 424 du 20 mars 2019 du Congrès de Nouvelle-Calédonie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Saint-Macary,

- les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Especel, représentant la société Vigifonds.

Considérant ce qui suit :

1. L'Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie (OPT NC) a lancé le 11 juin 2021 un avis d'appel d'offres en vue de l'attribution d'un marché à bons de commandes pour le transport de fonds et les prestations associées sur ses guichets automatiques de banque, réparti en trois lots géographiques, pour une durée de quatre ans. A l'issue de la procédure, les lots n° 1 et 2 ont été confiés à la société Vigifonds et le lot n° 3 à la société Espace Valeurs. La société Espace Valeurs relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande d'annulation des marchés correspondant aux lots n° 1 et 2.

Sur la validité des contrats en litige :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles.

3. Le règlement de la consultation relatif au marché en litige prévoyait que le prix de l'offre était noté sur 60 et sa valeur technique sur 40. Le critère relatif à la valeur technique comportait un sous-critère relatif aux moyens humains, apprécié au regard de l'expérience et de la qualification des effectifs affectés aux prestations, et un sous-critère relatif aux moyens techniques affectés aux prestations, chacun noté sur 20 sur une échelle de 0, 10, 20.

En ce qui concerne le sous-critère relatif aux moyens humains :

4. Il résulte de l'instruction que pour apprécier l'expérience et la qualification des effectifs affectés aux prestations concernées, la commission d'appel d'offres s'est bornée à prendre en compte l'ancienneté des effectifs au sein de leur société. Toutefois, la seule ancienneté des employés ne permet d'apprécier ni leur expérience, laquelle peut avoir été acquise au sein d'autres sociétés, ni leurs qualifications. Si l'OPT NC fait valoir que seule l'ancienneté de ses effectifs avait été mentionnée par la société Espace Valeurs dans son offre, cette circonstance, à la supposer établie, serait sans incidence dès lors que la commission d'appel d'offres s'est exclusivement fondée sur l'ancienneté des salariés, tant pour apprécier l'offre de la société Espace Valeurs que pour apprécier l'offre de la société Vigifonds. La société Espace Valeurs ayant obtenu la note de 10/20 pour ce sous-critère et la société Vigifonds 20/20, cette irrégularité dans les modalités d'application de ce sous-critère a été de nature à la léser.

En ce qui concerne le sous-critère relatif aux moyens techniques :

5. Le règlement de la consultation prévoyait l'attribution d'une note de 20/20 pour les offres présentant des moyens techniques suffisants au regard des prestations à exécuter. Ces offres devaient préciser " les moyens techniques (véhicules, machines, etc...), technologiques (valises sécurisées, équipements de comptage, vidéo-surveillance, etc...) et sécuritaires (centre-fort, dispositif de protection, etc...) mis en œuvre pour la réalisation des prestations demandées dans le cadre de cette consultation ".

6. D'une part, la société Espace Valeurs soutient que la présence d'un centre-fort en province Nord est susceptible de renforcer la sécurité des prestations réalisées au titre du lot n° 2 en permettant que, compte tenu des distances à parcourir, les fonds ne soient pas maintenus dans les véhicules une nuit au moins, mais soient stockés dans un centre-fort. L'OPT NC et la société Vigifonds n'apportent aucun élément de nature à contredire ces allégations, alors que le gain en matière de sécurité faisait partie des éléments devant être pris en compte pour apprécier la valeur de l'offre. Dans ces conditions, la société Espace Valeurs est fondée à soutenir que c'est à tort que la commission d'appel d'offres a apprécié indifféremment les moyens techniques des sociétés pour les trois lots, alors que les moyens techniques mis en œuvre pour satisfaire aux prestations n'étaient pas les mêmes selon les lots.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction que la commission d'appel d'offres a estimé que " les deux entreprises disposent de moyens techniques suffisants au regard des prestations à effectuer pour l'OPT-NC ". Elle aurait dès lors dû, au regard des modalités d'application des notes énoncées par le règlement de la consultation, mettre une note de 20/20 à l'offre de la société Espaces Valeurs. Il résulte en outre de l'instruction que la société Espace Valeurs a précisé, dans son mémoire technique, les modèles des machines de comptage, de tri ou de traitement de la monnaie utilisés, sans qu'il soit contesté que ces modèles permettaient de connaître la comptabilité des machines avec la nouvelle gamme de pièces mise en service à compter du 1er septembre 2021. Il résulte enfin de l'instruction que la commission d'appel d'offres n'a pas pris en compte la présence d'un centre-fort en Province nord dans l'offre de la société Espace Valeurs, alors qu'ainsi qu'il a été dit, ce centre-fort était susceptible de lui donner un avantage en matière de sécurité. Dans ces conditions, la commission d'appel d'offres a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la valeur des moyens techniques de la société Espace Valeurs en lui attribuant la note de 10/20 contre 20/20 pour la société Vigifonds.

Sur les conséquences des irrégularités commises :

8. Saisi d'un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses par un tiers justifiant que la passation de ce contrat l'a lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine, il appartient au juge du contrat, en présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.

9. D'une part, les vices dont sont entachés les contrats relatifs aux lots n° 1 et 2 du marché ne peuvent être couverts par une mesure de régularisation et ne permettent pas la poursuite de l'exécution de ces contrats. Compte tenu des notes obtenues par les sociétés Espace Valeur et Vigifonds au titre des lots n° 1 et 2, respectivement de 80 contre 98,2 et 80 contre 82,9, ils ont été, en l'espèce, de nature à avoir une influence sur le choix de l'offre de la société Vigifonds pour ces deux marchés.

10. D'autre part, les vices dont sont entachés les deux contrats ne sont pas de nature à entacher leur contenu ni ne sont susceptibles d'avoir affecté le consentement des parties aux contrats. Par ailleurs, s'il résulte de l'instruction que les sous-critères permettant d'apprécier la valeur technique de l'offre, de même que les modalités de leur notation, ont été modifiés au regard de la procédure passée en 2018, cette circonstance ne permet pas de révéler une volonté de la personne publique de favoriser la société Vigifonds, alors que ces critères, tels qu'ils figurent dans le règlement de la consultation du marché, n'étaient pas nécessairement de nature à favoriser l'une des deux offres. Si les modalités de notation des deux sous-critères relatifs à la valeur technique de l'offre (0, 10 ou 20) a eu pour effet de creuser artificiellement les écarts sur ces sous-critères et ont avantagé l'offre de la société Vigifonds, aucun élément de l'instruction, y compris le rapport d'analyse des offres de 2018, n'est de nature à révéler que ces modalités auraient été mises en œuvre à cet effet. Enfin, les vices relevés aux points 4, 6 et 7, s'ils ont eu pour effet de favoriser les offres de la société Vigifonds, ne sont pas de nature, dans les circonstances de l'espèce, à révéler la volonté du pouvoir adjudicateur de favoriser ces offres. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de prononcer l'annulation de ces deux contrats.

11. En revanche, en l'absence d'atteinte excessive à l'intérêt général, dès lors que l'effet différé donné à la résiliation permet de garantir la continuité du transport de fonds, il y a lieu de prononcer la résiliation des contrats passés entre l'OPT NC et la société Vigifonds au titre des lots n° 1 et 2. Cette résiliation prendra effet dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Espace Valeurs est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à la résiliation des deux contrats en litige.

Sur les frais du litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'OPT NC une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Espace Valeurs et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce que soient mises à la charge de la société Espace Valeurs, qui n'est pas partie perdante en la présente instance, les sommes que l'OPT NC et la société Vigifonds demandent sur ce fondement.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2100369 du 19 mai 2022 du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.

Article 2 : Les contrats relatifs aux lots n° 1 et 2 du marché pour le transport de fonds et les prestations associées sur ses guichets automatiques de banque, passés entre l'OPT NC et la société Vigifonds sont résiliés. Cette résiliation prendra effet dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'OPT NC versera une somme de 2 000 euros à la société Espace Valeurs en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Espace Valeurs, à l'Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie et à la société Vigifonds.

Délibéré après l'audience du 24 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Heers, présidente de chambre,

Mme Bruston, présidente-assesseure,

Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA03812


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA03812
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Marguerite SAINT-MACARY
Rapporteur public ?: Mme LIPSOS
Avocat(s) : SELARL D'AVOCATS ROYANEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;22pa03812 ?
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