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15/12/2023 | FRANCE | N°22NT03715

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 15 décembre 2023, 22NT03715


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Nantes Métropole Habitat, office public de l'habitat de la métropole nantaise, et la société Axa France Iard ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à verser la somme de 73 534,85 euros à cette société et la somme de 10 000 euros à Nantes Métropole Habitat, en réparation des préjudices résultant pour eux des violences urbaines survenues à Nantes à compter du 3 juillet 2018.

Par un jugement n° 1906967 du 17 novembre 2022, le tr

ibunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser la somme de 13 789,05 euros à la sociét...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Nantes Métropole Habitat, office public de l'habitat de la métropole nantaise, et la société Axa France Iard ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à verser la somme de 73 534,85 euros à cette société et la somme de 10 000 euros à Nantes Métropole Habitat, en réparation des préjudices résultant pour eux des violences urbaines survenues à Nantes à compter du 3 juillet 2018.

Par un jugement n° 1906967 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser la somme de 13 789,05 euros à la société Axa France Iard et la somme de 1 880,32 euros à Nantes Métropole Habitat.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er décembre 2022 et le 21 juin 2023, Nantes Métropole Habitat et la société Axa France Iard, représentés par Me Buttier, demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 novembre 2022 en ce qui concerne les dommages survenus dans la nuit du 6 au 7 juillet 2018 ;

2°) de condamner l'Etat à verser la somme de 73 534,85 euros à la société Axa France Iard et la somme de 10 000 euros à Nantes Métropole Habitat, en réparation des préjudices résultant pour eux des violences urbaines survenues à Nantes à compter du 3 juillet 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à leur verser à chacun.

Ils soutiennent que :

- la préméditation et l'organisation font défaut s'agissant des dommages survenus dans la nuit du 6 au 7 juillet 2018, dans le prolongement immédiat des rassemblements ayant suivi l'annonce du décès B... A... le 3 juillet 2018, de sorte que la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée au titre de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure du fait des violences urbaines commises ;

- en tout état de cause, le seul caractère prémédité et organisé des faits commis ne suffit pas pour écarter la responsabilité sans faute de l'Etat ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat peut aussi être engagée du fait de mise en œuvre des mesures destinées à prévenir et réprimer les atteintes à l'ordre public, au regard de l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, s'agissant d'un préjudice spécial et anormal ;

- la société AXA France Iard a subi un préjudice de 73 534,85 euros correspondant à l'indemnisation versée à son assuré au vu de l'expertise contradictoire réalisée ;

- Nantes Métropole Habitat a subi un préjudice de 10 000 euros correspondant à la franchise restée à sa charge.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2023, le préfet de la Loire-Atlantique, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les dommages commis durant la nuit du 6 au 7 juillet 2018 et ayant affecté les immeubles rue de la Jalotterie et rue de Concarneau sont le fait de plusieurs individus qui ont agi en dehors de tout lien avec un attroupement et ont prémédité leurs actes dans le seul but de commettre des délits ;

- le préjudice subi par Nantes Métropole Habitat n'est pas spécial eu égard au nombre très important de victimes à Nantes au cours de la période du 3 au 11 juillet 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Danthony substituant Me Buttier, pour Nantes Métropole Habitat et la société Axa France Iard.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite du décès, le 3 juillet 2018 vers 20h30, à Nantes dans le quartier du Breil, de M. B... A... des suites d'une blessure par balle occasionnée par un fonctionnaire de police, lors d'un contrôle d'identité auquel il avait tenté de se soustraire, des émeutes urbaines ont éclaté dans plusieurs quartiers de la ville, entrainant de nombreuses dégradations. Ces violences se sont répétées chaque nuit entre le 4 et le 7 juillet 2018. L'office public de l'habitat de la métropole nantaise, Nantes Métropole Habitat, est propriétaire de plusieurs ensembles immobiliers qui ont été endommagés durant cette période. La société Axa France Iard, son assureur au titre des dommages aux biens contre le vandalisme, et notamment contre les dommages résultant des émeutes ou mouvements populaires, a fait procéder à une expertise amiable qui a permis d'évaluer les dommages subis par Nantes Métropole Habitat à l'occasion de ces émeutes à la somme de 83 534,85 euros. La société Axa France Iard a versé à son assuré la somme de 73 534,85 euros, déduction faite de la franchise contractuellement prévue à hauteur de 10 000 euros restant à la charge de ce dernier. Après avoir fait une réclamation préalable restée sans suite, la société Axa France Iard et Nantes Métropole Habitat ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'État à leur verser les sommes respectives de 73 534,85 euros et 10 000 euros en réparation des préjudices subis sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat au titre des rassemblements et attroupements. Ils relèvent appel du jugement du 17 novembre 2022 par lequel le tribunal leur a accordé des indemnités limitées, respectivement, à 13 789,05 euros et 1 880,32 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...). ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés.

3. D'une part, si les requérants soutiennent que les dommages occasionnés aux locaux de Nantes Métropole Habitat rue de la Jalotterie, dans le quartier du Breil, entre le 4 et le 7 juillet 2018, relèvent du régime d'indemnisation de l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure dans le cadre des émeutes urbaines du 4 au 7 juillet 2018, ils ne produisent aucun élément précis permettant de déterminer les circonstances ayant conduit à l'inflammation volontaire du contenu du rez-de-chaussée de ces locaux, notamment quant aux personnes impliquées. En revanche il n'est pas contesté, au vu de l'article de presse produit par le préfet de la Loire-Atlantique, que ces dégradations n'ont été commises que dans la nuit du 6 au 7 juillet 2018. Dans ces conditions, en l'absence de lien direct les rattachant aux manifestations initiales, il n'est pas établi que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits commis par des rassemblements ou des attroupements au sens des dispositions citées au point 2.

4. D'autre part, les requérants produisent un procès-verbal de déclaration d'infraction du 6 juillet 2018 qui permet d'établir qu'un groupe d'une " vingtaine d'individus masqués ", dans la nuit du même jour, a notamment vandalisé un immeuble locatif de Nantes Métropole Habitat situé rue de Concarneau, dans le quartier du Bout des Landes, après avoir incendié un véhicule stationné devant. La circonstance que ces faits se soient produits dans les jours qui ont suivi le décès de M. A..., dans le cadre de violences urbaines ayant donné lieu à divers attroupements dans plusieurs quartiers de la ville de Nantes en lien avec ce décès, ne saurait avoir pour effet d'établir la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de sécurité intérieure, dès lors que ces actes de vandalisme ont eu lieu plusieurs jours après la mort de M. A..., sans lien établi avec des attroupements ou rassemblements identifiés et ont été le fait d'un groupe d'individus distinct agissant de manière organisée.

5. En second lieu, eu égard à ce qui a été dit aux deux points précédents sur l'absence de lien de causalité établi entre les attroupements des émeutes urbaines du 3 au 7 juillet 2018 et les dommages litigieux, la société Axa France Iard et Nantes Métropole Habitat ne peuvent prétendre à l'indemnisation, sur le fondement du principe d'égalité devant les charges publiques, des préjudices résultant des actes de vandalisme intervenus rue de la Jalotterie et rue de Concarneau, en raison de l'abstention alléguée, mais aucunement démontrée, des unités de police à utiliser la force publique. En tout état de cause, alors qu'il n'est pas contesté qu'au cours de la même période, 62 bâtiments et 42 véhicules ont été dégradés et 30 bâtiments et 293 automobiles ont été détruits par incendie, le préjudice des requérants restant en litige n'est pas spécial et ne peut donc donner lieu à indemnisation au titre du régime de responsabilité sans faute de droit commun pour rupture de l'égalité devant les charges publiques.

6. Il résulte de tout ce qui précède, que la société Axa France Iard et Nantes Métropole Habitat ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont fait que partiellement droit à leur demande.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société Axa France Iard et Nantes Métropole Habitat demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Axa France Iard et de Nantes Métropole Habitat est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Axa France Iard, à Nantes Métropole Habitat et au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03715


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03715
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CABINET RACINE (NANTES)

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;22nt03715 ?
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