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15/12/2023 | FRANCE | N°21VE01932

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 15 décembre 2023, 21VE01932


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 170 128 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant de l'intervention réalisée le 24 novembre 2015 au centre hospitalier régional d'Orléans.



Par jugement n° 1901408 du 4 mai 2021, le

tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 170 128 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant de l'intervention réalisée le 24 novembre 2015 au centre hospitalier régional d'Orléans.

Par jugement n° 1901408 du 4 mai 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 juillet 2021 et un mémoire enregistré le 22 mars 2023, M. A..., représenté par Me Wester, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 156 808 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices résultant de l'intervention du 24 novembre 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les arrêts de travail prescrits entre le 23 novembre 2015 et le 4 mai 2017 trouvaient leur cause dans son état antérieur ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la condition de gravité du dommage prévue par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique n'était pas remplie ;

- l'accident médical survenu au cours de l'intervention du 24 novembre 2015 est à l'origine des préjudices suivants :

- une perte de revenus, évaluée à la somme de 16 735 euros pour la période de mai 2016 à février 2018 ;

- une perte de revenus futurs, évaluée à la somme de 50 000 euros ;

- des frais correspondant à l'achat d'un véhicule adapté à son handicap, pour un montant de 17 390 euros ;

- des frais correspondant à l'adaptation de son logement, pour un montant de 1 500 euros ;

- d'un déficit fonctionnel temporaire, pour un montant de 7 183 euros ;

- de souffrances endurées, évaluées à la somme de 12 000 euros ;

- d'un préjudice esthétique, estimé à la somme de 3 000 euros ;

- d'un déficit fonctionnel permanent, évalué à la somme de 40 000 euros ;

- d'un préjudice moral, évalué à la somme de 4 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 août 2021, l'ONIAM, représenté par Me Welsch, avocate, demande à la cour de rejeter la requête d'appel de M. A....

Il fait valoir que :

- si le dommage résultant de la fragilisation du muscle psoas et de l'irritation radiculaire L3 gauche a été causé par un accident médical, l'autre dommage subi par l'intéressé, résultant de l'affaissement du plateau supérieur de L4, traduit un échec de l'arthrodèse réalisée au cours de l'intervention du 24 novembre 2015 et ne peut donner lieu à une indemnisation sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

- le dommage causé par l'accident médical ne remplit pas le critère de gravité prévu par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; en effet, le déficit fonctionnel permanent retenu par l'expert est imputable au dommage causé par l'échec thérapeutique et non au dommage causé par l'accident médical non fautif ; il en va de même s'agissant du déficit fonctionnel temporaire ; en outre, ce dommage n'est pas à l'origine de troubles particulièrement graves dans les conditions d'existence ;

- les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont donc pas réunies.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Troalen ;

- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public ;

- et les observations de Me Wester, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... a subi le 24 novembre 2015 au centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans une intervention d'arthrodèse intersomatique L3-L4 par voie latérale, pour traiter une discopathie présente essentiellement à ce niveau. Dans les suites immédiates de l'opération, M. A... a présenté des douleurs importantes ainsi que des troubles sensitifs de la face antéro-interne de la cuisse gauche sans trouble moteur, dont l'évolution a été régressive au cours des cinq jours suivants. Il a ensuite consulté le chirurgien ayant pratiqué l'intervention en février 2016 en raison d'une impotence fonctionnelle du membre inférieur gauche. M. A... a alors subi une nouvelle intervention d'arthrodèse L3-L4 le 18 juillet 2016 dans une clinique privée. Il a néanmoins été déclaré, par le médecin du travail, inapte au poste de chef d'équipe d'atelier qu'il occupait dans le secteur agro-alimentaire préalablement à l'intervention et, faute de possibilité de reclassement, a été licencié pour inaptitude le 5 février 2018.

2. M. A... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) d'une demande d'indemnisation des préjudices subis du fait de sa prise en charge par le CHR d'Orléans. Le neurochirurgien désigné en qualité d'expert par la CCI a rendu son rapport le 25 mai 2017. Le 22 juin 2017, la CCI a émis un avis défavorable à la demande de M. A..., estimant que les complications qu'il a subies ne présentaient pas le seuil de gravité requis par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour ouvrir un droit à indemnisation.

3. Par un jugement du 4 mai 2021 dont il relève appel, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis du fait de l'intervention du 24 novembre 2015.

Sur la régularité du jugement :

4. Le tribunal administratif d'Orléans a exposé avec une précision suffisante aux points 6 et 8 du jugement attaqué les motifs qui l'ont conduit à estimer, en premier lieu, que les séquelles de l'intervention du 24 novembre 2015 consistaient, pour partie en un dommage causé par un accident médical non fautif et, pour partie en un dommage résultant de l'échec de cette intervention, en second lieu, s'agissant du premier dommage, qu'il ne remplissait pas le critère de gravité prévu par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 permettant de bénéficier d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale. En particulier, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par M. A... et de se prononcer sur toutes les pièces médicales produites, a exposé les raisons pour lesquelles le rapport d'expertise non contradictoire du 18 juillet 2018 ne permettait pas de remettre en cause le bien-fondé de l'appréciation de l'expert désigné par la CCI. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité (...) d'un établissement (...) mentionné au I (...) n'est pas engagée, un accident médical (...) ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, (...) au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %./ Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical (...) ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. / A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : / 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical (...) ; / 2° Ou lorsque l'accident médical (...) occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence ".

6. Le rapport d'expertise du 25 mai 2017 retient que l'intervention subie le 24 novembre 2015 par M. A... est à l'origine de deux dommages distincts. Le premier, apparu dans les suites immédiates de l'intervention, et qui s'est alors traduit par l'apparition de douleurs importantes ainsi que de troubles sensitifs de la face antéro-interne de la cuisse gauche sans trouble moteur, trouve selon l'expert sa cause dans une fragilisation du muscle psoas et dans une irritation radiculaire L3 gauche sensitive modérée. Le second dommage, apparu plus tard, a été caractérisé par une impotence fonctionnelle du membre inférieur gauche et trouve sa cause dans un affaissement du plateau supérieur de L4, un déficit du psoas gauche et un effondrement de l'espace inter somatique.

7. En premier lieu, le rapport d'expertise du 25 mai 2017 expose que l'état de santé de M. A... antérieur à l'intervention du 24 novembre 2015 l'aurait à terme empêché de porter des charges supérieures à 5 kg, de rester en station debout prolongée ainsi que de pratiquer une activité physique répétitive et aurait rendu nécessaire un reclassement professionnel. En outre, ce rapport estime que l'affaissement du plateau supérieur de L4, le déficit du psoas gauche et l'effondrement de l'espace inter somatique s'expliquent par l'absence de consolidation adéquate à l'issue de l'arthrodèse. Ainsi, il résulte de l'instruction que ce second dommage résulte de l'état initial du patient, auquel l'intervention du 24 novembre 2015 a échoué à remédier. Il ne saurait donc être regardé comme étant directement imputable à cet acte de soin, au sens des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

8. En second lieu, la condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions citées au point 5 doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

9. Le rapport d'expertise du 25 mai 2017 évalue le déficit fonctionnel permanent dont reste atteint M. A... à 18 %. Si M. A... a consulté le 18 juillet 2018 un médecin, qui n'est pas spécialiste de sa pathologie, qui a estimé que son taux d'incapacité permanente pouvait être fixé à 25 % eu égard notamment au retentissement psychologique de l'opération du 24 novembre 2015, aucune pièce médicale ne vient attester la réalité et l'ampleur d'un tel retentissement. Si M. A... se prévaut également d'un certificat médical rédigé le 4 décembre 2018 mentionnant qu'il est " gravement handicapé " du fait de l'intervention du 24 novembre 2015, ce certificat ne précise pas le taux d'incapacité permanente correspondant. Il n'y a donc pas lieu d'estimer que le taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique dont est atteint M. A... est supérieur à celui prévu par les dispositions de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.

10. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise du 25 mai 2017, dont les conclusions ne sont pas utilement contredites par l'avis rédigé le 18 juillet 2018 par un médecin non spécialiste dans des termes non circonstanciés, que les troubles apparus dans les suites immédiates de l'intervention du 24 novembre 2015 ont connu une évolution régressive au bout de cinq jours, et sont uniquement à l'origine du déficit fonctionnel temporaire subi par M. A... du 29 novembre au 29 décembre 2015. Au-delà de cette période, les arrêts de travail prescrits, le déficit fonctionnel temporaire subi ainsi que les difficultés à la marche sont dus, non à ce dommage, que l'expert a estimé " susceptible de constituer un accident médical mineur ", mais au dommage secondaire pour lequel le patient a consulté à compter du mois de février 2016. Il en va de même pour l'inaptitude définitive de M. A... à exercer son emploi, risque auquel il était exposé du fait de sa pathologie et que l'intervention n'a pas permis d'éviter du fait de l'absence de consolidation. Ainsi, ce dommage ne peut être regardé comme ayant entraîné un arrêt temporaire des activités professionnelles ou un déficit fonctionnel temporaire supérieur à 50 % pendant une durée au moins égale à six mois ou comme étant la cause de l'inaptitude professionnelle de M. A....

11. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que ce dommage ait occasionné des troubles particulièrement graves dans les conditions d'existence de M. A....

12. Par suite, le premier dommage ne remplit pas la condition d'anormalité exigée par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les conditions prévues par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique n'étant remplies pour aucun des dommages subis par M. A..., le régime de responsabilité prévu par ces dispositions ne saurait trouver à s'appliquer en l'espèce. Il en résulte que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté les conclusions de sa requête dirigées contre l'ONIAM.

Sur les frais d'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM la somme que M. A... demande au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Versol, présidente de chambre,

Mme Dorion, présidente assesseure,

Mme Troalen, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.

La rapporteure,

E. TROALENLa présidente,

F. VERSOLLa greffière,

A. GAUTHIER

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

No 21VE01932002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01932
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-05 Responsabilité de la puissance publique. - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité, aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale.


Composition du Tribunal
Président : Mme VERSOL
Rapporteur ?: Mme Elise TROALEN
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : SCP UGGC AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;21ve01932 ?
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