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13/12/2023 | FRANCE | N°21LY00243

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 13 décembre 2023, 21LY00243


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser la somme de 125 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la pollution de la vallée de l'Arve, majorée des intérêts de droit et de leur capitalisation.



Par un jugement n° 1900726 du 24 novembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour



Par une requ

ête enregistrée le 22 janvier 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 2 septembre 2022, Mme B..., représentée par Me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser la somme de 125 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la pollution de la vallée de l'Arve, majorée des intérêts de droit et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1900726 du 24 novembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 janvier 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 2 septembre 2022, Mme B..., représentée par Me Lafforgue, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 novembre 2020 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 125 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la pollution de la vallée de l'Arve, majorée des intérêts à compter du 2 octobre 2018 et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la faute de l'Etat est engagée du fait de la méconnaissance de plusieurs dispositions nationales et européennes, et de la carence dans la gestion des épisodes de pics de pollution ;

- il existe des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir le lien de causalité entre les pathologies respiratoires aigües dont elle est atteinte et la pollution atmosphérique touchant la vallée de l'Arve ;

- elle a subi divers préjudices, liés aux souffrances endurées, à un préjudice d'agrément, à des troubles dans les conditions d'existence, à une pathologie évolutive insusceptible d'amélioration, à un préjudice d'angoisse et de contamination.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 23 juin et 20 septembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 21 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 30 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et la Charte de l'environnement ;

- la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me Lafforgue, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... souffre, depuis 2012, de laryngites, pharyngites et bronchites, parfois asthmatiformes, qu'elle impute à la pollution atmosphérique de la vallée de l'Arve. En octobre 2018, elle a demandé à l'Etat l'indemnisation des préjudices résultant selon elle de cette pollution. Elle relève appel du jugement du 24 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, après avoir reconnu le principe de la responsabilité de l'Etat au titre de la faute commise dans l'exécution des obligations résultant pour lui des dispositions du code de l'environnement, qui transposent les articles 13 et 23 de la directive du 21 mai 2008, a rejeté ses conclusions indemnitaires à défaut pour Mme B... d'établir l'existence d'un lien de causalité entre la contraction ou l'aggravation de ses pathologies et l'insuffisance des mesures prises par l'Etat pour réduire les émissions de polluants en-dessous des seuils fixés par le code de l'environnement dans le délai le plus court qu'il était possible d'atteindre dans la vallée de l'Arve.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si Mme B... soutient que les premiers juges ont omis de se prononcer sur le lien de causalité entre la faute retenue et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle exposait subir, il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal a écarté l'existence d'un lien de causalité entre la contraction ou l'aggravation de ses pathologies et l'insuffisance des mesures prises par l'Etat pour réduire les émissions de polluants. Dans la mesure où la requérante présentait ces troubles dans les conditions d'existence comme étant liés à ses pathologies, le jugement attaqué n'est entaché d'aucune omission à statuer sur ce point.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

S'agissant de la méconnaissance des articles 13 et 23 de la directive du 21 mai 2008, tels que transposés en droit national par les articles L. 221-1 et R. 221-1, et L. 222-4 et L. 222-5 du code de l'environnement :

3. En vertu des dispositions de l'article 13 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, ainsi que de son annexe XI, les Etats membres doivent notamment veiller à ce que, dans l'ensemble de leurs zones et agglomérations, d'une part, les niveaux de particules fines PM10 dans l'air ambiant ne dépassent pas 40 µg/m3 en moyenne par année civile et 50 µg/m3 par jour plus de 35 fois par année civile, cette obligation étant en vigueur en vertu de textes antérieurs depuis le 1er janvier 2005, et, d'autre part, les niveaux de dioxyde d'azote ne dépassent pas 40 µg/m3 en moyenne par année civile, au plus tard à compter du 1er janvier 2010. Par ailleurs, en vertu de l'article 23 de la même directive, en cas de dépassement de ces valeurs limites après le délai prévu à cette fin, les Etats membres doivent établir des plans relatifs à la qualité de l'air prévoyant " des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible " et contenant " au moins les informations énumérées à l'annexe XV de la directive ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-404/13 du 19 novembre 2014 mais également dans son arrêt C-636/18 du 24 octobre 2019 concernant la France, que celles-ci imposent l'établissement d'un plan relatif à la qualité de l'air conforme à son article 23 lorsque n'est pas assuré le respect des exigences résultant de son article 13 et que, si les Etats membres disposent d'une certaine marge d'appréciation pour la détermination des mesures à adopter, celles-ci doivent, en tout état de cause, permettre que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible.

4. La Cour de justice de l'Union européenne a par son arrêt de la Grande chambre C-61/21du 22 décembre 2022 jugé que : " Les articles 3 et 7 de la directive 80/779/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, concernant des valeurs limites et des valeurs guides de qualité atmosphérique pour l'anhydride sulfureux et les particules en suspension, les articles 3 et 7 de la directive 85/203/CEE du Conseil, du 7 mars 1985, concernant les normes de qualité de l'air pour le dioxyde d'azote, les articles 7 et 8 de la directive 96/62/CE du Conseil, du 27 septembre 1996, concernant l'évaluation et la gestion de la qualité de l'air ambiant, l'article 4, paragraphe 1, et l'article 5, paragraphe 1, de la directive 1999/30/CE du Conseil, du 22 avril 1999, relative à la fixation de valeurs limites pour l'anhydride sulfureux, le dioxyde d'azote et les oxydes d'azote, les particules et le plomb dans l'air ambiant, ainsi que l'article 13, paragraphe 1, et l'article 23, paragraphe 1, de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, doivent être interprétés en ce sens que ils n'ont pas pour objet de conférer des droits individuels aux particuliers susceptibles de leur ouvrir un droit à réparation à l'égard d'un État membre, au titre du principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l'Union qui lui sont imputables. "

5. Si, eu égard à cette solution rendue par la Cour de justice de l'Union européenne, qui a ainsi fait application d'un cadre minimal de responsabilité des Etats membres à l'égard des particuliers, qu'elle a forgé en cette matière, ces derniers ne peuvent selon cette Cour utilement invoquer la méconnaissance de ces articles de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe pour engager la responsabilité d'un Etat membre, alors qu'un défaut ou une insuffisance de transposition n'est pas allégué en l'espèce, ceci ne fait pas obstacle à la mise en jeu des règles spéciales moins restrictives de la responsabilité administrative de l'Etat en droit français. La Cour de justice de l'Union européenne a au demeurant précisé, aux points 63 et 64 de sa décision, que sa solution " n'exclut pas que la responsabilité de l'État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit interne " et que, le cas échéant, il puisse être, à ce titre, tenu compte de méconnaissances des obligations européennes " en tant qu'élément susceptible d'être pertinent aux fins d'établir la responsabilité des pouvoirs publics sur un autre fondement que le droit de l'Union ".

6. Aux termes de l'article L. 220-2 du code de l'environnement : " Constitue une pollution atmosphérique au sens du présent titre l'introduction par l'homme, directement ou indirectement ou la présence, dans l'atmosphère et les espaces clos, d'agents chimiques, biologiques ou physiques ayant des conséquences préjudiciables de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources biologiques et aux écosystèmes, à influer sur les changements climatiques, à détériorer les biens matériels, à provoquer des nuisances olfactives excessives. "

7. Les dispositions de l'article 13 de la directive du 21 mai 2008 ont été transposées en droit interne à l'article L. 221-1 du code de l'environnement, qui prévoit notamment que : " (...) Des normes de qualité de l'air définies par décret en Conseil d'Etat sont fixées, après avis de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, en conformité avec celles définies par l'Union européenne et, le cas échéant, par l'Organisation mondiale de la santé. Ces normes sont régulièrement réévaluées pour prendre en compte les résultats des études médicales et épidémiologiques. / (...) ". Les dispositions de l'article 23 de la directive ont pour leur part été transposées notamment par les articles L. 222-4 et L. 222-5 du code de l'environnement, qui prévoient l'adoption d'un plan de protection de l'atmosphère (PPA) dans toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants, ainsi que dans les zones où, dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat, les normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 du même code ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l'article L. 222-1, ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l'être. Ces plans de protection de l'atmosphère ont pour objet de ramener la concentration en polluants dans l'atmosphère à l'intérieur de la zone concernée à un niveau conforme à ces normes. Pour autant, le deuxième alinéa du I de l'article L. 222-4 du même code prévoit la possibilité de ne pas recourir à un plan de protection de l'atmosphère " lorsqu'il est démontré que des mesures prises dans un autre cadre seront plus efficaces " pour respecter les normes en cause.

8. Il résulte de ces dispositions que si les plans de protection de l'atmosphère ont vocation à tenir lieu de plans relatifs à la qualité de l'air prévus par l'article 23 de la directive du 21 mai 2008, aucune disposition de cette directive, comme aucune disposition de droit national, ne s'oppose à ce que l'administration emploie d'autres instruments pour ramener les émissions de polluants à un niveau compatible avec les normes de qualité de l'air définies aux articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l'environnement. En toute hypothèse, afin de pouvoir être regardés comme des plans relatifs à la qualité de l'air conformes aux exigences de la directive, les plans de protection de l'atmosphère et les instruments qui les complètent ou les remplacent doivent, d'une part, comporter l'ensemble des informations prévues à la section A de l'annexe XV de la directive telle que transposée à l'article R. 222-15 du code de l'environnement, et en particulier " des informations sur toutes les actions engagées ou prévues tendant à réduire la pollution atmosphérique avec l'évaluation prévisible de leur effet sur la qualité de l'air (...) " complétées des " indicateurs de moyens notamment financiers nécessaires à leur réalisation ", du " calendrier de leur mise en œuvre " et de " l'estimation de l'amélioration de la qualité de l'air qui en est attendue et du délai de réalisation de ces objectifs ", d'autre part, démontrer que ces actions permettent que la période de dépassement des valeurs limites de concentration en polluants soit la plus courte possible.

9. Il résulte de l'instruction qu'un plan de protection de l'atmosphère, comportant notamment des mesures relatives aux installations de combustion, au brûlage des déchets verts, aux émissions industrielles, au chauffage, aux feux d'artifices et aux transports a été adopté le 16 février 2012 et approuvé par arrêté du préfet de la Haute-Savoie le même jour, afin de réduire les émissions de polluants à des niveaux inférieurs aux valeurs limites fixées par l'article R. 221-1 du code de l'environnement. Toutefois, ainsi qu'il ressort des conclusions du document d'évaluation du PPA de la vallée de l'Arve 2011-2016, l'année avant l'adoption du PPA servant de référence, établi par l'association, agréée au titre de l'article L. 221-3 du code de l'environnement, de surveillance de la qualité de l'air Atmo Auvergne-Rhône-Alpes publié en mars 2018, si les actions mises en œuvre ont permis une amélioration générale de la qualité de l'air sur la période 2007-2018, des dépassements de niveaux en PM10, en benzo(a)pyrène et en dioxyde d'azote ont subsisté. Il ressort de ce même document que la valeur annuelle moyenne limite de 40 µg/m3, fixée pour le dioxyde d'azote, a été dépassée de manière récurrente entre 2011, année précédant la mise en place du premier PPA, et 2016, soit après cinq années de mise en œuvre de ce plan, sur le site des Bossons tandis que la valeur cible de 1 ng/m3, fixée pour le benzo(a)pyrène, a été dépassée chaque année. En outre, s'il ressort de ce dernier document que la valeur limite de 35 jours par an à 50 µg/m3 de particules fines PM10 a systématiquement été atteinte avant 2012 sur les sites de Passy et de Sallanches, le nombre de jours de dépassement de la valeur limite a continué à être supérieur à 35 par an jusqu'en 2016 pour le secteur de Sallanches-Passy. En dépit d'une réduction continue des émissions, que l'Atmo explique par les évolutions tendancielles et la mise en œuvre d'actions par les différents secteurs émetteurs, cette persistance des dépassements des valeurs limites de trois polluants entre 2011 et 2016, sur des périodes d'ailleurs parfois longues, sont de nature à établir que le plan de protection de l'atmosphère de la vallée de l'Arve adopté le 16 février 2012 et les moyens dont il prévoit la mise en œuvre sont insuffisants pour empêcher une méconnaissance de ces valeurs limites sur une durée qui serait la plus courte possible, contrairement à ce que l'Etat soutient en défense en faisant valoir qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour ramener les concentrations de polluants en-deçà des valeurs limites fixées par les textes précités. Si le plan de protection de l'atmosphère de la vallée de l'Arve adopté le 29 avril 2019 pour la période 2019-2023 comporte une série de mesures précises et détaillées ainsi que des modélisations crédibles de leur impact permettant d'escompter un respect des valeurs limites de concentration en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 dans cette zone d'ici 2022, ce document ainsi que les feuilles de route rendues publiques le 13 avril 2018, qui fixent une liste d'actions concrètes à mener, destinées à réduire les émissions de polluants, leur échéancier de mise en œuvre et les moyens à mobiliser, mais ne comportent aucune estimation de l'amélioration de la qualité de l'air qui en est escomptée, ni aucune précision concernant les délais prévus pour la réalisation de ces objectifs, contrairement aux exigences posées à l'annexe XV de la directive du 21 mai 2008 et transposées à l'article R. 222-15 du code de l'environnement, ont été adoptés trop tardivement.

10. Par suite, ainsi que les premiers juges l'ont retenu, Mme B... est fondée, contrairement à ce qu'indique le ministre de la transition écologique, à soutenir que cette situation caractérise une faute de l'Etat dans l'exécution des obligations résultant pour lui des dispositions précitées du code de l'environnement, qui transposent les articles 13 et 23 de la directive du 21 mai 2008.

S'agissant de la méconnaissance des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

11. Aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) ". Aux termes de l'article 8 de cette même convention : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

12. L'obligation positive de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie au sens de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique avant tout pour les Etats le devoir primordial de mettre en place un cadre législatif et administratif visant une prévention efficace et dissuadant de mettre en péril le droit à la vie. Par ailleurs, l'article 8 de cette convention protège le droit de l'individu au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Si la convention ne reconnaît pas expressément le droit à un environnement sain et calme, cet article inclut un droit à être protégé contre des atteintes graves à l'environnement qui peuvent affecter le bien-être d'une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale. Il implique une obligation positive, à la charge de l'Etat, d'adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits découlant du paragraphe 1 de l'article 8, en veillant au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble.

13. Il résulte de l'instruction qu'un ensemble de politiques publiques en matière agricole, industrielle, fiscale, de transport, de logement et de prévention des risques, regroupant une multiplicité d'acteurs et comportant des sanctions, a été développé depuis plusieurs années dans de nombreux secteurs, tant à l'échelon national que localement, afin de lutter contre la pollution atmosphérique. Si les mesures successivement adoptées n'ont pas encore permis d'empêcher tout dépassement des seuils de concentration de polluants atmosphériques, il résulte des relevés de l'association Atmo Auvergne-Rhône-Alpes que les efforts fournis ont toutefois permis une amélioration constante de la qualité de l'air dans la vallée de l'Arve depuis 2010. Compte tenu des risques écologiques inhérents à la vie dans une zone urbanisée combinés, en particulier, à la difficulté de lutter contre une pollution d'origine multifactorielle, voire diffuse, le dépassement des valeurs limites constaté entre 2010 et 2016 et l'insuffisance du plan de protection de l'atmosphère adopté en 2012, ne sauraient suffire à caractériser ni une défaillance notoire des pouvoirs publics dans les actions destinées à protéger ou améliorer la vie des habitants de la vallée de l'Arve, ni une atteinte suffisamment grave à leur droit de vivre dans un environnement sain protégé. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à invoquer une carence de l'Etat à exécuter ses obligations découlant des articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 220-1 du code de l'environnement, de la Charte de l'environnement, notamment ses articles 1 à 5, et du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, plus précisément ses alinéas 10 et 11 :

14. D'une part, aux termes de l'article L. 220-1 du code de l'environnement : " L'Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l'objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Cette action d'intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l'air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l'énergie. La protection de l'atmosphère intègre la prévention de la pollution de l'air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ". Ces dispositions, qui introduisent le titre II du livre II de la partie législative du code de l'environnement, consacré à l'air et à l'atmosphère, et se bornent à fixer des objectifs généraux, sont, en elles-mêmes, dépourvues de portée normative et ne sont pas susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat en cas de pollution atmosphérique. La faute invoquée n'est donc pas constituée.

15. D'autre part, en se bornant à énumérer les articles 1 à 5 de la Charte de l'environnement et à citer les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, Mme B... n'établit pas l'existence d'une faute imputable à l'Etat sur le fondement de ces dispositions.

S'agissant de la carence des services déconcentrés de l'Etat dans la gestion des épisodes de pollution :

16. D'une part, en vertu des articles L. 221-6 et L. 223-1 du code de l'environnement, lorsque les normes de qualité de l'air mentionnées à l'article L. 221-1 ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l'être, le préfet en informe immédiatement le public et prend des mesures propres à limiter l'ampleur et les effets de la pointe de pollution sur la population. Ces mesures, prises en application du plan de protection de l'atmosphère lorsqu'il existe et après information des maires intéressés, comportent un dispositif de restriction ou de suspension des activités concourant aux pointes de pollution, y compris, le cas échéant, de la circulation des véhicules notamment par la réduction des vitesses maximales autorisées, et de réduction des émissions des sources fixes et mobiles.

17. D'autre part, l'article 11 de l'arrêté inter-préfectoral du 1er décembre 2014 relatif au déclenchement des procédures préfectorales en cas d'épisodes de pollution de l'air ambiant pour les départements de la région Rhône-Alpes liste, en fonction de trois niveaux d'alerte, les mesures devant être mises en œuvre de manière automatique pour réduire les émissions de polluants et celles dont la mise en œuvre doit se traduire par un arrêté préfectoral spécifique. Au titre des mesures automatiques, le préfet de département doit notamment, lorsque le seuil d'alerte N1 est atteint, faire réduire les émissions des établissements industriels, abaisser de 20 km/h la vitesse maximale autorisée lorsque celle-ci dépasse 70 km/h et faire procéder au renforcement des contrôles de vitesses et de pollution des véhicules. Au nombre des mesures non-automatiques activées en cas d'atteinte du seuil d'alerte N3 figurent notamment les restrictions de circulation et le renforcement de l'abaissement des vitesses. En vertu de l'article 4 du même arrêté inter-préfectoral, en ce qui concerne les particules fines PM10, le niveau d'alerte N3 est déclenché, sur persistance, lorsqu'une concentration de 80 µg/m3 a été constatée par modalisation de J-4 à J-1 et qu'une concentration de 80 µg/m3 est constatée ou prévue le jour J et pour J+1. Par ailleurs, l'arrêté inter-préfectoral n° 155 bis du 18 juillet 2014 prévoit que si les émissions de particules fines PM10 dépassent, dans la vallée de l'Arve, la concentration de 80 µg/m3, le préfet de la Haute-Savoie peut, après concertation notamment avec le préfet de la Savoie, interdire la circulation des poids lourds de norme inférieure ou égale à la norme Euro I ainsi que le transit des poids lourds de norme Euro III.

18. En premier lieu, en se référant à un rapport d'information sur l'évaluation des politiques publiques de lutte contre la pollution de l'air, déposé à l'Assemblée Nationale en 2016, qui relève que la procédure d'information-recommandation et d'alerte est peu compréhensible et inadaptée, à l'arrêté du 7 avril 2016 révisant les conditions de délais et prise en compte de la notion de persistance pour le déclenchement de la procédure d'alerte, et en dénonçant l'absence de tout seuil d'information-recommandation et de seuil d'alerte concernant les particules les plus fines PM2,5, malgré leur dangerosité et les préconisations que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) formule à ce titre depuis 2005, la requérante n'apporte pas d'éléments pertinents permettant de caractériser l'insuffisance du cadre réglementaire ainsi mis en place. En outre, l'Etat fait valoir en défense l'existence de mesures ultérieures de nature à renforcer l'efficacité des procédures de contrôle et d'amélioration de la qualité de l'air, telles que l'arrêté inter préfectoral du 23 octobre 2017, pris par le préfet de la Haute-Savoie en vertu de l'arrêté interministériel du 7 avril 2016, modifié le 26 août 2016, qui définit le cadre d'action des autorités publiques en cas d'épisode de pollution, puis l'arrêté préfectoral du 6 janvier 2020 relatif aux procédures d'information-recommandation et d'alerte en cas d'épisode de pollution de l'air, ainsi que le régime général des installations classées pour la protection de l'environnement et indique sans être contesté que les émissions des polluants en PM2,5 sont néanmoins mesurées.

19. En deuxième lieu, alors d'une part qu'il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce que la requérante soutient, que les autorités se seraient limitées à la diffusion de quelques communiqués de presse au titre des mesures d'information-recommandation ou à une unique mesure non automatique concernant le secteur des transports au titre des mesures d'urgence, d'autre part, que la requérante n'indique pas les mesures alternatives dont l'Etat disposait et qu'il aurait pu mettre en place, le moyen tiré de la carence fautive que les services déconcentrés de l'Etat auraient commise dans la gestion de l'épisode de pollution de décembre 2016 au titre de l'insuffisance des mesures prescrites dans le cadre des prérogatives de police spéciale qu'il détient doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif de Grenoble.

20. En troisième lieu, si la requérante soutient que l'Etat n'a pas suffisamment contrôlé les prescriptions qu'il avait lui-même édictées, elle se borne à se référer aux dénonciations opérées par certains acteurs institutionnels tels que le conseil général de l'environnement et du développement, l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration, de même qu'au rapport d'information à l'Assemblée nationale précité, de sorte qu'elle ne met pas la cour à même d'apprécier les manquements commis par l'Etat au titre de son obligation d'assurer le respect des règles dont il est le garant.

21. En quatrième et dernier lieu, la faute invoquée en termes généraux par la requérante, issue de l'abstention de l'Etat dans l'adoption de mesures de protection de la population et d'adoption d'une politique efficace de lutte contre la pollution de l'air, se rattache aux manquements déjà dénoncés dans les points précédents.

22. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que l'Etat a commis une faute tenant à l'insuffisance des mesures adoptées pour permettre que les périodes de dépassement des valeurs limites de concentration de polluants dans l'atmosphère de la vallée de l'Arve soient les plus courtes possibles.

En ce qui concerne le lien de causalité :

23. Il appartient à la juridiction saisie d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une exposition à une pollution chronique dépassant les seuils rappelés au point 3 ou à des pics de pollution résultant de la faute de l'Etat, de rechercher, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, s'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Dans l'hypothèse inverse, elle doit procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre cette exposition à la pollution subie par l'intéressée et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus dans un délai normal pour ce type d'affection après l'exposition aux pics de pollution, et, par ailleurs, s'il ne résulte pas de l'instruction que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause qu'une telle exposition.

24. En l'espèce, si Mme B..., née en 1948, soutient que les pathologies respiratoires dont elle souffre depuis 2012 sont imputables à la pollution atmosphérique constatée dans la vallée de l'Arve, en particulier à Saint Laurent où elle réside, il ressort des pièces médicales versées au dossier, relatives à plusieurs comptes-rendus de consultations d'un pneumologue des 10 janvier et 18 mars 2014 et d'un médecin généraliste des 6 janvier, 7 août et 21 décembre 2017 et 1er mars 2018, pour des soins ayant eu lieu entre le 9 janvier 2013 et février 2018, que la requérante a présenté un syndrome asthmatique durant l'enfance, présente un syndrome obstructif potentiellement lié à une bronchopneumopathie chronique obstructive issue d'un tabagisme passif, et a présenté des pathologies respiratoires en novembre 2013, en janvier 2015 puis en décembre 2016 et décembre 2017, sans qu'aucun de ces praticiens n'évoque de lien avec la pollution dénoncée. En outre, en exposant sans donner aucun élément en ce sens, que son état de santé s'améliore " lorsqu'elle n'est plus exposée à la pollution, par exemple lors week-ends " et en se bornant à se référer à un rapport d'information au Sénat du 8 juillet 2015 qui " souligne une corrélation entre l'indice de pollution et le nombre de séjours à l'hôpital pour affections respiratoires ", Mme B... n'établit pas davantage le lien de causalité entre ses affections et la faute de l'Etat. Enfin, s'il ressort des études médicales versées au dossier que l'exposition à la pollution atmosphérique est susceptible d'aggraver les maladies respiratoires telles que l'asthme, la bronchite, la laryngite, la trachéite et la sinusite ainsi que les affections cardio-vasculaires dont les victimes sont atteintes, l'origine multifactorielle de ces pathologies ne permet pas d'identifier en l'espèce, en l'absence d'une part d'éléments médicaux circonstanciés ou relatifs aux autres facteurs de risque et antécédents liés à la requérante et d'autre part de données plus précises sur les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique dans la vallée de l'Arve envers la population qui y est exposée, la part de la contribution attribuable à cette pollution dans la dégradation de l'état de santé de Mme B....

25. Dans ces conditions, Mme B... n'établit pas l'existence d'un lien de causalité suffisamment direct et certain entre la contraction ou l'aggravation, depuis 2012, de ses pathologies et symptômes asthmatiques, ainsi que les troubles dans les conditions d'existence en découlant, et l'insuffisance des mesures prises par l'Etat, retenue au point 9, pour réduire les émissions de polluants au-dessous des seuils fixés par le code de l'environnement dans le délai le plus court qu'il était possible d'atteindre dans la vallée de l'Arve. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que le préjudice lié à la baisse de la valeur vénale de son bien, dont l'évaluation à 10 000 euros n'est justifiée par aucune pièce, résulterait de la faute commise par l'Etat.

26. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme B... sur ce fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2023.

La rapporteure,

Emilie A...Le président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY00243


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY00243
Date de la décision : 13/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-03 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-13;21ly00243 ?
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