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12/12/2023 | FRANCE | N°23NT01528

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 12 décembre 2023, 23NT01528


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 18 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 14 juin 2021 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.



Par un jugement n° 2203472 du 23 décembre

2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 18 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 14 juin 2021 de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.

Par un jugement n° 2203472 du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 mai 2023, Mme C... B..., représentée par Me Dannaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 18 août 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa demandé ou de réexaminer la demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

Elle soutient que :

- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation dans la mesure où elle était mineure lorsque Mme D... a demandé la reconnaissance du statut de réfugié ;

- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par la requérante n'est fondé.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 mars 2023 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Ody a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 23 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision du 18 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié. Mme B... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. La décision de la commission de recours est fondée sur ce que Mme C... B... était âgée de plus de 19 ans le jour où elle a déposé sa demande de visa et n'était plus éligible à la procédure de réunification familiale.

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. Mme C... B..., ressortissante ivoirienne, est la fille de M. G... B... et de Mme F... D..., laquelle est arrivée en France le 23 avril 2017 et a obtenu le statut de réfugié par une décision du 5 juillet 2019 de la Cour nationale du droit d'asile. Mme C... B... et les enfants A... B... et E... B..., nés respectivement le 23 août 2000, le 27 septembre 2003 et le 21 juin 2009, ont demandé le 15 décembre 2020 des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié. Si les enfants A... et E... ont pu obtenir les visas demandés, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est en revanche opposée à la délivrance du visa demandé par Mme C... B..., au motif qu'elle était âgée de plus de 19 ans à la date de sa demande de visa. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la décision de la Cour nationale du droit d'asile du 5 juillet 2019, que Mme D... était mariée depuis 1998 à M. G... B..., lequel est décédé en février 2016, et qu'à la suite de ce décès et en application de la pratique du lévirat, le frère aîné de son défunt époux s'est emparé de l'ensemble de ses biens, considérant que Mme D... en faisait également partie, et a manifesté le souhait qu'elle devienne sa quatrième épouse. S'opposant à cette pratique, Mme D... a subi les mauvais traitements de son beau-frère et a été contrainte de quitter la Côte d'Ivoire avec son plus jeune fils né le 31 décembre 2015, en laissant ses autres enfants, C..., A... et E.... Il ressort des pièces du dossier que Mme C... B..., âgée de quinze ans lorsque sa mère a quitté la Côte d'Ivoire, a été contrainte de s'occuper de ses jeunes sœur et frère, âgés alors respectivement de 12 et 7 ans, de subvenir à leurs besoins et de les protéger des mauvais traitements et violences de leur oncle. En outre, après le départ de Mme D..., l'oncle de Mme B... a reporté son intérêt sur elle, la contraignant à fuir chez la mère d'une amie. La circonstance que Mme C... B..., jeune majeure, ne puisse obtenir un visa de long séjour, a pour effet de la séparer de ses frère et sœur dont elle a pris soin pendant plusieurs années en l'absence de leur mère et de la laisser isolée en Côte d'Ivoire, sa grand-mère très âgée ne pouvant la prendre en charge ni assurer sa protection. Dans ces conditions, et eu égard en outre à la durée de la séparation imposée aux membres de la cellule familiale, la décision de la commission de recours porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la demanderesse et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 18 août 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

6. Eu égard aux motifs d'annulation retenus, le présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme C... B.... Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 décembre 2022 et la décision du 18 août 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Mme C... B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.

La rapporteure,

C. ODY

Le président,

S. DEGOMMIER Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01528


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01528
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Cécile ODY
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : DANNAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;23nt01528 ?
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