La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/12/2023 | FRANCE | N°23BX01720

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 décembre 2023, 23BX01720


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de C... d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2301937 du 8 juin 2023, le tribunal administratif de C... a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requ

ête enregistrée le 21 juin 2023, M. B..., représenté par Me Lassort, demande à la cour :



1°) d'annuler ce j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de C... d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2301937 du 8 juin 2023, le tribunal administratif de C... a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 juin 2023, M. B..., représenté par Me Lassort, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de C... du 8 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 décembre 2022 de la préfète de la Gironde ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " travailleur temporaire " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou à défaut de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

En ce qui concerne les moyens communs à la décision portant refus de séjour et celle portant obligation de quitter le territoire français :

- ces décisions sont insuffisamment motivées ;

- la préfète de la Gironde n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;

- ces décisions ont été prises en méconnaissance de son droit à être entendu garanti par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article L. 122-1 du Code des relations entre le public et l'administration ;

- elles ont été prises au terme d'une procédure irrégulière dès lors que la préfète de la Gironde n'a pas saisi les autorités sénégalaises aux fins de vérification de son état civil et ne lui a pas communiqué le rapport de la police aux frontières sur lequel elle s'est fondée ;

- ces décisions ont porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ces décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- la préfète de la Gironde a commis une erreur d'appréciation concernant la validité des documents d'état civil qu'il produit et a méconnu les dispositions de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que celles de l'article 47 du code civil ;

- la préfète a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire est privée de base légale du fait de l'illégalité de la décision lui refusant le séjour.

-En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- la décision fixant le pays de destination est fondée sur une obligation de quitter le territoire français illégale et doit être annulée par voie de conséquence.

Par un mémoire enregistré le 11 octobre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il entend s'en rapporter à son mémoire de première instance.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n°2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique,

- le rapport de M. D....

- et les observations de Me Lassort, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant sénégalais, déclare être né le 18 janvier 2003 et être irrégulièrement entré en France en 2017. Il a fait l'objet d'un signalement et d'une ordonnance de placement provisoire à l'aide sociale à l'enfance du tribunal judiciaire d'Angoulême, puis d'un jugement de placement définitif du tribunal pour enfants de C... du 1er juillet 2019. A compter de sa majorité présumée et jusqu'au 30 septembre 2021, M. B... a bénéficié d'un contrat jeune majeur. Le 7 juin 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " travailleur temporaire " sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, par un arrêté du 12 décembre 2022, la préfète de la Gironde a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. B... relève appel du jugement du 8 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de C... a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, à l'appui des moyens tirés de ce que les décisions lui refusant le séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire seraient insuffisamment motivées, n'auraient pas été précédées d'un examen particulier de sa situation personnelle, et de ce que l'administration n'a pas fait procéder aux vérifications utiles par les autorités au Sénégal en méconnaissance de l'article 1er du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état-civil étranger, l'appelant ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas utilement la réponse apportée par le tribunal administratif. Par suite, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges.

3. En deuxième lieu, le droit d'être entendu tel qu'il résulte des stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'impose pas à l'autorité nationale compétente d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. En outre, il résulte des dispositions de l'article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l'administration que la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article L. 122-1 du Code des relations entre le public et l'administration, n'est pas applicable au cas où il est statué sur une demande. Par suite, M. A..., qui a spontanément déposé une demande de titre de séjour, ne peut pas utilement faire valoir qu'il n'a pas été mis à même de présenter ses observations, en particulier, sur les rapports du service de fraude documentaire de la direction zonale de la police aux frontières (DZPAF) de C..., postérieurement au dépôt de cette demande pour soutenir que l'arrêté litigieux a été pris à l'issue d'une procédure qui aurait méconnu tant les stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que les dispositions de l'article L. 122-1 du Code des relations entre le public et l'administration.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. "

5. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil prévoit que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

6. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

7. D'une part, ni l'ordonnance de placement provisoire du procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Angoulême du 1er février 2019 ni le jugement du tribunal pour enfants de C... du 1er juillet 2019, établis au vu du seul rapport de la structure d'accueil, ne sont de nature à établir la minorité de M. B... alors, au demeurant que le jugement du juge des enfants ne prend pas position avec certitude sur l'âge de l'intéressé et ne caractérise, en tout état de cause, pas une constatation de fait retenue par le juge judiciaire répressif de nature à s'imposer au juge administratif.

8. D'autre part, il ressort des rapports établis par la direction zoanle de la proloice aux frontières Sud (DZPAF) les 31 janvier et 8 août 2022 que le jugement supplétif sur la base duquel auraient été établis les autres documents d'état civil produits par M. B... est une photocopie en noir et blanc sur laquelle ont été rapportés les cachets humides et la mention " extrait certifié conforme " après remplacement du prénom et de l'année de naissance et effacement partiel de la signature. M. B... ne conteste pas ces constatations de fait mais se borne à soutenir que le jugement supplétif qu'il a produit à l'appui de sa demande ne serait pas une copie en noir et blanc mais en couleur et ne comporterait aucune trace de modification pour en déduire que le document analysé ne le concernerait pas. Toutefois, il ne produit aucun élément à l'appui de cette allégation alors que ce jugement supplétif, dans sa version soumise à l'examen de la DZPAF, comporte son nom et a été établi à la date dont il se prévaut. Au surplus, M. B... ne critique pas utilement les anomalies relevées sur l'extrait du registre d'état civil qu'il a produit devant les services de la préfecture et daté du 2 avril 2021 en produisant un nouvel extrait daté, cette fois, du 2 juin 2022.

.

9. Dans ces conditions, M. B..., qui a au demeurant admis, dans le " récit de vie " qu'il a rédigé, s'être déjà prévalu de documents frauduleux pour tenter d'obtenir l'asile en France, n'établit pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans, ni, par suite, remplir les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". L'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité, l'intensité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

11. M. B... se prévaut de sa présence en France depuis 2017, de son parcours d'études ainsi que de son début d'insertion professionnelle, de la relation sentimentale qu'il entretenait depuis près d'une année avec une ressortissante française à la date de l'arrêté, de plusieurs témoignages de sympathie et du décès de ses parents. Toutefois, il n'a été autorisé au séjour que pour y demander l'asile au moyen de documents dont il indique lui-même qu'ils étaient frauduleux, puis en sa qualité de mineur isolé dont il a été dit précédemment qu'elle était également fondée sur des documents falsifiés. En outre, il ne justifie ni même ne se prévaut de l'existence d'une vie commune avec sa compagne, de nationalité française, qui réside à une adresse différente de la sienne. Par ailleurs, s'il a obtenu en 2021 un CAP " maintenance des matériels ", sa scolarité en lycée professionnel a ensuite été marquée par de très nombreuses absences, et il ne produit aucun document attestant de son implication dans les contrats d'apprentissage dont il a bénéficié. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté en litige a porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée familiale tel qu'il est protégé par les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou qu'il serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

12. En quatrième et dernier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de la décision lui refusant le séjour pour demander l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire ni de l'illégalité de cette dernière décision pour demander l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 décembre 2022. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. E... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2023.

Le rapporteur,

Manuel D...

La présidente,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX01720 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01720
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BEUVE-DUPUY
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : LASSORT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;23bx01720 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award