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12/12/2023 | FRANCE | N°21BX01111

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 décembre 2023, 21BX01111


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 25 avril 2019 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre la sanction de mise à la retraite d'office.



Par un jugement n° 19003786 du 11 janvier 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 11 mars 2021, M. B..., représenté par Me Caije

o, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 11 janvier 2021 ;...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 25 avril 2019 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre la sanction de mise à la retraite d'office.

Par un jugement n° 19003786 du 11 janvier 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 mars 2021, M. B..., représenté par Me Caijeo, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 11 janvier 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du ministre de l'intérieur du 25 avril 2019 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de régulariser sa situation administrative et financière, notamment en lui reconnaissant le bénéfice de son plein traitement pendant la procédure disciplinaire et l'attribution d'une pension de retraite à taux plein ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière ; il a été suspendu par une décision du 20 juin 2018 et sanctionné par une décision du 25 avril 2019, demeurant sans affectation pendant une année entière ; les poursuites disciplinaires n'ont ainsi pas été engagées dans un délai raisonnable ;

- en méconnaissance de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, il n'a pas été rétabli dans ses fonctions après les décisions du tribunal correctionnel du 28 février 2019 prononçant sa mise hors de cause en raison de la nullité de la citation qui lui avait été délibérée et après qu'une relaxe au fond a été prononcée par la cour d'appel de Bordeaux ;

- l'arrêté est entaché d'erreurs de fait ; il a d'ailleurs été relaxé des faits de diffamation et injures publiques à l'égard de fonctionnaires ; ses propos ont consisté en un message d'alerte, sans volonté de nuire à son administration ; il n'a pas revendiqué les griefs qui lui étaient reprochés ; il convient de replacer les propos tenus dans le contexte de vives tensions avec sa hiérarchie ; le conseil de discipline n'est pas parvenu à proposer une sanction ; il n'est pas établi qu'il aurait adopté une attitude de défiance systématique ; il n'a ni opposé de refus d'obéissance, ni adopté une attitude irrespectueuse ; il n'a enfin pas procédé à une " perquisition " dans le bureau de son chef de service, dans lequel il n'a d'ailleurs dérobé aucun document ;

- les propos qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction dès lors qu'il faisait l'objet d'un harcèlement moral ; il n'avait jamais fait l'objet d'appréciation défavorable avant l'arrivée de la nouvelle équipe de direction ; il n'a pas obtenu de réponse aux rapports adressés, dès septembre 2014, à la nouvelle directrice de la DDSP ; la réorganisation des services a été décidée sur la base des appréciations de ses supérieurs hiérarchiques, sans qu'il n'ait pu s'expliquer ; il a été affecté au sein de l'Unité de police administrative, sur un poste en adéquation avec son profil professionnel d'agent de terrain expérimenté ;

- il doit être regardé comme un lanceur d'alerte au sens des dispositions de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dès lors que ses allégations sont étayées ; il a respecté la procédure encadrant le lacement d'alerte en portant à la connaissance de son supérieur hiérarchique, par deux rapports circonstanciés, un signalement relatif aux difficultés vécues au sein de son service à la DDSP ; faute de traitement par l'autorité administrative, le signalement pouvait être rendu public ; son ouvrage a été publié dans le but d'apporter une critique générale au système policier tel qu'il s'est présenté à lui à partir de septembre 2014 ; il a souhaité inscrire son propre vécu dans le cadre d'un débat d'intérêt général relatif aux irrégularités policières d'investigation, traité dans les limites de la liberté d'expression, et sans viser nommément des agents ni jeter l'opprobre sur ce système ;

- la décision méconnaît sa liberté d'expression garantie par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la sanction qui lui a été infligée est disproportionnée par rapport aux faits reprochés ; il a agi de bonne foi, dans un contexte professionnel difficile, et présente une carrière exemplaire ; la décision a été prise pour des motifs étrangers à l'intérêt du service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'appelant ne peut utilement se prévaloir de l'illégalité de la mesure de suspension à l'encontre de la sanction disciplinaire ;

- les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 17 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 15 février 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;

- le décret n° 86-592 du 18 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Caijeo représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., recruté en qualité d'élève enquêteur de police en 1984, a été titularisé au grade d'enquêteur de police en 1986 puis promu, successivement, aux grades d'inspecteur de police en 1989, de capitaine de police en 2005 et de commandant de police en 2012. L'intéressé, affecté à la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de la Gironde depuis septembre 2010, a publié le 9 février 2018 un livre intitulé " La police m'a tué ". A la suite d'une enquête administrative diligentée en avril 2018 par l'inspection générale de la police nationale, M. B... a été suspendu de ses fonctions à compter du 29 juin 2018. Par un arrêté du 25 avril 2019, le ministre de l'intérieur lui a infligé la sanction de mise à la retraite d'office fondée sur des manquements aux " obligations de réserve, d'obéissance, d'exemplarité, de discrétion professionnelle et de loyauté " ayant porté atteinte " au crédit et au renom de la police nationale ". M. B... relève appel du jugement du 11 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 6 de cette loi : " La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires. / Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 26 de cette même loi : " Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d'accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l'autorité dont ils dépendent ". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Quatrième groupe : / (...) - la mise à la retraite d'office (...) ". Aux termes de l'article 6 du décret du 18 mars 1986 portant code de déontologie de la police nationale : " Tout manquement aux devoirs définis par le présent code expose son auteur à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Aux termes de l'article 7 du même décret : " Le fonctionnaire de la police nationale est loyal envers les institutions républicaines. Il est intègre et impartial ; il ne se départit de sa dignité en aucune circonstance (...) ". Aux termes de l'article 11 de ce décret : " Les fonctionnaires de police peuvent s'exprimer librement dans les limites résultant de l'obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et des règles relatives à la discrétion et au secret professionnels ". Par ailleurs, le comportement d'un fonctionnaire en dehors du service peut constituer une faute de nature à justifier une sanction s'il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l'administration.

3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

4. En premier lieu, M. B... fait valoir qu'en méconnaissance des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la mesure de suspension dont il a fait l'objet le 29 juin 2018 a été maintenue en vigueur sans que soit engagées, dans un délai raisonnable, des poursuites disciplinaires. Il ajoute qu'en application du dernier alinéa de ces mêmes dispositions, il aurait dû être rétabli dans ses fonctions à la suite du jugement du 28 février 2019 par lequel le tribunal correctionnel a constaté la nullité de sa citation en justice pour des faits d'injure et de diffamation publique. Toutefois, une telle argumentation n'est opérante qu'à l'appui de la contestation de la mesure de suspension, laquelle n'est pas en litige. Or, la sanction attaquée n'a pas été prise pour l'application de la mesure de suspension, et cette dernière ne constitue pas davantage la base légale de la première. Il s'ensuit que l'illégalité de la mesure de suspension ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre la sanction en litige.

5. En deuxième lieu, M. B... soutient que les faits sur lesquels l'administration s'est fondée pour lui infliger la sanction de mise à la retraite d'office ne sont pas établis. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le requérant a publié le 9 avril 2018, sous son identité et en faisant état de sa qualité de commandant de police à la DDSP de la Gironde, un livre intitulé " La police m'a tué ", dans lequel il relate son expérience professionnelle, notamment au cours des années 2014 à 2018, marquées par une vive tension avec sa hiérarchie. Dans cet ouvrage, il tient sur ses supérieurs hiérarchiques, en particulier la directrice de la DDSP de Gironde et trois commissaires de police, aisément identifiables, affublés de noms de personnages de bande dessinée destinés à les ridiculiser, des propos mettant en cause, de manière outrageante, leurs qualités professionnelles et personnelles. L'ouvrage comporte également une critique virulente, sur un ton sarcastique, de l'institution policière, et en particulier des membres de sa hiérarchie. En outre, l'intéressé évoque dans son livre plusieurs affaires dont il a eu connaissance au cours de sa carrière, en livrant des détails sur les erreurs commises, selon lui, par la police. Ainsi, les propos tenus par M. B... dans ce livre, comme ceux tenus dans le cadre de sa promotion sur différents médias, sont matériellement établis. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier qu'à de multiples reprises, M. B... a refusé d'assumer les responsabilités lui incombant en sa qualité de directeur de l'Unité de police administrative, refusant notamment de procéder à la notation de son adjointe, de se rendre à certaines réunions puis de se soumettre à l'évaluation professionnelle de l'année 2018, en adressant un rapport à sa hiérarchie dans lequel il indiquait " abandonner toute fonction " de chef d'unité, ce qui est d'ailleurs relaté dans son ouvrage, enfin, en cessant de consulter sa messagerie professionnelle, ce qu'il a lui-même indiqué au cours de l'enquête administrative. Sur ces points, le requérant ne peut donc davantage sérieusement contester la matérialité des faits reprochés. Enfin, il ressort des pièces du dossier, en particulier des déclarations faites par le requérant au cours de l'enquête administrative, qu'en avril 2015, il s'est rendu dans le bureau du responsable de la sûreté départementale, en l'absence de celui-ci, afin de consulter un document, qui ne lui était pas destiné, relatif à la future organisation du service. Le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige serait entaché d'erreurs de fait doit ainsi être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.(...) / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés ".

7. En vertu des dispositions citées au point 6, les fonctionnaires ne peuvent être sanctionnés lorsqu'ils sont amenés à dénoncer des faits de harcèlement moral dont ils sont victimes ou témoins. Toutefois, l'exercice du droit à dénonciation de ces faits doit être concilié avec le respect de leurs obligations déontologiques, notamment de l'obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et qui leur impose de faire preuve de mesure dans leur expression. Lorsque le juge est saisi d'une contestation de la sanction infligée à un fonctionnaire à raison de cette dénonciation, il lui appartient, pour apprécier l'existence d'un manquement à l'obligation de réserve et, le cas échéant, pour déterminer si la sanction est justifiée et proportionnée, de prendre en compte les agissements de l'administration dont le fonctionnaire s'estime victime ainsi que les conditions dans lesquelles ce dernier a dénoncé les faits, au regard notamment de la teneur des propos tenus, de leurs destinataires et des démarches qu'il aurait préalablement accomplies pour alerter sur sa situation.

8. Si M. B... indique que la directrice départementale de la sûreté publique, après avoir refusé de le recevoir malgré sa demande présentée en ce sens en septembre 2014 au sujet de la réorganisation des services, a, lors d'un entretien en juin 2015, porté des critiques sur ses méthodes de travail et sa vie personnelle, il n'apporte aucun commencement de preuve à l'appui de cette affirmation. S'il fait aussi valoir qu'il n'a pas été consulté sur la réorganisation des services et qu'il a ensuite été placé à la tête de l'unité de police administrative (UPA) alors qu'un tel poste n'était pas en adéquation avec son profil professionnel " de terrain ", ces seuls faits, qui n'excédent pas l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, ne peuvent être regardés comme caractérisant un harcèlement moral. Dans ces conditions, le requérant, qui n'a au demeurant pas tenu des propos mesurés dans son livre puis à l'occasion de la promotion de cet ouvrage, n'est pas fondé à soutenir qu'il ne pouvait faire l'objet d'une sanction à raison de ces propos en application des principes ci-dessus rappelés.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dans sa rédaction alors en vigueur : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ". Aux termes de l'article 8, alors applicable, de la même loi : " I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. / En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. / En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public. / II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public ".

10. Les propos contenus dans le livre litigieux et tenus par M. B... dans le cadre de la promotion de cet ouvrage expriment, pour l'essentiel, son animosité personnelle envers sa hiérarchie, en particulier à la suite de son affectation sur un poste qu'il ne souhaitait pas occuper. L'intéressé, qui a indiqué lors de l'enquête administrative menée par l'IGPN que ce livre était sa " réponse " à sa hiérarchie et son seul moyen d'" informer Paris des manquements graves à la déontologie policière commis par ma hiérarchie à mon encontre ", ne peut être regardé comme ayant entendu révéler, de manière désintéressée et de bonne foi, une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général dont il aurait eu connaissance. Au surplus, le requérant, qui s'est borné à adresser, en 2014, deux rapports à la directrice de la DDSSP de la Gironde concernant sa situation professionnelle propre, n'a aucunement respecté la procédure de signalement telle que prévue par les dispositions précitées de l'article 8 de la loi du 9 décembre 2016. Dans ces conditions, M. B... ne saurait se prévaloir de la protection instituée en faveur des lanceurs d'alerte.

11. En cinquième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que les faits ci-dessus décrits, dont la matérialité est établie, sont constitutifs de manquements aux devoirs de réserve, de discrétion professionnelle, de loyauté et d'obéissance hiérarchique, et ont eu pour effet de jeter le discrédit sur l'administration policière. Ces faits revêtent ainsi un caractère fautif quand bien même la cour d'appel de Bordeaux a, par un arrêt du 4 juin 2019, relaxé M. B... des poursuites engagées à son encontre pour diffamations et injures publiques à l'encontre de particuliers, relaxe qui a au demeurant été prononcée au seul motif de l'erreur de qualification juridique des poursuites pénales.

12. En sixième lieu, eu égard aux responsabilités de M. B..., qui avait le grade de commandant de police, ainsi qu'à la gravité des manquements reprochés, et alors même que sa manière de servir avait antérieurement donné satisfaction, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire n'a pas, dans les circonstances de l'espèce et au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, pris une sanction disproportionnée en lui infligeant la sanction du quatrième groupe de mise à la retraite d'office.

13. Enfin, aux termes de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations / 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ".

14. M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en sanctionnant les manquements précités, l'autorité aurait méconnu les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relative à la liberté d'expression, dès lors que la restriction apportée à cette liberté d'expression par l'obligation de réserve qui s'imposait à lui poursuit un but légitime au sens de ces stipulations.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 avril 2019. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente de la formation de jugement,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.

La présidente-assesseure,

Christelle Brouard-Lucas

La présidente-rapporteure,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX01111


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01111
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BEUVE-DUPUY
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : CAIJEO ROMUALD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;21bx01111 ?
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