Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune d'Uturoa a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 767 473 093 francs CFP en réparation des préjudices résultant pour elle de la résiliation unilatérale du bail conclu le 17 octobre 1997, à titre subsidiaire, d'ordonner l'expulsion de la Polynésie française des constructions édifiées sur son domaine public, sous astreinte de 10 000 000 francs CFP par mois de retard passé le délai de 30 jours suivant la notification du jugement à intervenir et d'ordonner à la Polynésie française de s'assurer du déguerpissement de toute personne qu'elle a autorisée à s'installer, à commencer par le Port Autonome de Papeete sous la même astreinte et dans le même délai.
Par un jugement n°2000048 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 février 2022, la commune d'Uturoa représentée par Me Mikou demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°2000048 du 23 novembre 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) à titre principal, de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 767 473 093 francs CFP ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner l'expulsion de la Polynésie française et de tous occupants de son chef des constructions édifiées sur le domaine public de la commune, sous astreinte de 10 000 000 francs CFP par mois de retard passé un délai de 30 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le bail conclu le 17 octobre 1997 n'est pas entaché de nullité dès lors que les biens qui en sont l'objet relèvent de son domaine privé ainsi que cela a été stipulé d'un commun accord dans l'acte et que l'a reconnu la Polynésie française ; les parcelles concernées n'ont par ailleurs jamais été classées dans le domaine public de la commune ; c'est ainsi à tort que les premiers juges ont estimé que les terrains donnés à bail, alors à l'état d'abandon et dépourvus d'aménagement spécifique, étaient affectés à un service public lors de la conclusion du bail ; ces terrains n'étaient pas davantage affectés à une opération d'intérêt général ; cette annulation porte atteinte au principe de sécurité juridique ;
- le bail étant valable, sa résiliation unilatérale, non motivée et irrégulière faute de motif d'intérêt général que seul le bailleur était en droit d'invoquer, engage la responsabilité de la Polynésie française et ouvre droit, en tout état de cause, à la réparation du préjudice qu'elle a subi, d'un montant total de 767 473 093 francs CFP, s'établissant comme suit :
* au titre du manque à gagner pour les loyers qui auraient dû être perçus du 1er avril 2020 au 17 octobre 2047, date d'expiration du bail : 329 473 093 francs CFP,
* au titre des préjudices consécutifs à l'inexécution par la Polynésie française de ses obligations contractuelles :
- 100 000 000 francs CFP pour absence de réalisation de travaux de voiries et réseaux divers hors zone portuaire,
- 80 000 000 francs CFP pour absence de construction d'un marché municipal,
- 50 000 000 francs CFP pour absence d'entretien du jardin municipal jusqu'à la fin du bail,
- 130 000 000 francs CFP pour absence de construction d'un centre commercial avec parkings,
- 20 000 000 francs CFP pour méconnaissance de la promesse d'échange de deux parcelles,
- 8 000 000 francs CFP pour absence de construction d'une caserne de pompiers,
* 50 000 000 francs CFP au titre du préjudice moral ;
- le jugement est enfin irrégulier en tant que les premiers juges ont écarté comme irrecevables les conclusions à fin d'expulsion qu'elle a présentées à titre subsidiaire, qui ne font que tirer les conséquences de l'annulation du bail s'agissant de l'ensemble des constructions édifiées par la Polynésie française sur les emprises foncières lui appartenant et qui sont entrées dans son patrimoine.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 novembre 2022, la Polynésie française représentée par Me Quinquis, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune d'Uturoa au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante au soutien des conclusions présentées à titre principal ne sont pas fondés et que les conclusions présentées à titre subsidiaire sont irrecevables.
Par une ordonnance du 20 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la loi n° 77-1460 du 29 décembre 1977 ;
- la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte authentique signé le 17 octobre 1997 conclu afin de permettre à la Polynésie française d'édifier une gare maritime, un hangar de fret, une capitainerie, des voiries et réseaux de la zone portuaire, un jardin public, un marché public ainsi qu'un centre commercial avec parking, la commune d'Uturoa -située sur l'île de Raiatea dans les Îles Sous-Le-Vent- et la Polynésie française ont signé un bail d'une durée de cinquante ans portant sur la mise à disposition par la commune au territoire d'un ensemble foncier situé dans la zone portuaire, composé de huit parcelles d'une superficie totale d'un hectare vingt-deux ares et quarante-neuf centiares, moyennant le versement d'une redevance annuelle de 10 000 000 francs CFP, révisable. Ce bail stipulait qu'il s'appliquait au " domaine privé " communal et qu'à l'issue de la réalisation des constructions, celles-ci seraient rétrocédées gratuitement à la commune d'Uturoa, à l'exception des constructions et aménagements nécessaires à l'activité portuaire incorporés -sans contrepartie financière- au domaine public maritime de la Polynésie française. Courant 2013, les parties se sont opposées, notamment à propos de la rétrocession d'une parcelle (AD 21) pour la réalisation de la nouvelle brigade de police municipale. A partir de la fin de l'année 2017, elles ont cherché à conclure une convention transactionnelle relative à la résiliation du bail. Le 12 septembre 2019, faute d'accord, le ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française a informé le maire d'Uturoa du sens de la délibération du conseil des ministres refusant une issue transactionnelle et autorisant une résiliation non conventionnelle. Par arrêté n°1855 CM du 29 août 2019 du conseil des ministres autorisant le ministre compétent à résilier le bail, le ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française a unilatéralement résilié le bail à compter du 31 mars 2020. Le 5 novembre suivant, le maire d'Uturoa a formé une réclamation préalable en vue d'obtenir réparation des préjudices consécutifs à cette résiliation, rejetée le 19 décembre 2019 par le ministre de l'économie verte et du domaine. La commune d'Uturoa relève appel du jugement du 23 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant, à titre principal, à la condamnation de la Polynésie française à lui verser la somme totale de 767 473 093 francs CFP en réparation de son préjudice et, à titre subsidiaire, à l'expulsion de la Polynésie française des constructions édifiées sur son domaine public ainsi qu'à celle de toute personne qu'elle aurait autorisée à s'y installer.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
2. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, il résulte de l'instruction que le contrat signé le 17 octobre 1997, après délibération en ce sens de la commune en date du 3 septembre 1997, dans le cadre d'un projet de construction d'une gare maritime destinée à accueillir des navires de croisières, d'extension de la zone portuaire dans la commune d'Uturoa sise dans l'ïle de Raiatea, ainsi que pour l'aménagement global du centre-ville de la commune et le développement de services communaux, avait pour objet la réalisation d'une opération d'intérêt général sur des terrains affectés à un service public et destinés -d'un commun accord- à être aménagés à cet effet avec, à son terme, incorporation des constructions et aménagements nécessaires à l'activité portuaire dans le domaine public de la Polynésie française. Dans ces circonstances, les parcelles de la commune d'Uturoa, affectées de façon certaine au fonctionnement de services publics auquel elles étaient destinées, appartenaient ainsi nécessairement, dès la date de signature du bail, au domaine public de celle-ci, sans que soit opposable la qualification donnée aux parcelles par les parties, pas plus que leur absence de classement préalable dans ce domaine.
3. Les grands principes de la domanialité s'appliquent en Polynésie française en l'absence de dispositifs dérogatoires applicables dans les Îles Sous-Le-Vent. Bien que qualifié de bail à construction, le contrat conclu le 17 octobre 1997 prévoyait un transfert de propriété gratuit de certaines parcelles appartenant à la commune au domaine de la Polynésie et la rétrocession, à l'issue du bail d'une durée de cinquante ans, d'une partie des constructions édifiées par le preneur. Eu égard à ces caractéristiques, ce contrat emportait constitution de droit réels sur des parcelles appartenant à la commune et destinées par les parties à être aménagées en vue du service public auquel elles seraient affectées de façon certaine ou aliénation de telles parcelles. A la date de la conclusion du contrat, et alors qu'aucun texte applicable en Polynésie française n'autorisait la commune d'Uturoa à conclure un bail emphytéotique ni la Polynésie à être preneur d'un tel bail, ces clauses, incompatibles avec les principes de la domanialité publique doivent être regardées comme nulles. Elles ont eu un caractère déterminant dans la conclusion de la convention et sont indivisibles des autres dispositions de ce bail et ont donc pour effet de l'entacher de nullité dans son ensemble. Il s'en infère que l'acte conclu le 17 octobre 1997, indivisible et dont les clauses déterminantes sont incompatibles avec les principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public, était nul dès sa souscription, du fait de son objet, illicite.
4. Dans ces conditions, la commune d'Uturoa ne pouvant au soutien de sa demande d'indemnisation invoquer la responsabilité de son contradicteur en se prévalant des stipulations d'un bail réputé nul dès son origine, c'est à juste titre que ses conclusions indemnitaires ont été rejetées.
Sur les conclusions à fin d'expulsion :
5. Les conclusions tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion " des constructions édifiées sur (le) domaine public (de la commune) " ainsi que celle de tous occupants sans droit ni titre présentées en réponse à un moyen d'ordre public soulevé par le tribunal, relevant d'un litige distinct et ayant été présentées postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux, c'est à bon droit que les premiers juges les ont écartées comme irrecevables.
6. Il résulte ainsi de ce qui précède que la commune d'Uturoa n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Polynésie française a rejeté ses demandes.
Sur les frais du litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que la Polynésie française, qui n'est pas la partie perdante, verse à la commune d'Uturoa, la somme qu'elle demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de cette dernière le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Polynésie française sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune d'Uturoa est rejetée.
Article 2 : La commune d'Uturoa versera à la Polynésie française la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Uturoa et à la Polynésie française.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Jayer, première conseillère.
Rendu publique par mise à disposition au greffe le 11 décembre 2023.
La rapporteure,
M-D JAYERLa présidente,
A. MENASSEYRE
La greffière,
N. COUTYLa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00823