Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'ordonner avant dire droit si nécessaire, une expertise médicale et de condamner l'assistance publique - hôpitaux de Marseille (APHM) à l'indemniser des préjudices subis dans le cadre de sa prise en charge médicale par le centre hospitalier de la Timone à Marseille.
Par un jugement n° 1905189 du 25 janvier 2021, le tribunal a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 février 2021, Mme F... E..., représentée par Me Benahmed, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision en date du 20 mai 2019 par laquelle le directeur général de l'APHM a rejeté sa demande préalable et d'enjoindre à l'APHM de faire une proposition d'indemnisation sur le fondement de l'expertise du docteur C..., sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit une expertise ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'APHM la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 23 mars 2021, la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes, représentée par Me Constans, conclut à la condamnation de l'APHM à lui payer la somme de 24 538,13 euros en remboursement des prestations servies à Mme E..., la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2022, l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille, représentée par Me Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête.
Le 3 novembre 2022, la procédure a été communiquée à l'institut Paoli-Calmettes en sa qualité d'observateur.
Avant de statuer sur l'appel formé par Mme F... E... contre le jugement n° 1905189 du 25 janvier 2021 du tribunal administratif de Marseille, la cour a, par un arrêt avant dire droit n° 21MA00838 du 25 novembre 2022, ordonné une mesure d'expertise en vue de dire si les diagnostics erronés qui ont été d'abord formulés, l'ont été ou non, avec négligence et non conformément aux données acquises de la science au moment où ils ont été formulés, si ces diagnostics erronés sont fautifs, de dire s'ils ont causé à Mme F... E... des préjudices, notamment en retardant le traitement de la pneumopathie et du cancer du sein dont elle souffrait, en lui faisant subir des examens inutiles et en lui faisant perdre des chances sérieuses d'échapper à une affection ou à son aggravation, ou ont diminué ses chances de guérison et dans quelles proportions, de dire si la pneumopathie diagnostiquée a été traitée et, dans la négative, préciser les causes de ce défaut de traitement ou de traitement différé et dire si ce défaut ou retard de traitement présente un caractère fautif et s'il a causé préjudice à Mme E..., de distinguer, le cas échéant, entre les fautes imputables à l'assistance publique-hôpitaux de Marseille et ses composantes, celles commises par l'institut Paoli-Calmettes et celles éventuellement commises par Mme E... et de décrire l'ensemble des préjudices pouvant être regardés comme directement imputables aux fautes commises par l'APHM et l'IPC et éventuellement celles de Mme E....
Par une ordonnance du 16 janvier 2023, la présidente de la cour a désigné le docteur D... B... en qualité d'expert.
Par une ordonnance du 2 février 2023, la présidente de la cour a désigné le docteur A... G... comme sapiteure.
Le rapport de l'expert a été enregistré au greffe de la cour le 2 mai 2023.
Par des mémoires, enregistrés les 16, 18 et 19 mai 2023, Mme F... E..., représentée par Me Benahmed, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'infirmer le jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 janvier 2021 ;
2°) de l'indemniser des préjudices subis, évalués aux sommes qui se décomposent de la manière suivante :
- 180 euros au titre du déficit temporaire total ;
- 298 euros au titre du déficit temporaire de 10 % dont un préjudice d'anxiété évitable ;
- 15 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 3 % ;
- 6 000 euros au titre du préjudice esthétique ;
- 15 000 euros au titre du pretium doloris ;
3°) de mettre à la charge de l'APHM la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été victime d'une errance de diagnostic ayant conduit à un retard de prise en charge de son cancer ;
- cette faute de l'APHM a entraîné des préjudices dont elle doit être indemnisée ;
- contrairement aux conclusions de l'expertise judiciaire ordonnée par la cour, l'errance de diagnostic dont elle a été victime constitue une faute médicale et a eu de lourdes conséquences, compte tenu du retard pris dans le traitement de son cancer ;
- contrairement aux conclusions de cette expertise, elle doit être indemnisée de ses préjudices d'anxiété liés au retard d'une semaine pris avant l'annonce d'absence de lymphome, de sa souffrance morale liée à la peur provoquée par ce diagnostic erroné, du préjudice moral lié au retard de trois mois du diagnostic de cancer du sein, mais aussi de ses souffrances psychiques qui perdurent malgré le diagnostic de bénignité.
Par un mémoire, enregistré le 6 juin 2023, l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille, représentée par Me Le Prado-Gilbert, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que Mme E... et la caisse primaire d'assurance maladie ne sont pas fondées à soutenir que ce serait à tort que le tribunal administratif a rejeté leurs demandes.
Par un mémoire, enregistré le 28 septembre 2023, l'institut Paoli-Calmettes, représenté par la SELARL Ensen avocats, agissant par Me Signouret, conclut au rejet de la requête, au rejet des demandes de la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes qui seraient dirigées contre lui et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de Mme E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la juridiction administrative est incompétente pour statuer sur le principe de sa responsabilité ;
- subsidiairement, sa responsabilité ne pourrait pas être retenue, aucun des moyens soulevés n'étant fondés.
Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2023, la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes, venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, représentée par Me Constans, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 janvier 2021 ;
2°) de condamner l'APHM à lui verser la somme de 24 538,13 euros en remboursement des prestations servies à Mme E... et celle de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge de l'APHM la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'elle justifie du principe et du montant de ses débours, la créance définitive de la CPAM s'élevant à 24 538,13 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rigaud ;
- les conclusions M. Gautron, rapporteur public ;
- et les observations de Me Signouret, représentant l'institut Paoli Calmette.
Considérant ce qui suit :
1. S'estimant victime d'une errance de diagnostic à l'origine d'un retard de prise en charge médicale adaptée, Mme E... a saisi l'APHM d'une demande indemnitaire préalable le 25 janvier 2019. Par courrier du 20 mai 2019, le directeur général de l'APHM a rejeté cette demande. Ayant sollicité l'annulation de cette décision et la condamnation de l'APHM à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis, Mme E... relève appel du jugement n° 1905189 du 25 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.
2. Par un arrêt avant-dire droit du 25 novembre 2022, la cour a ordonné une mesure d'expertise en vue de dire si les diagnostics erronés qui ont été d'abord formulés, l'ont été ou non, avec négligence et non conformément aux données acquises de la science au moment où ils ont été formulés, si ces diagnostics erronés sont fautifs, de dire s'ils ont causé à Mme F... E... des préjudices, notamment en retardant le traitement de la pneumopathie et du cancer du sein dont elle souffrait, en lui faisant subir des examens inutiles et en lui faisant perdre des chances sérieuses d'échapper à une affection ou à son aggravation, ou ont diminué ses chances de guérison et dans quelles proportions, de dire si la pneumopathie diagnostiquée a été traitée et, dans la négative, préciser les causes de ce défaut de traitement ou de traitement différé et dire si ce défaut ou retard de traitement présente un caractère fautif et s'il a causé préjudice à Mme E..., de distinguer, le cas échéant, entre les fautes imputables à l'assistance publique-hôpitaux de Marseille et ses composantes, celles commises par l'institut Paoli-Calmettes et celles éventuellement commises par Mme E... et de décrire l'ensemble des préjudices pouvant être regardés comme directement imputables aux fautes commises par l'APHM et l'IPC et éventuellement celles de Mme E.... Le rapport de l'expert a été enregistré au greffe de la cour le 2 mai 2023.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
3. Aucune des conclusions présentées par Mme E... n'étant dirigées contre l'institut Paoli-Calmettes, l'exception d'incompétence opposée par ce dernier sur le fondement de l'article L. 6162-2 du code de la santé publique doit donc être écartée.
Sur la responsabilité :
4. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".
5. Le rapport de l'expertise ordonnée par la cour, établi le 26 avril 2023 par le docteur B..., expert en chirurgie mammaire et gynécologique et cancérologie, ayant fait appel au docteur G..., radiologue, comme sapiteur, a relevé que Mme E..., alors âgée de 39 ans, a été hospitalisée en urgence pour un syndrome thoracique inflammatoire atypique. Chez cette patiente fumeuse, le bilan initial d'imagerie a été atypique pour une pneumopathie, et, devant le constat d'un syndrome radiologique de masse qui s'avérait ganglionnaire, devait faire évoquer et/ou écarter une étiologie cancéreuse dont l'hypothèse d'un lymphome. Les étapes d'élimination des diagnostics différentiels ont paru longues car elles nécessitaient des arguments cytopathologiques dont les premiers résultats nécessitaient la poursuite étape par étape des investigations. Pour autant, la démarche du service des urgences, du service de chirurgie thoracique de l'APHM et de l'institut Paoli-Calmettes ont été conformes aux données de la science. Cette démarche aboutit à affirmer la bénignité des aspects ganglionnaires thoraciques inquiétants du départ et à un retard au diagnostic de cancer du sein sans conséquence sur son pronostic. Il résulte de cette expertise, qui n'est pas utilement contredite sur tous ces points, que le retard de diagnostic de cancer du sein, de trois mois environ, n'est à l'origine d'aucune perte de chance d'échapper à ce cancer préexistant à la prise en charge et il n'est en outre à l'origine d'aucune aggravation de l'état de santé de la requérante s'agissant d'une lésion dont le risque est particulièrement faible, surtout en s'entourant des traitements adjuvants qui ont été prescrits dont un traitement par radiothérapie et un traitement par hormonothérapie que l'intéressée, au demeurant, n'a volontairement pas voulu observer. Il en résulte également que les examens pratiqués étaient tous justifiés jusqu'au 15 mars 2016, date à laquelle le diagnostic annoncé de lymphome aurait dû être neutralisé en raison de la disponibilité des résultats d'analyse infirmant ce diagnostic depuis le 11 mars précédant. Le rapport d'expertise relève en conséquence que l'annonce de l'absence de lymphome, qui n'a été faite à l'intéressée que le 21 mars 2016, a prolongé l'anxiété de cette dernière pendant environ une semaine et a retardé d'autant l'explantation du dispositif veineux.
6. Si la requérante soutient que ce retard de quelques jours dans l'annonce de l'absence de lymphome lui a causé un préjudice bien plus long, voire permanent, elle n'établit cependant pas, à l'appui des seules pièces qu'elle produit à l'instance, la réalité de tels préjudices d'anxiété et de souffrances morales ou psychiques résultant de ce seul retard d'annonce de diagnostic. Les autres préjudices dont elle demande la réparation ne sont pas imputables à une faute de l'APHM, y compris le retard pris dans le diagnostic du cancer du sein dont elle était atteinte et qui a été pris en charge au sein de l'institut Paoli-Calmettes, mais sont imputables à l'annonce d'hypothèses diagnostiques et à des examens utiles, y compris la pose d'un dispositif veineux dit port-à-cath, conformes aux données actuelles de la science.
7. Il en résulte que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.
Sur les conclusions de la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes, venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône :
8. Il résulte de tout ce précède que la responsabilité médicale de l'APHM n'est pas engagée à l'égard de Mme E.... Par suite, les conclusions de la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes, venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, aux fins de remboursement de ses débours et de versement de l'indemnité forfaitaire de gestion ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'expertise :
9. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... les frais d'expertise, liquidés et taxés aux sommes respectives de 1 590,40 euros et de 500 euros par l'ordonnance de la présidente de la cour du 15 mai 2023.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de laisser à chacune des parties la charge des frais qu'elles ont exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête Mme E... est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise liquidés et taxés aux sommes respectives de 1 590,40 euros et de 500 euros par l'ordonnance de la présidente de la cour du 15 mai 2023, sont mis définitivement à la charge de Mme E....
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à à Mme F... E..., à l'assistance publique-Hôpitaux de Marseille et à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes et à l'institut Paoli-Calmettes.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Cécile Fedi, présidente ;
- Mme Lison Rigaud, présidente-assesseure ;
- M. Nicolas Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 décembre 2023.
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N°21MA00838