Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 29 juin 2023 par lequel la préfète du Rhône a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2306077 du 21 juillet 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté de la préfète du Rhône du 29 juin 2023 en tant qu'il fixe comme pays de destination le pays dont le requérant a la nationalité.
Procédures devant la cour
I - Par une requête enregistrée le 12 août 2023 sous le n° 23LY02655, la préfète du Rhône demande à la cour d'annuler ce jugement.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- c'est à tort que le premier juge a annulé l'arrêté attaqué en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de destination pour erreur de fait ; il a commis une erreur de droit ;
- les autres moyens soulevés par M. C... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 24 aout 2023, M. C..., représenté par Me Muscillo, se borne à conclure au rejet de la requête, à demander la confirmation du jugement en litige et demande de mettre à la charge de l'État une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé et que la décision fixant le pays de destination est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, méconnaît les articles 8 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 septembre 2023.
II - Par une requête enregistrée le 12 août 2023 sous le n° 23LY02656, la préfète du Rhône demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement.
Elle soutient qu'elle est fondée à obtenir le sursis à exécution du jugement attaqué en application des dispositions des articles R. 811-17 et R. 811-17-1 du code de justice administrative.
En application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative, l'affaire a été dispensée d'instruction.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Djebiri, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant nigérian né en 1986, qui était de passage en France lorsqu'il a été interpellé pour trafic de stupéfiants, a été condamné par un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Chambéry du 22 juin 2022 à une peine principale d'emprisonnement et à une peine complémentaire d'interdiction du territoire français d'une durée de dix ans. Par un arrêté du 29 juin 2023 la préfète du Rhône a fixé le pays de destination. Par les deux requêtes visées plus haut, qu'il y a lieu de joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt, la préfète du Rhône relève appel du jugement du 21 juillet 2023 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon qui a annulé l'arrêté de la préfète du Rhône du 29 juin 2023 en tant qu'il fixe comme pays de destination le pays dont M. C... a la nationalité et demande également le sursis à exécution de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office (...) d'une peine d'interdiction du territoire français (...). " Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
3. Pour annuler l'arrêté en litige en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de destination la magistrate désignée a retenu que, en mentionnant que M. C... n'apportait pas la preuve de son admissibilité dans un autre pays que celui dont il a la nationalité alors qu'il était titulaire d'un titre de séjour italien en cours de validité, étant ainsi admissible dans un autre pays que son seul pays d'origine, le préfet avait commis une erreur de fait. Toutefois, malgré cette circonstance, la préfète n'en conservait pas moins la possibilité, comme le précisait cet arrêté, de prévoir l'éloignement de l'intéressé vers son pays d'origine ou tout autre pays où il serait admissible.
4. La préfète du Rhône est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée a annulé son arrêté du 29 juin 2023 en tant qu'il fixe le Nigéria comme pays de destination.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... aussi bien devant le tribunal que devant la cour.
6. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
7. Il résulte des articles L. 721-3 et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile cités plus haut qu'aussi longtemps que la personne condamnée n'a pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale le relèvement de sa peine d'interdiction du territoire, l'autorité administrative est tenue de pourvoir à son exécution en édictant à son encontre une décision motivée fixant son pays de destination, sous réserve qu'une telle décision n'expose pas l'intéressé à être éloigné à destination d'un pays dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée, ou d'un pays où elle serait exposée à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Il ressort des pièces du dossier que le requérant a fait l'objet le 24 février 2022, d'une décision d'interdiction judiciaire du territoire français d'une durée de dix ans, qui n'a pas été relevée depuis lors. Par ailleurs, le requérant ne justifie pas, par ses seules allégations, qu'il serait exposé à des persécutions en cas de retour dans son pays d'origine, le Nigéria. Par suite, la préfète du Rhône, qui était tenue d'édicter la décision attaquée, n'a pas méconnu les stipulations précitées.
9. Aux termes du 1 de l'article 8 de cette convention : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. "
10. Si M. C... soutient que la préfète du Rhône a porté une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale, en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'atteinte à ce droit découle, en tout état de cause, non de la décision qui se borne à prévoir le renvoi de l'intéressé dans son pays d'origine, ou tout autre pays où il serait légalement admissible mais du prononcé par le juge pénal de la peine d'interdiction du territoire, qui fait obstacle à sa libre circulation sur le territoire de la République française et lui interdit d'y revenir. Par suite, ce moyen, inopérant, ne peut qu'être écarté.
11. Enfin si l'intéressé fait état de ce qu'il a un titre de séjour italien depuis 2014, dispose actuellement d'un titre de séjour italien pluriannuel, qui expirera le 13 octobre 2023, est marié depuis le 24 septembre 2012 avec une ressortissante nigériane titulaire d'un titre de séjour italien également, avec laquelle il a deux enfants et a une adresse à Turin, en tout état de cause, il n'établit pas, par ces éléments, que la préfète du Rhône aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en fixant notamment le Nigéria comme pays de destination.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que la préfète du Rhône est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 29 juin 2023 en tant qu'il fixe comme pays de destination le pays dont le requérant a la nationalité.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
13. Le présent arrêt statuant sur l'appel de la préfète du Rhône dirigé contre le jugement n° 2306077 du tribunal administratif de Lyon, les conclusions de la requête n° 23LY02656 tendant ce qu'il soit sursis à son exécution ont perdu leur objet et il n'y a donc plus lieu d'y statuer.
Sur les frais du litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État qui n'est pas la partie perdante soit condamnée à verser une somme à M. C....
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23LY02656.
Article 2 : Le jugement n° 2306077 du 21 juillet 2023 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon, en ce qu'il annule l'arrêté du 29 juin 2023 en tant qu'il fixe comme pays de destination le pays dont le requérant a la nationalité, est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lyon tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 juin 2023 en ce qu'il annule l'arrêté du 29 juin 2023 en tant qu'il fixe comme le Nigéria comme pays de destination, ainsi que ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... C....
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2023.
La rapporteure,
C. DjebiriLe président,
V.-M. Picard La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 23LY02655, 23LY02656 2
lc