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07/12/2023 | FRANCE | N°22LY03524

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 07 décembre 2023, 22LY03524


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier des 20 décembre 2018, 18 février 2019, 4 avril 2019 et 6 juin 2019 le soumettant à des fouilles corporelles intégrales.



Par jugement n° 1905125 du 30 septembre 2022, le tribunal a annulé les décisions du 4 avril 2019 et du 6 juin 2019 et rejeté le surplus de sa demande.





Procédure deva

nt la cour



Par une requête enregistrée le 2 décembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier des 20 décembre 2018, 18 février 2019, 4 avril 2019 et 6 juin 2019 le soumettant à des fouilles corporelles intégrales.

Par jugement n° 1905125 du 30 septembre 2022, le tribunal a annulé les décisions du 4 avril 2019 et du 6 juin 2019 et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 2 décembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il prononce l'annulation des décisions du 4 avril 2019 et du 6 juin 2019 et de rejeter dans cette mesure la demande de M. B....

Il soutient que les deux décisions annulées trouvent leur fondement légal dans les dispositions de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dans sa version applicable à compter du 25 mars 2019, qui peuvent être substituées à celle du même article dans sa version antérieure au 25 mars 2019 dès lors que, d'une part, M. B... se trouvait dans une situation où il pouvait faire l'objet de fouilles intégrales systématiques après parloir, d'autre part, que cette substitution de base légale ne prive le détenu d'aucune garantie et qu'enfin, l'administration disposait du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces dispositions.

M. B... auquel la requête a été communiquée n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ;

- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Psilakis,

- et les conclusions de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Le garde des sceaux, ministre de la justice demande l'annulation du jugement du 1er février 2022 du tribunal administratif de Grenoble qui a annulé les décisions du 4 avril 2019 et du 6 juin 2019 du directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier instaurant, à compter de leur date d'édiction et pour une durée maximale de quatre mois, une fouille corporelle intégrale systématique de M. B..., alors détenu dans ce centre, pour l'ensemble de ses déplacements hors cellule, notamment lors de son accès et au retour du parloir et, le cas échéant, lors de ses extractions.

2. Il ressort des pièces du dossier que, pour adopter les décisions en litige, le directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier s'est fondé sur l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dans sa version issue de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, suivant lequel : " Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. / (...) Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. ".

4. Pour annuler ces décisions, le tribunal administratif de Grenoble a retenu le moyen, qu'il a soulevé d'office, tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi, dans la mesure où les dispositions de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 sur lesquelles ces décisions se fondent n'étaient plus en vigueur à la date où elles sont intervenues. Le garde des sceaux, ministre de la justice, qui ne critique pas ce motif, demande en appel que soit substitué, à l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dans sa version issue de la loi du 3 juin 2016, les dispositions du même article issues de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice entrées en vigueur à compter du 25 mars suivant, aux termes desquelles : " Hors les cas où les personnes détenues accèdent à l'établissement sans être restées sous la surveillance constante de l'administration pénitentiaire ou des forces de police ou de gendarmerie, les fouilles intégrales des personnes détenues doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Elles peuvent être réalisées de façon systématique lorsque les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l'imposent. Dans ce cas, le chef d'établissement doit prendre une décision pour une durée maximale de trois mois renouvelables après un nouvel examen de la situation de la personne détenue. / (...) Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. (...) ".

5. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.

6. Il ressort des pièces du dossier que, pour soumettre M. B..., qui a été, antérieurement à l'adoption des décisions en litige, à l'origine de nombreux incidents en détention, à des mesures de fouilles corporelles intégrales d'une durée maximale de quatre mois, le directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier a estimé, à la suite, d'une part, d'une altercation de l'intéressé avec des codétenus et à des insultes proférées à l'encontre du personnel pénitentiaire, et, d'autre part, de la découverte dans la cellule de l'intimé de produits stupéfiants, téléphones portables, chargeurs et cartes micro-SD non autorisées, que M. B... était susceptible de détenir des objets ou substances prohibées et de vouloir commettre des faits délictueux. Ces éléments justifiaient que l'intimé puisse faire l'objet de fouilles corporelles intégrales sur le fondement des dispositions de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dans sa version issue de la loi du 23 mars 2019 qui prévoient la réalisation de telles fouilles en cas de présomption d'une infraction ou à raison du risque que le comportement du détenu ferait courir sur la sécurité des personnes et le maintien du bon ordre dans l'établissement, et qu'elles peuvent être réalisées de façon systématique lorsque les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l'imposent. Par suite, et dès lors que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation dans l'application de ces dispositions dans leur version successive, les dispositions de l'article 57 de la loi dans leur version issue de la loi du 23 mars 2019 peuvent être substituées à ces dispositions dans leur version antérieure sur lesquelles le directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier s'est fondé. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé les décisions du directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier du 4 avril 2019 et du 6 juin 2019 au motif qu'elles avaient méconnu le champ d'application de la loi.

7. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble.

8. En premier lieu, le moyen tiré du défaut de motivation des décisions en litige n'est pas fondé, le directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier citant les dispositions légales sur lesquelles il s'est fondé ainsi que pour chacune d'elles les faits et compte-rendu d'incidents ayant motivé l'instauration du régime de fouilles corporelles intégrales à l'encontre de M. B....

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 8 de la même convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article R. 57-7-79 du code de procédure pénale, en vigueur à la date des décisions attaquées : " Les mesures de fouilles des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont mises en œuvre sur décision du chef d'établissement pour prévenir les risques mentionnés au premier alinéa de l'article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009. Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité des personnes intéressées, des circonstances de la vie en détention et de la spécificité de l'établissement. (...) ".

10. Si les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l'application à un détenu de mesures de fouille, le cas échéant répétées, elles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de l'intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu'il a pu avoir avec des tiers. Les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection électronique. Il appartient à l'administration pénitentiaire de veiller, d'une part, à ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaires et proportionnées et, d'autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne.

11. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 4 avril 2019 a été prise à la suite d'un incident survenu le 12 mars 2019 au cours duquel M. B..., dans le cadre d'une altercation avec des codétenus, a insulté et menacé des membres du personnel pénitentiaire, et que la décision du 6 juin 2019 a été adoptée à la suite de la découverte dans sa cellule de produits prohibés tels que stupéfiants, téléphones portables, chargeurs et cartes micro-SD. Par ailleurs, il ressort de l'ensemble des compte-rendu d'incidents et des décisions de sanctions disciplinaires produits par le ministre que M. B... présente en détention un comportement violent, à l'origine de nombreux conflits avec les codétenus et agressions, menaces et insultes envers le personnel de l'établissement, qu'il a à plusieurs reprises été découvert des objets prohibés dans sa cellule et qu'il est entré en relation avec des co-détenus, notamment, en utilisant des draps déchirés pour transporter des objets entre cellules. Dans ces conditions, et compte tenu de la nature et de la fréquence de tels faits, les fouilles à nu qui lui ont imposées au retour de parloirs et lors des déplacements hors cellule sont justifiées et proportionnées aux risques d'introduction en détention de matériels et substances prohibés. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas même soutenu par l'intéressé que les mesures de fouilles intégrales répétées prises à son encontre étaient, dans les conditions dans lesquelles elles ont été effectuées, attentatoires à sa dignité. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les décisions instaurant les fouilles corporelles intégrales répétées sont disproportionnées et non nécessaires n'est pas fondé et doit être écarté. Toutefois, les dispositions de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dans leur version issue de la loi du 23 mars 2019 limitant le régime de fouille à une durée maximale de trois mois renouvelable après un nouvel examen de la situation de la personne détenue, les décisions du 4 avril 2019 et du 6 juin 2019 ne pouvaient légalement imposer, en l'absence de nouvel examen, l'application de ces fouilles pour une durée excédant trois mois.

12. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé l'annulation totale des décisions du directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier du 4 avril 2019 et du 6 juin 2019. Il n'est, en revanche, pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce même jugement, le tribunal a prononcé l'annulation de ces décisions en tant que les mesures de fouille qu'elles édictent excèdent une durée de trois mois.

DÉCIDE :

Article 1er : Les décisions du directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier du 4 avril 2019 et du 6 juin 2019 sont annulées en tant uniquement que leur durée excède trois mois.

Article 2 : Le jugement n° 1905125 du tribunal administratif de Grenoble du 30 septembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions du garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice ainsi qu'à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,

Mme Psilakis, première conseillère,

Mme Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2023.

La rapporteure,

C. PsilakisLa présidente,

A.Evrard

Le greffier en chef,

C. Gomez

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

2

N° 22LY03524


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03524
Date de la décision : 07/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. - Exécution des jugements. - Exécution des peines. - Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : Mme EVRARD
Rapporteur ?: Mme Christine PSILAKIS
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : GHANASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-07;22ly03524 ?
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