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07/12/2023 | FRANCE | N°22LY02410

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 07 décembre 2023, 22LY02410


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 25 juin 2022 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a assorti cette décision d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée d'un an ainsi que l'arrêté du 25 juin 2022 par lequel le préfet de l'Isère l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours.



Par jugement n° 2203

916 du 1er juillet 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 25 juin 2022 par lequel le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a assorti cette décision d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée d'un an ainsi que l'arrêté du 25 juin 2022 par lequel le préfet de l'Isère l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours.

Par jugement n° 2203916 du 1er juillet 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté, dans un article 2, sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er août 2022 et 16 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Angot, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler le jugement du 1er juillet 2022 ainsi que les arrêtés du 25 juin 2022 susvisés ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui restituer son document d'identité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il se fonde sur les mentions du fichier du traitement des antécédents judiciaires (TAJ) et qu'il n'est pas justifié de l'habilitation de l'agent l'ayant consulté sur le fondement de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale ni de l'article R. 40-28 du même code ;

- la consultation du TAJ sur le fondement de l'article R. 40-28 du code précité est illégale dès lors qu'il n'autorise la consultation du TAJ que pour les enquêtes de police judiciaire ;

- la consultation du TAJ sur le fondement de l'article R. 40-29 du code précité est également illégale dès lors qu'il n'autorise la consultation du TAJ que dans le cadre d'une demande de titre de séjour alors qu'il est ressortissant européen et non soumis à obligation de titre de séjour ;

- il n'est pas justifié de la base légale autorisant cette consultation ;

- cette consultation a eu lieu le 28 juin 2022 soit postérieurement à la décision contestée et à la garde à vue de l'intéressé ; le préfet ne pouvait légalement se fonder sur cette consultation pour édicter la décision litigieuse ;

- l'article R. 40-29 du code de procédure pénale méconnaît l'article 230-6 du même code ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne constitue pas une menace grave à un intérêt fondamental de la société ; elle n'est en outre pas motivée par une mention sur le bulletin n°2 du casier judiciaire de l'intéressé ;

- la mesure d'éloignement méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'assignation à résidence doit être annulée par voie de conséquence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2022, le préfet de l'Isère conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La demande de M. A... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle a été rejetée par décision du 16 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant roumain né en 1981, s'est vu notifier un arrêté du 25 juin 2022 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé la destination d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée d'un an ainsi qu'un arrêté du même jour par lequel le préfet de l'Isère l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours. M. A... relève appel de l'article 2 du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur les conclusions à fin d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

2. La demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... ayant été régulièrement examinée par le bureau d'aide juridictionnelle, ses conclusions portant sur une admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 40-28 du code de procédure pénale : " I. - Ont accès à la totalité ou, à raison de leurs attributions, à une partie des données mentionnées à l'article R. 40-26 pour les besoins des enquêtes judiciaires : / 1° Les agents des services de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités soit par les chefs des services territoriaux de la police nationale, soit par les chefs des services actifs à la préfecture de police ou, le cas échéant, le préfet de police, soit par les chefs des services centraux de la police nationale ou, le cas échéant, le directeur général dont ils relèvent (...). / (...)/ II. - Peuvent être destinataires des mêmes données : / 1° Les autres agents de l'Etat investis par la loi d'attributions de police judiciaire ; / 2° Les magistrats instructeurs, pour les recherches relatives aux infractions dont ils sont saisis ; / 3° Les organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire et les services de police étrangers, dans les conditions énoncées à l'article L. 235-1 du code de la sécurité intérieure. ". Aux termes de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale : " I.- Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, aux articles L. 114-1 (...) du code de la sécurité intérieure (...), les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes (...) peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : (...) / 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat ". Aux termes de l'article 230-6 du même code : " Afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale peuvent mettre en œuvre des traitements automatisés de données à caractère personnel ".

4. M. A... soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il se fonde sur les mentions du fichier du traitement des antécédents judiciaires (TAJ), que cette consultation ne pouvait être faite au regard des articles R. 40-28 ou R. 40-29 du code de procédure pénale, que cette consultation est dépourvue de base légale et qu'il n'est pas justifié de l'habilitation de l'agent l'ayant consulté sur le fondement des articles R. 40-28 et R. 40-29 du code de procédure pénale. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les informations contenues dans le TAJ concernant M. A... ont été portées à la connaissance du préfet par les services de la police judiciaire dans le cadre de l'enquête de flagrance conduite à la suite de l'interpellation de M. A... le 24 juin 2022 et au dépôt de plainte pour violences conjugales déposée par sa conjointe, Mme B..., le lendemain. La consultation du TAJ a ainsi été réalisée pour les besoins de l'enquête judiciaire par un agent de police judiciaire spécialement habilité conformément aux dispositions de l'article R. 40-28 du code de procédure pénale. Par suite, les moyens tirés de ce que la consultation du TAJ serait dépourvue de base légale et de que l'administration n'aurait pas justifié que l'agent ayant consulté le traitement des antécédents judiciaires aurait été spécialement habilité dans les conditions prévues par les dispositions précitées doivent être écartés. Il en va de même du moyen tiré de l'illégalité de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale au regard de l'article 230-6 du même code dès lors que le préfet n'a pas fait application de ces dispositions.

5. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M. A..., il ressort des mentions portées sur le procès-verbal de recherche des antécédents daté du 25 juin 2022 établi par un agent de police judiciaire, dont les mentions font foi jusqu'à preuve contraire, que le ficher de traitement des antécédents judiciaires a été consulté à cette occasion et non postérieurement à la décision contestée.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / (...) / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; (...) / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ". En application de ces dispositions, il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

7. Il ressort des termes de l'arrêté en litige que le préfet s'est fondé sur plusieurs interpellations dont a fait l'objet M. A... par les forces de l'ordre les 15 novembre 2017 pour vol à la tire, le 8 septembre 2017 pour vol simple, et le 10 septembre 2021 pour recel de bien provenant d'un vol. M. A... ne conteste pas la matérialité de ces faits, qui ne sont pas anciens, et se borne à en minimiser la gravité et soutenir qu'ils n'ont pas donné lieu à des condamnations pénales. Le préfet a également visé les faits de violences sur conjoint mentionnés par la compagne de M. A... dans son audition par les services de police le 25 juin 2022 dans laquelle elle a déposé plainte contre ce dernier. Si le requérant conteste la matérialité de ces faits, il est constant que sa compagne s'est vue délivrer une incapacité temporaire de travail de deux jours à la suite de ces faits. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la matérialité des faits évoqués est établie.

8. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France selon ses déclarations en septembre ou octobre 2021. Il a nécessairement conservé des attaches privées et familiales en Roumanie, attaches qu'il ne démontre pas avoir en France. Sa compagne, de nationalité roumaine, a déclaré vouloir regagner son pays d'origine où elle a des attaches familiales. Si M. A... a débuté une activité de récupération et de vente de ferrailles, cette activité professionnelle n'est que très récente. Elle ne lui procure par ailleurs que de faibles revenus et ne lui permet pas de disposer de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système social. Enfin, M. A... ne démontre pas avoir fourni des efforts d'intégration particuliers au sein de la société française et vit avec sa famille dans un appartement squatté dont il a forcé la porte. Dans ces conditions, et compte tenu de ce qui a été dit au point 7, le préfet a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation au regard des dispositions législatives citées au point 6, estimer que la présence de M. A... en France était de nature à constituer, du point de vue de l'ordre public, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française et prendre à son encontre une mesure d'éloignement.

9. En quatrième lieu, le requérant réitère en appel le moyen tiré de la méconnaissance par la décision susvisée des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu pour la cour d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge au point 8 de son jugement et compte tenu de ce qui a été dit au point 8 du présent arrêt.

10. En dernier lieu, M. A... n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français qui lui a été opposée, il n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté portant assignation à résidence doit être annulé par voie de conséquence.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés susvisés. Les conclusions qu'il présente aux mêmes fins en appel doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... à fin d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : La requête de M. A... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2023.

La rapporteure,

V. Rémy-NérisLe président,

F. Bourrachot

La greffière,

A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02410


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02410
Date de la décision : 07/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BOURRACHOT
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : ANGOT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-07;22ly02410 ?
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