La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/12/2023 | FRANCE | N°22DA01944

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 07 décembre 2023, 22DA01944


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :





La société à responsabilité limitée (SARL) Bio A... a demandé au tribunal administratif de Lille :



- d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2019 par lequel le maire de Steenwerck a refusé de lui accorder un permis de construire deux bâtiments pour l'exploitation d'un élevage canin ;



- d'enjoindre au maire de Steenwerck de lui délivrer le permis de construire sollicité ou, à défaut, de réinstruire sa demande.


r> Par un jugement n° 1909525 du 18 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande et les conclusions pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Bio A... a demandé au tribunal administratif de Lille :

- d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2019 par lequel le maire de Steenwerck a refusé de lui accorder un permis de construire deux bâtiments pour l'exploitation d'un élevage canin ;

- d'enjoindre au maire de Steenwerck de lui délivrer le permis de construire sollicité ou, à défaut, de réinstruire sa demande.

Par un jugement n° 1909525 du 18 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande et les conclusions présentées par la commune de Steenwerck sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 septembre 2022 et des mémoires enregistrés les 8 mars et 7 juillet 2023, la SARL Bio A..., représentée par Me Lou Deldique, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 18 juillet 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 septembre 2019 ;

3°) d'enjoindre au maire de Steenwerck de lui délivrer le permis de construire sollicité ou, à défaut, de réinstruire sa demande ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Steenwerck la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le jugement a accueilli la substitution de motifs demandée par la commune, alors que d'une part, en application de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme, la décision refusant une autorisation d'urbanisme doit indiquer l'intégralité des motifs la justifiant, d'autre part, le motif de refus à substituer n'est pas justifié ;

- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'un détournement de pouvoir ;

- il est entaché d'une erreur de droit dans la mesure où le maire ne peut régulièrement lui opposer l'existence d'un précédent permis de construire sans lien avec le projet litigieux ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation au regard de la nécessité d'une présence humaine permanente sur le site d'élevage canin.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 mai et 20 juin 2023, la commune de Steenwerck, représentée par Me Didier Cattoir, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la société Bio A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 juillet 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l'élevage, à la garde et à la détention des animaux ;

- l'arrêté ministériel du 3 avril 2014 fixant les règles sanitaires et de protection animale

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

- et les observations de Me Lou Deldique, représentant la SARL Bio A..., et de Me Henry-François Cattoir, représentant la commune de Steenwerck.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Bio A..., dont M. C... A... est le gérant, exerce une activité d'élevage et de commercialisation de poulets sur le territoire de la commune de Steenwerck et a obtenu à cette fin en novembre 2018 un permis de construire deux poulaillers sur les parcelles YH 46, YH 47 et YH 66. Le 10 mai 2019, la société a déposé une demande de permis de construire en vue de l'édification de deux bâtiments pour l'exploitation d'un élevage canin, incluant un logement de fonction sur les mêmes parcelles. Par un arrêté du 5 septembre 2019, le maire de Steenwerck a refusé de délivrer le permis sollicité. La SARL Bio A... a alors saisi le tribunal administratif, qui, par un jugement du 18 juillet 2022, a rejeté sa demande. Par la présente requête, la société interjette appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité compétente se prononce par arrêté sur la demande de permis ou, en cas d'opposition ou de prescriptions, sur la déclaration préalable (...). ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le maire ne pouvait légalement fonder sa décision de refus sur l'absence de nécessité de construire un nouveau logement en raison de l'existence d'une habitation et d'un logement au sein de l'exploitation agricole située sur une partie des parcelles d'assiette du projet d'élevage canin, dans la mesure où ce logement avait été construit sur le fondement d'un permis de construire accordé en 2014 à une tierce personne, M. B... A..., oncle de M. C... A..., sans lien avec le projet porté par ce dernier. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le refus de permis était entaché d'une erreur de droit.

En ce qui concerne la substitution de motifs demandée par la commune :

4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

5. D'une part, aux termes de l'article L. 424-3 du même code : " Lorsque la décision rejette la demande ou s'oppose à la déclaration préalable, elle doit être motivée. Cette motivation doit indiquer l'intégralité des motifs justifiant la décision de rejet (...) ".

6. L'obligation d'une motivation intégrale des décisions de refus d'autorisation d'urbanisme prévue par l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme précité a pour objet, aux termes des travaux parlementaires préparatoires, de lutter contre les refus d'autorisation qui présenteraient un caractère dilatoire et de permettre au juge d'ordonner directement la délivrance du permis s'il est saisi de conclusions en ce sens, après avoir eu connaissance de l'ensemble des motifs de refus. Ces dispositions, qui ne posent pas de règle contentieuse, n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que l'administration puisse faire usage devant le juge, et dans les conditions précédemment rappelées, d'une demande de substitution de motifs, dans l'hypothèse où les motifs qu'elle aurait opposés seraient tous sérieusement contestés. Par suite, la SARL Bio A... n'est pas fondée à soutenir qu'en application des dispositions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme, aucun autre motif ne peut lui être régulièrement opposé dans le cadre des instances juridictionnelles qu'elle a introduites pour contester la décision attaquée. Il y a lieu, par suite, d'examiner la légalité du motif dont la substitution est demandée par la commune, dans les conditions rappelées au point 4.

7. D'autre part, aux termes de l'article A 1 du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal de la communauté de communes Monts de Flandre Plaine de la Lys, dans sa rédaction alors applicable : " Dans toute la zone : sont interdits tous les modes d'occupation et d'utilisation des sols, à l'exception de ceux prévus à l'article A2 (...) ". Aux termes de l'article A 2 : " Sont admis dans la zone à l'exception du périmètre indicé (i) et sous réserve de ne pas porter atteinte au caractère agricole de la zone et à l'intérêt du site : (...) - Les constructions à usage d'habitation indispensable au fonctionnement de l'activité agricole à condition d'être implantées à moins de 100 mètres d'un des bâtiments de l'exploitation principale de l'exploitation, sauf contraintes techniques justifiées (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier que l'élevage de chiens " de pure race " envisagé par la SARL Bio A..., qui constitue une activité agricole pour l'application du PLUi précité, est prévu pour accueillir simultanément un maximum de 21 chiens. La présence de femelles et de mâles reproducteurs ainsi que de chiots non sevrés exige une surveillance et des soins quotidiens, en particulier lors des périodes de mises bas, d'allaitement et de sevrage, afin de réduire les risques de mortalité animale. Si une présence humaine continue et permanente n'est pas exigée par les dispositions des annexes de l'arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l'élevage, à la garde et à la détention des animaux et de l'arrêté ministériel du 3 avril 2014 fixant les règles sanitaires et de protection animale auxquelles doivent satisfaire les activités liées aux animaux de compagnie d'espèces domestiques, elle apparaît, en l'espèce, indispensable au fonctionnement de l'activité pour laquelle le recours à deux salariés, éleveur et dresseur, est prévu. La localisation du siège social de la société appelante à 1,2 km du terrain d'assiette du projet, soit à deux minutes en voiture, ne saurait présenter les mêmes garanties de disponibilité et de réactivité du personnel qu'un logement faisant partie intégrante de l'exploitation pour se situer à l'étage du local professionnel, lui-même relié par un couloir au bâtiment d'élevage. Dès lors, le motif opposé par la commune en première instance et réitéré en appel, tiré de ce que l'élevage canin ne nécessite pas de manière indispensable la construction d'un logement pour faire fonctionner l'exploitation agricole et de ce que cette construction ne peut par suite être autorisée sans méconnaître les dispositions des articles A1 et A2 du règlement du PLUi de la communauté de communes Monts de Flandre-Plaine de la Lys, n'est pas de nature à justifier légalement le refus contesté.

8. Il résulte de ce qui précède que la demande de substitution de motifs présentée par la commune ne peut être admise et que l'arrêté du 5 septembre 2019 par lequel le maire de Steenwerck a refusé de délivrer à la SARL Bio A... un permis de construire demeure entaché d'erreur de droit. Par suite, la société est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas fait droit à sa demande d'annulation de cet arrêté et à demander l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Lille du 18 juillet 2022.

9. En application des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens, présentés également par la société appelante, n'est susceptible d'entraîner l'annulation de l'arrêté.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Aux termes de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire. "

11. Lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non-opposition. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard aux dispositions de l'article L. 600-2 citées au point précédent demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle.

12. En l'espèce, le présent arrêt censure le motif que la commune de Steenwerck a demandé au juge de substituer à celui, entaché d'erreur de droit, retenu dans son arrêté initial. Il ne résulte pas de l'instruction qu'un autre motif serait susceptible de justifier le refus de permis de construire, ni qu'un changement de circonstances serait intervenu, à l'instar de l'adoption du nouveau PLUi, et ferait obstacle à la délivrance de ce permis. Par suite, la SARL Bio A... est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas fait droit à ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au maire de Steenwerck de lui délivrer le permis de construire demandé le 10 mai 2019.

13. Il résulte de ce qui précède que la SARL Bio A... est fondée à demander que la cour enjoigne au maire de Steenwerck de lui délivrer le permis de construire demandé le 10 mai 2019 dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les conclusions présentées par la commune de Steenwerck qui est partie perdante à l'instance, présentées en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

15. Il y a, en revanche, lieu de faire droit aux conclusions présentées par la SARL Bio A... sur ce même fondement et de mettre à la charge de la commune la somme de 2 000 euros à lui verser.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lille du 18 juillet 2022 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 5 septembre 2019 par lequel le maire de Steenwerck a refusé de délivrer à la SARL Bio A... le permis de construire un élevage canin et un logement de fonction est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au maire de Steenwerck de délivrer à la SARL Bio A... le permis de construire demandé le 10 mai 2019 dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : La commune de Steenwerck versera à la SARL Bio A... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Steenwerck en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Bio A... et à la commune de Steenwerck.

Délibéré après l'audience publique du 23 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2023.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°22DA01944 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01944
Date de la décision : 07/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CATTOIR

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-07;22da01944 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award