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05/12/2023 | FRANCE | N°23MA01462

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 05 décembre 2023, 23MA01462


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision du 15 janvier 2021 par laquelle le président-directeur général du centre national de la recherche scientifique (CNRS) a prononcé sa radiation pour abandon de poste, ensemble la décision du 8 février 2021 rejetant son recours gracieux contre cette mesure, d'autre part, d'enjoindre au CNRS, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration du délai d'un mois suivant le

jugement à intervenir, de la réintégrer à compter du 15 janvier 2021 avec reconstitu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision du 15 janvier 2021 par laquelle le président-directeur général du centre national de la recherche scientifique (CNRS) a prononcé sa radiation pour abandon de poste, ensemble la décision du 8 février 2021 rejetant son recours gracieux contre cette mesure, d'autre part, d'enjoindre au CNRS, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration du délai d'un mois suivant le jugement à intervenir, de la réintégrer à compter du 15 janvier 2021 avec reconstitution de ses droits sociaux et de sa carrière, et versement de ses salaires depuis le 13 janvier 2021 et, enfin, de mettre à la charge du CNRS la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2101724 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande et a mis à sa charge la somme de 750 euros au titre des frais exposés par le CNRS et non compris dans les dépens.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 juin et 8 septembre 2023, Mme B..., représenté par Me Michel de la SELARL Noûs, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 4 mai 2023 ;

2°) d'annuler ces décisions du 15 janvier et du 8 février 2021 ;

3°) d'enjoindre au CNRS, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d'un mois suivant l'arrêt à intervenir, de procéder à sa réintégration à compter du 15 janvier 2021 et à la reconstitution de ses droits sociaux et de sa carrière, et de lui verser ses salaires depuis le 13 janvier 2021 ;

4°) de mettre à la charge du CNRS la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la mesure de radiation des cadres a été prise par une autorité incompétente, dès lors que le CNRS ne justifie pas l'absence ou l'empêchement des agents en principe compétents pour signer cette décision, la charge de la preuve de ce point ne pouvant peser sur la requérante ;

- cette décision n'est pas suffisamment motivée, faute de préciser les raisons pour lesquelles son employeur a estimé que son lien avec le service avait été rompu malgré son placement en congé de maladie ;

- la radiation est intervenue au terme d'une procédure irrégulière, dès lors que la mise en demeure de reprendre son poste, du 21 janvier 2021, ne permettait ni une information préalable et suffisante de l'agent, ni que celui-ci puisse effectivement donner des explications sur son impossibilité d'y déférer, compte tenu du délai dont elle était assortie et de l'absence de signification régulière de cette mise en demeure ;

- la radiation litigieuse est entachée d'une erreur de droit puisque l'affectation qu'il lui était demandée de regagner a été annulée de manière définitive par le même tribunal et que cette affectation n'était en tout état de cause pas compatible avec son état de santé ;

- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation, ses absences n'ayant pour origine que son état de santé imputable au service, et constitue une sanction déguisée compte tenu notamment de ses modalités procédurales d'adoption.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2023, le CNRS, représenté par la société d'avocats Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de son auteur la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 8 septembre 2023 la clôture d'instruction a été fixée au 25 septembre 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure civile ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Michel, représentant Mme B... et de Me Cathelineau, de la SCP Meier-Bourdeau Lecuyer et associés, représentant le CNRS.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 15 janvier 2021, le président-directeur général du CNRS a prononcé la radiation des cadres de Mme B... pour abandon de poste, à compter de cette même date. Par un jugement du 4 mai 2023, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, ensemble la décision du 8 février 2021 rejetant son recours gracieux contre cette mesure, et à ce qu'il soit enjoint au CNRS de la réintégrer à compter du 15 septembre 2021 avec reconstitution de ses droits sociaux et de sa carrière, et versement de ses salaires depuis le 13 janvier 2021.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié, qu'il appartient à l'administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé, l'informant du risque qu'il encourt d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Lorsque l'agent ne s'est pas présenté et n'a fait connaître à l'administration aucune intention avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé.

3. Par ailleurs, aux termes de l'article 651 du code de procédure civile : " Les actes sont portés à la connaissance des intéressés par la notification qui leur en est faite. / La notification faite par acte d'huissier de justice est une signification. / La notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l'aurait prévue sous une autre forme ". En application de l'article 654 du même code : " La signification doit être faite à personne (...) ". En application de l'article 655 de ce code : " Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence. (...) / L'huissier de justice doit laisser, (...) au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l'avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l'acte, le nom du requérant (...) ". Selon l'article 656 du même code : " Si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Dans ce cas, l'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à l'étude de l'huissier de justice, contre récépissé ou émargement, par l'intéressé ou par toute personne spécialement mandatée. / La copie de l'acte est conservée à l'étude pendant trois mois. Passé ce délai, l'huissier de justice en est déchargé (...) ". Enfin, selon le premier alinéa de l'article 664-1 de ce code : " La date de la signification d'un acte d'huissier de justice (...) est celle du jour où elle est faite à personne, à domicile, à résidence (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 3 qu'en cas de signification par voie d'huissier, la circonstance que le destinataire d'une mise en demeure de rejoindre son poste soit absent ne saurait faire obstacle à ce que celle-ci produise ses effets dès lors que l'avis, conformément à l'article 656 du code de procédure civile, mentionne la nature de l'acte et le fait qu'une copie doit en être retirée dans le plus bref délai.

5. S'il résulte de l'acte dénommé " signification de lettre ", établi le 13 janvier 2021 par l'huissier de justice mandaté par le CNRS, que la mise en demeure de reprendre son poste le 15 janvier 2021 à 9 heures a été présentée à l'adresse de Mme B..., il ressort du document intitulé " avis de passage " que cet huissier, constatant l'absence de l'intéressée et ayant vérifié l'exactitude de son adresse, n'a pas remis la copie de l'acte à une autre personne, mais a déposé dans la boîte aux lettres de l'agent un avis de passage, qui ne mentionne pas la nature de l'acte ainsi notifié en méconnaissance de l'article 655 du code de procédure civile, cité au point 3. Il est certes constant que le courrier du 14 janvier 2021 adressé par l'huissier de justice par lettre simple, informant Mme B... de son passage, comprenait l'acte d'huissier du 13 janvier 2021, dont la lettre de mise en demeure du 13 janvier 2021, ainsi que le prévoit l'article 658 du code de procédure civile. Mais, en l'absence d'un avis de passage comportant toutes les mentions requises par l'article 655 de ce code, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier, notamment pas des mentions de l'acte d'huissier du 13 janvier 2021 selon lesquelles la lettre simple prévue à l'article 658 du code a été adressée dans les délais légaux, même appréciées conjointement avec la date figurant sur le courrier du 14 janvier 2021, que ce pli aurait été porté à la connaissance de Mme B... avant la prise d'effet de sa radiation des cadres, le 15 janvier 2021. Ainsi, l'intéressée, qui affirme n'avoir reçu cette lettre simple que le 21 janvier 2021, est fondée à soutenir que, préalablement à sa radiation des cadres prononcée pour abandon de poste, elle n'a pas été mise en demeure de rejoindre son poste dans un délai approprié et qu'elle a été de la sorte privée effectivement de la garantie attachée à cette information préalable. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, cette décision doit être annulée pour ce motif, ensemble la décision du 8 février 2021 rejetant le recours gracieux de Mme B... contre cette décision, et qu'il doit en aller de même du jugement attaqué.

Sur l'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".

7. Le présent arrêt, qui annule la décision radiant Mme B... des cadres du CNRS, implique nécessairement la réintégration de l'intéressée avec son affectation sur un poste correspondant à son grade, la reconstitution de sa carrière ainsi que de ses droits sociaux, dont ses droits à pension, à compter de la date de son éviction illégale. En revanche, et en l'absence de service fait, cette annulation n'implique pas un rappel des traitements dont Mme B... a été privée depuis sa radiation des cadres illégale. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au président-directeur général du CNRS de procéder à cette réintégration et à cette reconstitution de carrière, à compter du 15 janvier 2021, date de prise d'effet de la mesure d'éviction illégale, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Au cas d'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette d'injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

9. Les dispositions précitées font obstacle à qu'une somme soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par le CNRS et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre à la charge du CNRS la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La décision du 15 janvier 2021 par laquelle le président-directeur général du CNRS a radié des cadres Mme B... à compter de cette même date, la décision du 8 février 2021 rejetant son recours gracieux contre cette décision, et le jugement n° 2101724 rendu le 4 mai 2023 par le tribunal administratif de Marseille, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au président-directeur général du CNRS de réintégrer Mme B... dans ses cadres, avec son affectation sur un poste correspondant à son grade, et de reconstituer sa carrière ainsi que ses droits sociaux, dont ses droits à pension, à compter du 15 janvier 2021.

Article 3 : Le CNRS versera la somme de 2 000 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme B..., et les conclusions présentées par le CNRS sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au centre national de la recherche scientifique.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2023.

N° 23MA014622


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01462
Date de la décision : 05/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-10-04 Fonctionnaires et agents publics. - Cessation de fonctions. - Abandon de poste.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : SELARL NOUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-05;23ma01462 ?
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