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05/12/2023 | FRANCE | N°22MA02426

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 05 décembre 2023, 22MA02426


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler la décision du 4 août 2020 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial au profit de son épouse, Mme B... C... épouse A..., d'autre part, d'enjoindre audit préfet de délivrer à cette dernière un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en applica

tion des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler la décision du 4 août 2020 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial au profit de son épouse, Mme B... C... épouse A..., d'autre part, d'enjoindre audit préfet de délivrer à cette dernière un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2004063 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2022, M. A..., représenté par Me Guez Guez, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 30 juin 2022 ;

2°) d'annuler cette décision du préfet des Alpes-Maritimes du 4 août 2020 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à son épouse un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préfet des Alpes-Maritimes a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et il a entaché sa décision contestée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- le représentant de l'Etat a également méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

De nouvelles pièces ont été produites, le 27 février 2023, pour M. A..., par Me Guez Guez, et n'ont pas été communiquées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2023, le préfet des Alpes-Maritimes conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 20 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 mai 2023, à 12 heures.

Des pièces complémentaires ont été produites, les 13 et 14 novembre 2023, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, par Me Guez Guez, pour M. A..., et elles n'ont pas été communiquées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- et les observations de Me Abdellaoui, substituant Me Guez Guez, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Né le 1er avril 1978 et de nationalité marocaine, M. A... a déposé une demande de regroupement familial en faveur de son épouse, Mme B... C... épouse A..., le 30 mars 2017 et il l'a complétée les 20 février et 2 juillet suivants. Par une décision du 11 septembre 2018, le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de faire droit à cette demande. Mais, par un jugement n° 1805250 du 10 juin 2020, le tribunal administratif de Nice a annulé cette décision et a enjoint audit préfet de réexaminer cette demande de regroupement familial. En exécution de ce jugement, devenu définitif, le représentant de l'Etat a procédé à un réexamen à l'issue duquel il a, par une décision du 4 août 2020, de nouveau, refusé de faire droit à celle-ci. Par la présente requête, M. A... relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision préfectorale du 4 août 2020.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. " Selon l'article L. 411-6 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Peut être exclu du regroupement familial : / (...) 3° Un membre de la famille résidant en France. " L'article R. 411-6 dudit code précise, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le bénéfice du regroupement familial ne peut être refusé à un ou plusieurs membres de la famille résidant sur le territoire français dans le cas où l'étranger qui réside régulièrement en France dans les conditions prévues aux articles R. 411-1 et R. 411-2 contracte mariage avec une personne de nationalité étrangère régulièrement autorisée à séjourner sur le territoire national sous couvert d'une carte de séjour temporaire d'une durée de validité d'un an. Le bénéfice du droit au regroupement familial est alors accordé sans recours à la procédure d'introduction. Peuvent en bénéficier le conjoint et, le cas échéant, les enfants de moins de dix-huit ans de celui-ci résidant en France, sauf si l'un des motifs de refus ou d'exclusion mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-5 leur est opposé. ".

3. D'autre part, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

4. Il est constant qu'à la date à laquelle M. A... a présenté une demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse, celle-ci résidait en France. Elle pouvait ainsi se voir refuser le bénéfice du regroupement familial en application des dispositions précitées de l'article L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Cependant, si, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises notamment, comme en l'espèce, en cas de présence anticipée sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande, il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Or, il ressort des pièces du dossier que, titulaire, en dernier lieu, d'une carte de séjour pluriannuelle délivrée le 27 septembre 2019 et valable jusqu'au 26 septembre 2023, M. A... soutient, sans être contesté sur ces points par le préfet des Alpes-Maritimes, séjourner sans discontinuité et régulièrement sur le territoire français, en compagnie de son épouse et de leurs deux enfants, depuis le 1er août 2016, date à laquelle ils ont quitté l'Italie, pays dans lequel ils vivaient déjà ensemble depuis le mois d'octobre 2009 et où son épouse a donné naissance à leurs deux enfants. Alors qu'il n'est pas contesté qu'il remplit les conditions de logement et de ressources requises pour obtenir le regroupement familial, il ressort en outre des pièces du dossier que M. A... a d'abord exercé, en France, un emploi en contrat à durée indéterminée jusqu'au 14 mars 2017 et qu'il s'est vu octroyer un autre emploi en contrat à durée indéterminée à temps complet depuis le 2 octobre 2017. Enfin, ses deux enfants sont scolarisés en France depuis l'arrivée de la famille dans ce pays. Dans ces conditions, et alors même que, comme le fait valoir le préfet des Alpes-Maritimes, l'épouse de M. A... ne saurait se prévaloir des dispositions de l'article R. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige, en prenant la décision contestée du 4 août 2020, le représentant de l'Etat a porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 4 août 2020 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial au profit de son épouse. Il y a donc lieu d'annuler tant ce jugement que cette décision.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ".

9. Eu égard au motif d'annulation retenu, et en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle et résultant de l'instruction, l'annulation de la décision du 4 août 2020 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté la demande de regroupement familial présentée par M. A... au bénéfice de son épouse implique nécessairement la délivrance à cette dernière d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'ordonner la délivrance de ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat qui est, dans la présence instance, la partie perdante, le versement à M. A... de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2004063 du tribunal administratif de Nice du 30 juin 2022 et la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 4 août 2020 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à Mme B... C... épouse A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nice.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2023.

2

No 22MA02426

ot


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02426
Date de la décision : 05/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

35-03 Famille. - Regroupement familial (voir : Etrangers).


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : GUEZ GUEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-05;22ma02426 ?
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