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05/12/2023 | FRANCE | N°22MA01917

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 05 décembre 2023, 22MA01917


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 6 juillet 2022 et les 24 février et 28 septembre 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Sodiluc, représentée par Me Bouyssou, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :



1°) d'annuler l'arrêté du 12 mai 2022 par lequel le maire du Muy a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, en vue du changement de destination du bâtiment existant sur les parcelles cadastrée section AA no

s 72 et 152, sises zone d'activité de la Ferrière II, au lieu-dit A..., sur le territo...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 6 juillet 2022 et les 24 février et 28 septembre 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Sodiluc, représentée par Me Bouyssou, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 12 mai 2022 par lequel le maire du Muy a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, en vue du changement de destination du bâtiment existant sur les parcelles cadastrée section AA nos 72 et 152, sises zone d'activité de la Ferrière II, au lieu-dit A..., sur le territoire de la commune du Muy, et la création d'un point permanent de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l'accès en automobile, exploité sous l'enseigne " E. Leclerc Drive " ;

2°) d'enjoindre, par application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer sa demande, d'une part, à la Commission nationale d'aménagement commercial, et dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et, d'autre part, au maire du Muy, et dans un délai de six mois suivant cette même notification ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la recevabilité :

- l'arrêté contesté du maire du Muy du 12 mai 2022 lui fait grief ;

- elle a introduit son recours dans le délai de deux mois suivant la notification de cet arrêté ;

Sur le fond :

- en méconnaissance des dispositions de l'article R. 752-35 du code de commerce, il ne ressort pas de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial que ses membres aient été régulièrement convoqués, ni qu'ils aient reçu l'ensemble des documents visés par ces mêmes dispositions, dans le délai prévu ;

- le premier considérant de l'avis émis, le 24 février 2022, par la Commission nationale d'aménagement commercial ne constitue pas un motif de refus ; dans l'hypothèse où la Cour devait considérer qu'il s'agit d'un motif distinct des considérants suivants, ce motif est en tout état de cause infondé ;

- en tant qu'elle reproche à son dossier de ne pas comporter suffisamment de modifications par rapport à son premier projet, l'analyse de la Commission nationale d'aménagement commercial est erronée en fait et témoigne d'une dénaturation des pièces du dossier ;

- son projet répond aux critères légaux fixés par le code de commerce :

. ce projet n'est pas incompatible avec les politiques menées en faveur du commerce de proximité ;

. les mesures de réduction de l'imperméabilisation sont suffisantes ;

. le fait que le parking soit imperméable ne justifie pas le refus qui lui a été opposé et l'aménagement d'une place supplémentaire de parking a été dicté par les besoins de stationnement du personnel et le respect des règles du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune du Muy ;

. son projet est de nature à répondre aux besoins de la population, par l'apport d'une offre qui n'existe pas jusqu'à présent sur la zone ;

. son projet n'impactera pas la tortue d'Hermann et il n'y avait donc pas lieu d'envisager à cet égard des mesures de compensation.

Par des mémoires, enregistrés les 21 novembre 2022 et 9 février 2023, la commune du Muy, représentée par Me Barbaro, conclut à l'annulation de l'arrêté de son maire du 12 mai 2022 et à ce qu'il soit enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial de réexaminer la demande présentée par la SAS Sodiluc, dans un délai de quatre mois à compter de l'arrêt à intervenir.

Elle soutient qu'en raison de l'avis défavorable émis par la Commission nationale d'aménagement commercial, son maire était en situation de compétence liée pour refuser le permis de construire sollicité par la SAS Sodiluc et elle conteste les motifs retenus par cette commission dans son avis du 24 février 2022.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 janvier et 11 avril 2023, la société par actions simplifiée (SAS) PACA Distribution, représentée par Me Renaux, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SAS Sodiluc au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- son intervention en défense est recevable ;

- les critiques développées dans la requête relatives au fait que la Commission nationale d'aménagement commercial a relevé que le projet porté par la SAS Sodiluc n'avait pas été véritablement modifié sont inopérantes alors que cette commission n'a pas rejeté la demande présentée par la SAS Sodiluc sur le fondement de l'article L. 752-21 du code de commerce et qu'elle a examiné ce projet ;

- les moyens de cette requête ne sont pas fondés et la localisation de ce projet présente une difficulté au regard des objectifs et des critères visés par l'article L. 752-6 du code de commerce.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Distribution Casino France, représentée par Me Bolleau, conclut à ce que son intervention soit déclarée recevable, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SAS Sodiluc au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- conformément aux dispositions de l'article R. 632-1 du code de justice administrative, son intervention volontaire est recevable alors qu'elle dispose d'un intérêt à voir l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial maintenu ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés et il apparaît en outre que le projet porté par la SAS Sodiluc se situe dans une zone de protection de la tortue d'Hermann, sans que cette société n'ait proposé de mesures de compensation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2023, la présidente de la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- elle souhaite intervenir, par application de l'article R. 632-1 du code de justice administrative, dans la présente instance ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- en outre, le site n'est toujours pas accessible par une piste cyclable et, s'agissant de l'insertion paysagère et architecturale du projet, l'ensemble est disproportionné par rapport à son environnement proche qui est constitué par des espaces agricoles, naturels et des maisons individuelles.

La procédure a été communiquée à la société en nom collectif (SNC) Lidl et à la société à responsabilité limitée (SARL) Marence qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ;

- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bouyssou, représentant la SAS Sodiluc, de Me Crotte, substituant Me Barbaro, représentant la commune du Muy, de Me de Cirugeda, substituant Me Renaux, représentant la SAS PACA Distribution, et de Me Girard, substituant Me Bolleau, représentant la SAS Distribution Casino France.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Sodiluc a déposé, le 19 juillet 2021, un dossier de demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, en vue du changement de destination du bâtiment existant sur les parcelles cadastrée section AA nos 72 et 152, sises zone d'activité de la Ferrière II, au lieu-dit A..., sur le territoire de la commune du Muy, et la création d'un point permanent de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l'accès en automobile, exploité sous l'enseigne " E. Leclerc Drive ". Le 30 septembre 2021, la commission départementale d'aménagement commercial du Var a tacitement émis un avis favorable à ce projet. Mais cet avis a été contesté devant la Commission nationale d'aménagement commercial par les sociétés Distribution Casino France, PACA Distribution, Lidl et Marence. Le 24 février 2022, la Commission nationale d'aménagement commercial a rendu un avis défavorable à ce projet. La SAS Sodiluc demande à la Cour d'annuler l'arrêté du 12 mai 2022 par lequel le maire du Muy a, en conséquence, refusé de lui délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale qu'elle avait ainsi sollicité.

Sur l'intervention de la commune du Muy :

2. La commune du Muy, sur le territoire de laquelle se situe le terrain d'assiette du projet portée par la SAS Sodiluc et qui est favorable à la réalisation de ce projet, justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêté attaqué du 12 mai 2022 en tant qu'il se prononce sur l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée. Par suite, son intervention à l'appui de la requête formée par la SAS Sodiluc doit être admise.

Sur les " interventions " de la Commission nationale d'aménagement commercial, et des SAS Distribution Casino France et PACA Distribution :

3. D'une part, il résulte de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme et des articles L. 752-17 et R. 751-8 du code de commerce que l'Etat a la qualité de partie au litige devant une cour administrative d'appel, saisie en premier et dernier ressort d'un recours pour excès de pouvoir, formé par l'une des personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du code de commerce, tendant à l'annulation de la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire en tant qu'elle concerne l'autorisation d'exploitation commerciale. En vertu des articles L. 752-17 et R. 751-8 du code de commerce, le président de la Commission nationale d'aménagement commercial a qualité pour représenter l'Etat devant les juridictions administratives dans ces litiges (Conseil d'Etat, 22 novembre 2021, nos 441118, 442107, B).

4. D'autre part, la personne qui, en application de l'article L. 752-17 du code de commerce, saisit la Commission nationale d'aménagement commercial d'un recours administratif préalable obligatoire contestant l'avis favorable délivré par la commission départementale sur un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale, a la qualité de partie en défense à l'instance devant la cour administrative d'appel en ce qu'elle concerne la décision du maire en tant qu'elle refuse l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée (Conseil d'Etat, 3 juillet 2020, n° 420346, B).

5. Il s'ensuit que la Commission nationale d'aménagement commercial et les SAS Distribution Casino France et PACA Distribution ont la qualité de partie à l'instance et leurs prétendues interventions doivent donc être regardées comme des mémoires en défense.

Sur la légalité de l'arrêté du maire du Muy du 12 mai 2022 :

6. A l'appui de sa requête, la SAS Sodiluc excipe de l'illégalité de l'avis défavorable émis le 24 février 2022 par la Commission nationale d'aménagement commercial.

7. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; / f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l'article L. 229-25 du code de l'environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; / d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs. / II.- A titre accessoire, la commission peut prendre en considération la contribution du projet en matière sociale. / III. - La commission se prononce au vu d'une analyse d'impact du projet, produite par le demandeur à l'appui de sa demande d'autorisation. Réalisée par un organisme indépendant habilité par le représentant de l'Etat dans le département, cette analyse évalue les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre, ainsi que sur l'emploi, en s'appuyant notamment sur l'évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. / IV. - Le demandeur d'une autorisation d'exploitation commerciale doit démontrer, dans l'analyse d'impact mentionnée au III, qu'aucune friche existante en centre-ville ne permet l'accueil du projet envisagé. En l'absence d'une telle friche, il doit démontrer qu'aucune friche existante en périphérie ne permet l'accueil du projet envisagé. / V. - L'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être délivrée pour une implantation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols, au sens du neuvième alinéa de l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme. / Toutefois, une autorisation d'exploitation commerciale peut être délivrée si le pétitionnaire démontre, à l'appui de l'analyse d'impact mentionnée au III du présent article, que son projet s'insère en continuité avec les espaces urbanisés dans un secteur au type d'urbanisation adéquat, qu'il répond aux besoins du territoire et qu'il obéit à l'un des critères suivants : / 1° L'insertion de ce projet, tel que défini à l'article L. 752-1, dans le secteur d'intervention d'une opération de revitalisation de territoire ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ; / 2° L'insertion du projet dans une opération d'aménagement au sein d'un espace déjà urbanisé, afin de favoriser notamment la mixité fonctionnelle du secteur concerné ; / 3° La compensation par la transformation d'un sol artificialisé en sol non artificialisé, au sens de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 101-2-1 du code de l'urbanisme ; / 4° L'insertion au sein d'un secteur d'implantation périphérique ou d'une centralité urbaine identifiés dans le document d'orientation et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale entré en vigueur avant la publication de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ou au sein d'une zone d'activité commerciale délimitée dans le règlement du plan local d'urbanisme intercommunal entré en vigueur avant la publication de la même loi. / Les deuxième à sixième alinéas du présent V sont applicables uniquement aux projets ayant pour objet : / a) La création d'un magasin de commerce de détail ou d'un ensemble commercial d'une surface de vente inférieure à 10 000 mètres carrés ; / b) L'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail ou d'un ensemble commercial dès lors que la surface de vente totale dudit magasin ou ensemble commercial reste inférieure à 10 000 mètres carrés ; / c) L'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail ou d'un ensemble commercial ayant déjà atteint le seuil des 10 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet, dans la limite d'une seule extension par magasin ou ensemble commercial et sous réserve que l'extension de la surface de vente soit inférieure à 1 000 mètres carrés. / Pour tout projet d'une surface de vente supérieure à 3 000 mètres carrés et inférieure à 10 000 mètres carrés, la dérogation n'est accordée qu'après avis conforme du représentant de l'Etat. (...) ".

8. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la compatibilité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

9. Par ailleurs, les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce, par la loi susvisée du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.

En ce qui concerne les motifs de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial rendu le 24 février 2022 :

10. Il ressort des pièces du dossier que le projet porté par la SAS Sodiluc consiste en la création d'un point permanent de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l'accès en automobile, composé de six pistes de ravitaillement, avec 258 m² d'emprise au sol, sur les parcelles cadastrée section AA nos 72 et 152 d'une superficie de 11 040 m², situées à la bordure Ouest du territoire communal muyois, au sein de la zone d'activité Les Ferrières II. Ce projet a vocation à prendre place sur un terrain initialement occupé par un bâtiment industriel qui a été réhabilité et qui est actuellement utilisé pour l'entreposage de produits alimentaires et non alimentaires.

S'agissant de l'objectif d'aménagement du territoire :

11. En premier lieu, si, dans son avis litigieux du 24 février 2022, la Commission nationale d'aménagement commercial a précisé que le projet porté par la SAS Sodiluc s'implanterait sur un terrain initialement occupé par un bâtiment industriel en friche, servant anciennement d'entrepôt à une carrosserie de 3 373 m², au sein de la zone d'activités de la Ferrière II, en périphérie de la commune du Muy, à 3,2 kilomètres du centre-ville et à distance des quartiers d'habitation, ces précisions sont apportées dans une optique de présentation du contexte de ce projet. Contrairement à ce que fait valoir la SAS PACA Distribution, elles ne constituent pas un motif de cet avis tenant à la localisation dudit projet et à son intégration urbaine.

12. En second lieu, alors qu'il n'est pas contesté que la commune du Muy connaît un taux de vacance commerciale de l'ordre de moins de 10 %, les circonstances relevées par la Commission nationale d'aménagement commercial, dans son avis litigieux du 24 février 2022, que tant cette commune du Muy que la commune limitrophe des Arcs font partie du programme " Petite Ville de Demain ", que la commune du Muy a bénéficié d'une subvention de 147 560 d'euros, en 2017, au titre du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC), que la communauté d'agglomération Dracénie-Provence-Verdon a obtenu une aide financière de l'Etat d'un montant de plus de 326 000 valable jusqu'en 2021 et que la commune de Draguignan, située à quinze kilomètres, fait l'objet d'une opération de revitalisation du territoire, ne suffisent pas, à elles seules, à établir, comme elle l'a estimé, que le projet porté par la SAS Sodiluc " n'est (...) pas compatible avec les politiques menées en faveur des commerces de proximité " et " ne contribuera pas à l'animation de la vie urbaine du centre-ville ". En effet, il ressort des pièces du dossier que ce projet vise à répondre à une offre différente pour les consommateurs que celle présentée par les commerces de proximité situés dans les centres-villes alentours. Alors que ces derniers ont essentiellement vocation à répondre aux besoins quotidiens des consommateurs, ce projet permettrait d'implanter le premier point permanent de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l'accès en automobile, sur le territoire de la commune du Muy, en s'inscrivant dans la dynamique démographique de ce territoire et l'augmentation de la zone de chalandise. Ce projet entend ainsi répondre à un besoin croissant d' " e-commerce ", dans une offre s'inscrivant dans un parcours hebdomadaire avec des achats volumineux ou encombrants. Si la SAS PACA Distribution fait valoir, à cet égard, que de nombreux " drives " sont déjà exploités dans la zone de chalandise, il est précisé, dans l'analyse d'impact rédigée en avril 2021 par la SARL Viallon Conseil, que seulement deux " véritables " points permanents de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique, organisés pour l'accès en automobile, sont implantés dans cette zone de chalandise, laquelle ne comprend au demeurant pas le territoire de la commune de Draguignan, les supermarchés du secteur prévoyant seulement un service de retrait des marchandises en magasin après les avoir commandées sur Internet, dit " click and collect ". En tout état de cause, la Commission nationale d'aménagement commercial n'a pas retenu ce point comme un motif de son avis défavorable litigieux du 24 février 2022. En outre, situé à plus de trois kilomètres du centre-ville, le terrain d'assiette est classé, dans le plan local d'urbanisme (PLU) de la commune du Muy en zone 6AU qui correspond à la partie du territoire communal située au Sud de la RD 1555 et au Nord de la RDN7, sur le site de Repentence-Collet Redon, et qui a vocation à s'urbaniser, sous réserve d'une modification ou d'une révision de ce document d'urbanisme, à destination d'activités économiques. Par ailleurs, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la commune du Muy présente l'offre commerciale de commerces de plus de 300 m² la plus faible de la zone de chalandise, la réalisation du projet litigieux permettrait de limiter une évasion commerciale importante vers les pôles commerciaux de la commune limitrophe des Arcs ou celles de Trans-en-Provence et de Draguignan. Il n'est ainsi pas établi que ce projet, eu égard à sa nature, à son ampleur, et à son intégration dans une zone d'activité, au sein d'une zone de chalandise elle-même en croissance démographique, porterait atteinte à l'animation de la vie urbaine notamment dans le centre des communes du Muy, des Arcs ou de Draguignan. Dans son avis favorable émis sur la première version du projet porté par la SAS Sodiluc, en vue de la réunion de la Commission nationale d'aménagement commercial qui s'est tenue le 1er octobre 2020, le ministre chargé de l'urbanisme observait même que ce projet " contribue à la préservation du tissu commercial du centre-ville ". Par suite, la Commission nationale d'aménagement commercial a entaché son avis d'une erreur d'appréciation.

S'agissant de l'effet du projet en matière de développement durable :

13. Ainsi qu'il a été déjà dit, il ressort des pièces du dossier qu'un bâtiment à usage d'entrepôt est déjà implanté sur le terrain d'assiette du projet porté par la SAS Sodiluc et il est en l'état largement artificialisé. Il ressort des mêmes pièces que la réalisation de ce projet, situé dans une zone d'activité classée en zone 6AU, dans le PLU de la commune du Muy, permettrait une augmentation de 714 m² des espaces verts, avec quarante-cinq arbres plantés, soit un total de cinquante-six arbres. La surface des espaces verts serait ainsi portée à 2 358 m². Dans son avis, le ministre chargé de l'urbanisme observe que ce projet n'est pas consommateur d'espaces supplémentaires et qu'il est qualitatif sur le volet environnemental. Par ailleurs, au regard des trente personnes employées, dont vingt-et-une seront présentes simultanément sur le site, et au regard des dispositions pertinentes du PLU, il ressort des pièces du dossier que vingt-deux places de stationnement seront réalisées, dont deux réservées aux personnes à mobilité réduite (PMR) avec deux emplacements motos et cinq vélos. La seule circonstance qu'il n'y a pas d'emplacements de stationnement perméables ne suffit pas pour considérer que le projet compromet la réalisation de l'objectif de développement durable fixé par la loi. Enfin, il n'apparaît pas, au vu des pièces versées aux débats qu'en prévoyant l'aménagement d'une place de stationnement supplémentaire, le projet ne contribuerait pas la " compacité " du parc de stationnement. Il s'ensuit que la Commission nationale d'aménagement commercial a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de commerce, s'agissant de l'effet du projet en matière de développement durable.

14. Il suit de là que la Commission nationale d'aménagement commercial en estimant, par les motifs qu'elle a retenus, que le projet porté par la SAS Sodiluc serait de nature à compromettre les objectifs fixés à l'article L. 752-6 du code de commerce, a entaché d'illégalité son avis.

En ce qui concerne les demandes de substitution de motifs :

S'agissant de la demande de la Commission nationale d'aménagement commercial :

15. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué (Conseil d'Etat, Section, 6 février 2004, n° 240560, A).

16. A cet égard, la Commission nationale d'aménagement commercial fait tout d'abord valoir que le site dans lequel est implanté le terrain d'assiette n'est pas accessible par une piste cyclable. Toutefois, en premier lieu, eu égard à la nature de ce projet, l'absence de piste cyclable n'est pas un élément suffisant pour justifier un refus d'autorisation et établir qu'il ne répondrait pas aux critères en matière de transports et d'accessibilité du d) du 1° du I et au a) du 3° du I de l'article L. 752-6 du code de commerce en matière de transports et d'accessibilité.

17. La Commission nationale d'aménagement commercial reprend ensuite la teneur des tableaux annexés aux deux avis émis par le ministre chargé de l'urbanisme et affirme, sans autre précision, que " l'ensemble est disproportionné par rapport à son environnement proche, constitué par des espaces agricoles, naturels et des maisons individuelles. " Cependant, ainsi qu'il a été déjà dit, le projet porté par la SAS Sodiluc consiste à réaliser un point de retrait en lieu et place d'un entrepôt avec, s'agissant de la zone d'accueil du public au Nord-Ouest du bâtiment existant, la mise en place d'un auvent créant une extension en façade, dans une zone destinée à accueillir des activités économiques et il n'est ni établi, ni même allégué que les secteurs avoisinants feraient l'objet d'une quelconque protection. Par son aspect et ses dimensions, la construction ainsi projetée ne sera pas en rupture avec les autres constructions du secteur. Par suite, le projet litigieux permet une insertion paysagère et architecturale satisfaisante.

18. Il s'ensuit que la demande de substitution de motifs sollicitée par la Commission nationale d'aménagement commercial ne peut pas être accueillie.

S'agissant des demandes des SAS PACA Distribution et Distribution Casino France :

19. Si, par leurs argumentations respectives, les SAS PACA Distribution et Distribution Casino France peuvent être regardées comme demandant que les motifs tenant à l'insuffisance des modifications apportées au projet litigieux par rapport à sa version antérieure qui avait fait l'objet d'un avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial émis le 1er octobre 2020, à sa localisation, à son intégration urbaine, à la circonstance, déjà évoquée au point 12 ci-dessus du présent arrêt, que la zone de chalandise inclurait de nombreux " drives " et à l'absence de mesures de compensation alors que le terrain d'assiette se situerait dans une zone de protection de la tortue d'Hermann, soient ajoutés aux motifs contenus dans l'avis du 24 février 2022 et, le cas échéant, substitués à ceux erronés, il n'y a pas lieu de procéder à une telle substitution qui ne peut être demandée au juge de l'excès de pouvoir que par l'administration, auteur de la décision attaquée (Conseil d'Etat, 5 février 2014, n° 367815, B).

20. Il résulte de ce qui précède que l'intégralité des motifs de l'avis rendu par la Commission nationale d'aménagement commercial ayant été invalidés et sa demande de substitution de motifs ayant été rejetée, la SAS Sodiluc est fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué du maire du Muy du 12 mai 2022. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens invoqués par la société requérante n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder cette annulation.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

21. En vertu des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative, le juge administratif peut, s'il annule la décision prise par l'autorité administrative sur une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et en fonction des motifs qui fondent cette annulation, prononcer une injonction tant à l'égard de l'autorité administrative compétente pour se prononcer sur la demande de permis qu'à l'égard de la Commission nationale d'aménagement commercial. La circonstance qu'elle soit chargée par l'article R. 752-36 du code de commerce d'instruire les recours dont elle est saisie ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif lui enjoigne, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre une mesure dans un sens déterminé si les motifs de la décision juridictionnelle l'impliquent nécessairement. Toutefois, l'annulation de la décision rejetant une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sur le fondement d'un avis défavorable rendu par la Commission nationale d'aménagement commercial n'implique, en principe, qu'un réexamen du projet par cette commission. Il n'en va autrement que lorsque les motifs de l'annulation impliquent nécessairement la délivrance d'un avis favorable (Conseil d'Etat, 22 novembre 2021, nos 441118, 442107, B).

22. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, dans ses avis des 1er octobre 2020 et 24 février 2022, la Commission nationale d'aménagement commercial ne s'est pas prononcée sur tous les critères d'évaluation des trois objectifs énoncés par l'article L. 752-6 du code de commerce. Par conséquent, il y a seulement lieu d'enjoindre, d'une part, à la Commission nationale d'aménagement commercial d'émettre, dans le respect des motifs du présent arrêt, un nouvel avis sur le projet porté par la SAS Sodiluc, dans un délai qu'il convient de fixer à

deux mois à compter de la notification de cet arrêt et, d'autre part, au maire du Muy de réexaminer la demande de permis de construire présentée par cette même société, dans un délai de deux mois suivant la réception de l'avis qui sera ainsi rendu par la commission.

Sur les frais liés au litige :

23. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

24. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise à ce titre à la charge de la SAS Sodiluc, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Par suite, les conclusions présentées à cette fin par les SAS PACA Distribution et Distribution Casino France doivent être rejetées.

25. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, et sur le fondement de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la SAS Sodiluc.

D É C I D E :

Article 1er : L'intervention de la commune du Muy est admise.

Article 2 : L'arrêté du 12 mai 2022 par lequel le maire du Muy a refusé de délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sollicité par la SAS Sodiluc dans sa demande déposée le 19 juillet 2021 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial d'émettre,

dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et en tenant compte des motifs de ce même arrêt, un nouvel avis sur le projet porté par la SAS Sodiluc tendant à la réalisation d'un point de retrait de marchandises par accès automobiles, sous l'enseigne " E. Leclerc Drive ", sur les parcelles cadastrée section AA nos 72 et 152, sises zone d'activité de la Ferrière II, au lieu-dit A..., au Muy.

Article 4 : Il est enjoint au maire du Muy de réexaminer, dans un délai de deux mois suivant la réception de l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial mentionné à l'article 3 du présent arrêt, la demande de permis de construire présentée par la SAS Sodiluc.

Article 5 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à la SAS Sodiluc au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions des SAS PACA Distribution et Distribution Casino France tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée (SAS) Sodiluc, à la commune du Muy, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la présidente de la Commission nationale d'aménagement commercial, à la société par actions simplifiée (SAS) PACA Distribution et à la société par actions simplifiée (SAS) Distribution Casino France, à la société en nom collectif (SNC) Lidl et à la société à responsabilité limitée (SARL) Marence.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2023.

2

No 22MA01917


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01917
Date de la décision : 05/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-04-043 Urbanisme et aménagement du territoire. - Autorisations d`utilisation des sols diverses. - Autorisation d`exploitation commerciale (voir : Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : SELARL ALTIUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-05;22ma01917 ?
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