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01/12/2023 | FRANCE | N°22NT03273

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 01 décembre 2023, 22NT03273


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 décembre 2019 par laquelle le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique lui a retiré son agrément d'assistante maternelle et d'enjoindre au département de la Loire-Atlantique de rétablir son agrément ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.



Par

un jugement n° 2001011 du 26 août 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 19...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 décembre 2019 par laquelle le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique lui a retiré son agrément d'assistante maternelle et d'enjoindre au département de la Loire-Atlantique de rétablir son agrément ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 2001011 du 26 août 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 19 décembre 2019 du président du conseil départemental de la Loire-Atlantique (article 1er), a enjoint au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de procéder au réexamen de la situation de Mme A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement (article 2), a mis à la charge du département de la Loire-Atlantique une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3) et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme A... (article 4).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 octobre 2022, et un mémoire, enregistré le 27 février 2023 qui n'a pas été communiqué, le département de la Loire-Atlantique, représenté par Me Plateaux, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 août 2022 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en raison d'une contradiction dans ses motifs ;

- la décision du 19 décembre 2019 n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que le motif retenu pour justifier le retrait d'agrément, à savoir l'existence d'un incident le 21 septembre 2018 ayant entrainé une blessure grave à un enfant, est matériellement établi ;

- à titre subsidiaire, la décision contestée pourrait être justifiée par un autre motif tiré de ce que Mme A... a commis un défaut de surveillance ou tiré de ce que Mme A... ne devait pas déléguer l'accueil des enfants dont elle a la garde à des tiers, en l'occurrence son beau-fils, ou tiré de la méconnaissance de l'article R. 421-40 du code de l'action sociale et des familles dès lors que Mme A... a reconnu que le jeune enfant pleurait de manière anormale le 21 septembre 2018 mais qu'elle n'a pas respecté l'obligation de signalement de ces pleurs ;

- aucun des autres moyens soulevés en première instance n'était de nature à fonder l'annulation de la décision contestée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 9 novembre 2022 et 9 février 2023, Mme A... conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que soit mise à la charge du département de la Loire-Atlantique la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le département de la Loire-Atlantique ne sont pas fondés.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

de Mme Picquet,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de. Me Plateaux pour le département de la Loire-Atlantique et de Me Deniau pour Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... A... épouse B... est assistante maternelle depuis 2012. Elle bénéficiait, en 2019, d'un agrément pour l'accueil de trois enfants de 0 à 10 ans et d'un enfant de 2 à 10 ans. Le 21 septembre 2018, a été constatée par le service des urgences pédiatriques du centre hospitalier universitaire de Nantes une fracture du tibia sur un enfant âgé de 11 mois, le jeune C..., amené par ses parents aux alentours de 19 heures et accueilli en journée jusqu'à 17 heures par l'intéressée dans le cadre de cet agrément. À la suite de cet incident, par courrier du 4 octobre 2018, le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique a informé Mme A... de la suspension à titre conservatoire de son agrément à compter du 6 octobre 2018. Elle a été convoquée devant la commission consultative paritaire départementale tenue le 8 janvier 2019, laquelle a invité le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique à modifier l'agrément de l'intéressée pour lui permettre l'accueil de deux enfants de 0 à 10 ans et d'un enfant de 2 à 10 ans. Mme A... a en outre été entendue à deux reprises, les 27 décembre 2018 et 26 septembre 2019, dans le cadre d'une enquête pénale ouverte à son encontre, qui a finalement été classée sans suite. Mme A... a enfin été convoquée une nouvelle fois devant la commission consultative paritaire départementale le 10 décembre 2019. Par une décision du 19 décembre 2019, le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique a décidé de retirer à l'intéressée son agrément en qualité d'assistante maternelle. Par un jugement du 26 août 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de retrait d'agrément du 19 décembre 2019, a enjoint au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de procéder au réexamen de la situation de Mme A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge du département de la Loire-Atlantique une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme A.... Le département de la Loire-Atlantique fait appel de ce jugement. La demande de sursis à exécution de ce jugement formée par le département de la Loire-Atlantique a été rejetée par un arrêt de la cour du 20 janvier 2023.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si le département de la Loire-Atlantique soutient que le jugement attaqué est irrégulier en raison d'une contradiction de motifs, qui serait de nature à révéler une insuffisance de motivation, les premiers juges ayant annulé la décision litigieuse pour erreur d'appréciation, tout en enjoignant à l'administration de réexaminer la demande de Mme A..., la contradiction de motifs alléguée affecte le bien-fondé d'une décision juridictionnelle et non sa régularité. En tout état de cause, il n'y a pas de contradiction entre l'annulation du retrait d'agrément d'assistante maternelle prononcée par les premiers juges et leur injonction au président du conseil départemental de réexamen de la situation de Mme A... dès lors que la durée de l'agrément dont Mme A... bénéficiait était expirée à la date à laquelle le jugement attaqué a été rendu public.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel (...) est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. (...) / L'agrément est accordé (...) si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. (...) " et le 1° de l'article R. 421-3 du même code précise que pour obtenir cet agrément, le candidat doit : " Présenter les garanties nécessaires pour accueillir des mineurs dans des conditions propres à assurer leur développement physique, intellectuel et affectif ". Aux termes des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 421-6 du même code : " Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. (...) / Toute décision de retrait de l'agrément (...) doit être dûment motivée (...) ". L'article R. 421-40 de ce code prévoit que : " L'assistant maternel employé par un particulier est tenu de déclarer sans délai au président du conseil départemental tout décès ou tout accident grave survenu à un mineur qui lui est confié. (...) " et l'article R. 421-26 prévoit que : " Un manquement grave ou des manquements répétés aux obligations de déclaration et de notification prévues aux articles R. 421-38, R. 421-39, R. 421-40 et R. 421-41 ainsi que des dépassements du nombre d'enfants mentionnés dans l'agrément et ne répondant pas aux conditions prévues par l'article R. 421-17 peuvent justifier, après avertissement, un retrait d'agrément. ".

4. D'une part, il résulte de ces dispositions qu'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil chez l'assistant maternel garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément de l'assistant maternel si ces conditions ne sont plus remplies. A cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant, de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est exposé à de tels comportements ou risque de l'être. Par ailleurs, si la légalité d'une décision doit être appréciée à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de tenir compte, le cas échéant, d'éléments factuels antérieurs à cette date mais révélés postérieurement.

5. D'autre part, il résulte des termes mêmes de l'article R. 421-26 du code de l'action sociale et des familles qu'un manquement aux obligations de déclaration et de notification incombant à un assistant maternel agréé, notamment l'obligation de déclarer sans délai au président du conseil départemental tout accident grave survenu à un mineur qui lui est confié, ne peut justifier un retrait d'agrément qu'après un avertissement et à la condition qu'il soit grave ou répété.

6. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressée disposait d'un agrément depuis six ans sans avoir jamais fait l'objet d'observations sur son comportement personnel ou ses aptitudes professionnelles et que les garanties de sécurité, de santé ou d'épanouissement des enfants accueillis apportées par les conditions d'accueil des enfants qui lui étaient confiés n'avaient jamais été mises en cause. Elle avait d'ailleurs gardé le frère aîné du jeune C... pendant deux ans sans qu'aucun problème ne soit signalé. Mme A... produit également de nombreuses attestations des parents des enfants qu'elle gardait et aucune des trois autres familles des enfants gardés à l'époque des faits litigieux n'a souhaité mettre fin à cette garde par Mme A.... En outre, cette dernière conteste le fait que la blessure du jeune C... soit intervenue à son domicile. Si le département se prévaut d'un courriel du 26 septembre 2019 émanant de la vice-procureur du tribunal judiciaire de Nantes, indiquant que le dossier a été classé sans suite pour défaut d'auteur mais que " l'enquête a permis de déterminer qu'il ne s'agissait pas d'un accident et que ces faits avaient bien eu lieu au domicile de cette assistante maternelle ", cet élément n'est pas confirmé par les pièces du dossier et ne suffit pas à lui seul à établir que les faits en cause ont eu lieu chez Mme A.... Si l'enfant C... a pleuré lors de la journée du 21 septembre 2018, en particulier l'après-midi, lorsqu'il était sur un tapis d'éveil puis au moment du change vers 16h20, ce n'est que par intermittence et sans hurler et il n'est pas établi qu'il pleurait lorsque sa mère est venue le chercher le soir vers 16h50. Il est constant qu'il ne présentait aucun hématome ou égratignure. Il ne parait pas plausible que la grave blessure en cause ait eu lieu en sortant l'enfant de sa chaise haute, au vu des caractéristiques de cette dernière, légère et en plastique, chez Mme A.... Il en est de même d'un accident avec un cheval à bascule dès lors que l'enfant, lorsqu'il a pleuré à un moment de l'après-midi, était sur le ventre sur un tapis au sol et ne savait ni ramper en avant, ni se déplacer à quatre pattes ni se mettre debout seul. Si la mère du jeune C... a indiqué que ce dernier avait hurlé lorsqu'elle l'avait mis dans son siège auto, en partant de chez Mme A..., il est constant qu'elle n'est pas revenue, à ce moment-là, chez l'assistante maternelle pour obtenir des explications sur l'état de l'enfant. Au vu de l'ensemble de ces éléments, et alors même que l'enfant a été emmené au service des urgences de l'hôpital dès 19h, il n'est pas établi que la fracture du tibia subie par le jeune C... ait eu lieu au domicile de Mme A..., lorsqu'elle le gardait le 21 septembre 2018 entre 8h30 et 16h50, un accident ayant pu survenir après le départ de ce domicile. Dans ces conditions, Mme A... est fondée à soutenir qu'en retenant ce motif pour lui retirer son agrément, le président du conseil départemental a commis une erreur d'appréciation.

7. Le département de la Loire-Atlantique sollicite une substitution de motif, tiré de ce que Mme A... a commis un défaut de surveillance en laissant le jeune C..., sans surveillance au rez-de-chaussée, alors qu'elle était à l'étage en train de changer un autre enfant. Cependant, pour regrettable qu'elle soit comme l'a reconnu Mme A..., cette circonstance ne suffit pas à justifier le retrait de l'agrément en cause, dès lors qu'il est constant que l'enfant se trouvait sur un tapis au sol, ne sachant ni ramper en avant, ni se déplacer à quatre pattes ni se mettre debout seul et pouvait donc être regardé comme étant dans une position sécurisée. Le département de la Loire-Atlantique sollicite une seconde substitution de motif, tiré de ce que Mme A... n'a pas respecté son obligation d'information préalable et personnelle, en cas d'incident. Toutefois, aucun avertissement n'a été donné à Mme A..., alors que ce dernier est requis préalablement au retrait de l'agrément, comme indiqué au point 5. De plus, il n'est pas établi que les pleurs de C... au domicile de Mme A... le 21 septembre 2018 aient été d'une intensité et d'une fréquence telles qu'elle aurait dû les signaler. Enfin, si le département sollicite une troisième substitution de motif, tiré de ce que Mme A... ne devait pas déléguer l'accueil à des tiers, en l'occurrence son beau-fils âgé de dix-huit au moment des faits, qui avait donné son goûter à un autre enfant gardé par sa belle-mère, ce motif ne suffit pas à justifier le retrait de l'agrément en cause, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... ne resterait pas à proximité et que ce jeune homme participerait régulièrement aux soins donnés aux enfants.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le département de la Loire-Atlantique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 19 décembre 2019 du président du conseil départemental de la Loire-Atlantique retirant l'agrément d'assistante maternelle dont bénéficiait Mme A....

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée à ce titre par le département de la Loire-Atlantique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés en appel par Mme A... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête du département de la Loire-Atlantique est rejetée.

Article 2 : Le département de la Loire-Atlantique versera à Mme A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Loire-Atlantique et à Mme D... A... épouse B....

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2023.

La rapporteure

P. Picquet

Le président

L. LainéLe greffier

C. Wolf

La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03273


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03273
Date de la décision : 01/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : SELARL CADRAJURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-01;22nt03273 ?
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