La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/11/2023 | FRANCE | N°23NC01894

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 30 novembre 2023, 23NC01894


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités espagnoles, responsables de sa demande d'asile.



Par un jugement no 2203578 du 21 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 13 juin 2023, Mme A....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités espagnoles, responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement no 2203578 du 21 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, d'autre part, rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 juin 2023, Mme A..., représentée par Me Kipffer, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement du 21 décembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 3 013 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de transfert est entachée de défaut d'examen au regard des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors qu'une attestation de demande d'asile a été délivrée le 9 septembre 2022 à sa fille mineure

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable, en l'absence de motivation distincte de la demande de première instance ;

- les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Par une lettre du 2 novembre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir paraissait susceptible d'impliquer le prononcé d'office d'une injonction tendant à ce que la préfète du Bas-Rhin procède au réexamen de la situation de Mme A....

Par un mémoire, enregistré le 2 novembre 2023, la préfète du Bas-Rhin a présenté des observations en réponse à ce moyen d'ordre public.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 22 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brodier, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante ivoirienne née en 2003, est entrée irrégulièrement sur le territoire français afin d'y solliciter l'asile. La consultation du fichier Eurodac ayant fait apparaitre que ses empreintes avaient été relevées le 9 juin 2022 par les autorités espagnoles, et ces mêmes autorités ayant explicitement accepté de la prendre en charge, la préfète du Bas-Rhin a, par un arrêté du 7 novembre 2022, ordonné le transfert de l'intéressée aux autorités espagnoles, responsables de sa demande d'asile. Mme A... relève appel du jugement du 21 décembre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète du Bas-Rhin :

2. Il ressort de ses termes mêmes que la requête d'appel, qui contient l'énoncé de conclusions tendant à l'annulation du jugement rendu le 21 décembre 2022 par le premier juge ainsi que de plusieurs moyens, est suffisamment motivée. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la préfète du Bas-Rhin ne peut qu'être écartée.

Sur la légalité de la décision de transfert aux autorités espagnoles :

3. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée sur le territoire français en compagnie de sa fille mineure, née le 17 janvier 2020. Il ressort également des pièces du dossier que l'enfant, alors âgé de deux ans et demi, s'est vu délivrer par le préfet de l'Essonne le 9 septembre 2022, une attestation de demande en " procédure normale " tandis que la requérante s'est vu remettre une attestation de demande d'asile " procédure Dublin " le 4 octobre 2022. Il n'est pas contesté qu'à la date à laquelle la préfète du Bas-Rhin a décidé de ne pas déclarer la France compétente de l'examen de la demande d'asile de Mme A... et d'ordonner son transfert aux autorités espagnoles, la demande d'asile de l'enfant était toujours en cours d'examen devant l'OFPRA, si bien que la décision en litige emportait comme conséquence d'imposer une séparation entre la mère et son enfant sauf à faire renoncer l'enfant à son droit de voir sa demande d'asile examinée et le cas échéant accueillie. La circonstance que la demande d'asile de la fille de la requérante a finalement été rejetée par une décision du 8 décembre 2022 est postérieure à la décision de transfert en litige et par conséquent sans incidence sur l'appréciation de sa légalité à la date à laquelle elle a été adoptée. Par suite, Mme A... est fondée à soutenir qu'en ne se déclarant pas responsable de l'examen de sa demande d'asile, la préfète du Bas-Rhin a porté atteinte à l'intérêt supérieur de son enfant et méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

5. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy a, à l'article 2 du jugement attaqué, rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 novembre 2022.

Sur l'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 572-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre VII. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".

7. Le présent arrêt implique nécessairement que la préfète du Bas-Rhin réexamine la situation de Mme A.... Il y a lieu de prescrire à la préfète d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais de l'instance :

8. Mme A... ayant été admise à l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Kippfer, sous réserve de sa renonciation au versement de la part contributive de l'Etat à l'aide juridique, de la somme de 1 500 euros au titre des frais que Mme A... aurait exposés dans la présente instance si elle n'avait pas été admise à l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2203578 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nancy du 21 décembre 2022 est annulé.

Article 2 : L'arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 7 novembre 2022 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de Mme A..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Kippfer, sous réserve de sa renonciation au versement de la part contributive de l'Etat à l'aide juridique, la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Kipffer et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Martinez, président,

- M. Agnel, président-assesseur,

- Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023.

La rapporteure,

Signé : H. BrodierLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

No 23NC01894


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01894
Date de la décision : 30/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : KIPFFER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-30;23nc01894 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award