Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 2 février 2023 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités allemandes.
Par un jugement no 2300434 du 24 février 2023, la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Dubois, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros hors taxe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué méconnaît les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet du Nord n'a pas pris en compte la protection internationale accordée à son frère, en méconnaissance de l'article 9 du même règlement ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 de ce règlement ;
- le préfet du Nord a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté en litige méconnaît l'article 3 de la même convention.
Le préfet du Nord a communiqué des pièces, enregistrées le 25 mai 2023, mais n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante rwandaise née le 13 janvier 1986 à Nyamasheke (Rwanda), a déclaré être entrée irrégulièrement sur le territoire français le 27 novembre 2022. Elle a déposé le 5 janvier 2023 une demande d'admission au séjour au titre de l'asile. Toutefois, la consultation par l'administration du fichier " Visabio " a révélé que l'intéressée était entrée sur le territoire français sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités allemandes le 12 juillet 2022. Par un arrêté du 2 février 2023, le préfet du Nord a prononcé le transfert de Mme B... aux autorités allemandes. Mme B... relève appel du jugement du 24 février 2023 par lequel la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
En ce qui concerne les articles 4 et 5 du règlement du 26 juin 2013 :
2. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel (...) ".
3. Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu de l'entretien individuel mené le 5 janvier 2023, que Mme B... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dans les locaux de la préfecture de l'Oise et en langue française qu'elle a déclaré comprendre, selon des modalités permettant le respect de la confidentialité.
5. En deuxième lieu, l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener l'entretien au sens des dispositions citées au point précédent, ainsi qu'il ressort des mentions en ce sens non contestées portées sur le compte-rendu de l'entretien.
6. En troisième lieu, le préfet du Nord établit, par la production de la première page des brochures communes signée par l'intéressée, lui avoir remis les deux brochures d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " ainsi que le guide du demandeur d'asile, en langue française, langue qu'elle a déclaré comprendre.
7. En quatrième lieu, lors de l'entretien individuel du 5 janvier 2023, Mme B... a pu vérifier que les informations la concernant étaient exactes, notamment celles relatives aux conditions d'entrée et de séjour en France de ses deux frères.
8. En cinquième lieu, Mme B... a disposé d'un délai raisonnable pour présenter des observations, avant le 2 février 2023, date à laquelle le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités allemandes.
9. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision de transfert a été prise en violation des dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
En ce qui concerne l'article 9 du règlement du 26 juin 2013 :
10. Aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit ".
11. Mme B... ne peut utilement soutenir que le préfet du Nord a méconnu les dispositions de l'article 9 du règlement (UE) n° 604/2013 en se prévalant de la reconnaissance du statut de réfugié à son frère qui réside en France, dès lors que les membres d'une fratrie ne relèvent pas de la définition des " membres de la famille " telle qu'elle résulte du g) de l'article 2 du même règlement.
En ce qui concerne l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 :
12. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / (...) ".
13. La faculté laissée à chaque Etat membre par cet article de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
14. Mme B... soutient que de nombreux membres de sa famille résident en France, dont en particulier, ses deux frères, l'un ayant acquis la nationalité française et l'autre étant titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle.
15. Toutefois, la requérante n'établit pas la réalité du lien de parenté ainsi invoqué par la seule production de la copie de son acte de naissance dont, au demeurant, l'authenticité ne peut pas être regardée comme certaine. Par ailleurs, à supposer même le lien de parenté allégué réel, Mme B... a vécu séparée de l'un de ses frères depuis 2010 et de l'autre depuis 2016, époque à laquelle ces derniers sont entrés sur le territoire français.
16. Enfin, si la requérante a pu participer à diverses activités organisées par un centre d'accueil pour demandeurs d'asiles, cette circonstance n'est pas de nature à caractériser une intégration particulière alors que l'arrivée de Mme B... sur le territoire français, fin novembre 2022, est particulièrement récente.
17. Dans ces conditions, le préfet du Nord, en ne mettant pas en œuvre la procédure dérogatoire prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement (UE) n° 64/2013 du 26 juin 2013, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
S'agissant de l'article 8 :
18. Pour les mêmes motifs que ceux évoqués ci-dessus, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
S'agissant de l'article 3 :
19. Mme B... soutient qu'en cas de transfert vers l'Allemagne, elle risque d'être éloignée, par ricochet, vers son pays d'origine où elle encourt des risques de traitements inhumains et dégradants contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
20. Toutefois, l'intéressée ne soutient ni n'établit, d'une part, qu'elle ferait l'objet d'une mesure d'éloignement prononcée par les autorités allemandes, et d'autre part, qu'il existerait des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Allemagne de telle sorte qu'elle serait dans l'impossibilité de présenter une demande d'asile dans ce pays.
21. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
22. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 février 2023. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera transmise au préfet du Nord et à Me Dubois.
Délibéré après l'audience publique du 16 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : B. BaillardLe président de chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°23DA00574
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