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30/11/2023 | FRANCE | N°21NC01765

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 30 novembre 2023, 21NC01765


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à leur verser une somme de 136 309,50 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant selon eux du retard fautif des services fiscaux à leur remettre un justificatif nécessaire à la restitution d'une imposition prélevée par l'administration Suisse.



Par un jugement n° 1909479 du 20 avril 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a reje

té cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 18 j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à leur verser une somme de 136 309,50 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant selon eux du retard fautif des services fiscaux à leur remettre un justificatif nécessaire à la restitution d'une imposition prélevée par l'administration Suisse.

Par un jugement n° 1909479 du 20 avril 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 juin 2021 et un mémoire enregistré le 18 février 2022, M. et Mme A..., représentés par Me Hahn-Rollet, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 136 309,50 euros à titre de dommages et intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- en attendant trois ans pour leur remettre le formulaire 83 nécessaire à la restitution de l'impôt prélevé à la source par la Suisse sur les dividendes de source suisse perçus au cours des années 2009, 2010 et 2011, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ce que ce retard fautif les a empêchés de présenter en temps utile leur demande de restitution auprès des autorités suisses lesquelles l'ont rejetée comme tardive par une décision du 2 décembre 2016 devenue définitive ; l'administration française ayant conscience du délai de forclusion prévu par le droit suisse pour demander la restitution, le retard anormal mis à traiter leur demande est bien fautif ; contrairement à ce que soutient l'administration ce retard n'est pas dû à la complexité de leur dossier et pas davantage à une faute ou un défaut de coopération de leur part ;

- le retard fautif de l'Etat est la seule cause de leur préjudice dès lors que le formulaire 83 est indispensable au traitement de la demande de restitution par les autorités suisses et c'est à tort que le jugement a estimé qu'ils auraient pu présenter leur demande de restitution dans les délais sans ce formulaire.

Par un mémoire enregistré le 28 janvier 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que l'action en indemnité n'est pas recevable en tant que le préjudice allégué ne résulte que du seul paiement de l'impôt et aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Agnel ;

- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A..., dont le foyer fiscal est résident de France, ont perçu au titre des bénéfices des années 2008, 2009 et 2010 des dividendes versés au cours des années 2009, 2010 et 2011 par la société suisse SIS Medical AG. Ayant été assujettis à l'impôt sur le revenu en Suisse à raison de ces revenus, ils ont demandé à l'administration fiscale française de viser le formulaire 83 établi par l'administration fiscale helvétique de nature à leur permettre d'obtenir le remboursement de la fraction de l'impôt anticipé suisse excédant la retenue à la source stipulée par la convention fiscale franco-suisse. Estimant que l'administration avait tardé à leur renvoyer ce formulaire, ce qui avait occasionné le rejet définitif pour forclusion de leur demande de restitution par l'administration fiscale suisse, les époux A... ont saisi le ministre de l'économie des finances et de la relance, le 9 septembre 2019, d'une demande indemnitaire laquelle a été implicitement rejetée. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 20 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser des dommages et intérêts.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article 11 de la convention fiscale franco-suisse : " 1. Les dividendes provenant d'un Etat contractant et payés à un résident de l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. 2. a) Les dividendes visés au paragraphe 1 sont aussi imposables dans l'Etat contractant d'où ils proviennent, et selon la législation de cet Etat, mais si le bénéficiaire effectif des dividendes est un résident de l'autre Etat contractant, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 15 % du montant brut des dividendes. ". Aux termes de l'article 31 de cette même convention : " 1. Les autorités compétentes des Etats contractants déterminent les modalités d'application de la présente convention. Elles s'entendront en particulier sur la procédure de dégrèvement prévue aux art. 11 à 14. 2. Pour obtenir dans un Etat contractant les avantages prévus par la présente convention, les résidents de l'autre Etat contractant doivent, à moins que les autorités compétentes en disposent autrement, présenter un formulaire d'attestation de résidence indiquant en particulier la nature ainsi que le montant ou la valeur des revenus ou de la fortune concernés, et comportant la certification des services fiscaux de cet autre Etat ".

3. Afin d'obtenir le remboursement de la fraction de l'impôt anticipé suisse perçu en excédent des taux prévus par les stipulations ci-dessus reproduites de la convention franco-suisse ci-dessus visée, le bénéficiaire des dividendes de sources suisses résident de France, est tenu d'adresser à l'administration fiscale suisse une demande établie sur un formulaire modèle 83, lequel doit au préalable être visé par l'administration fiscale française, ce visa comportant les indications prévues par les stipulations de l'article 31 de la convention fiscale. La demande est ensuite traitée par l'administration fédérale suisse des contributions selon les règles de procédure propres au droit interne suisse, reposant sur la loi fédérale du 13 octobre 1965 sur l'impôt anticipé, et en particulier sur son article 32, relatif au délai de réclamation, la demande devant parvenir au service dans les trois ans qui suivent l'expiration de l'année civile au cours de laquelle les revenus ont été imposés en Suisse.

4. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. L'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.

5. Aucune stipulation de la convention fiscale franco-suisse ni aucune disposition légale ou réglementaire ne précise le délai dans lequel l'administration fiscale doit remplir et communiquer le formulaire modèle 83 à un contribuable pour lui permettre de bénéficier des dispositions de l'article 11 de la convention fiscale franco-suisse. L'administration fiscale est toutefois tenue, en vertu de cette convention fiscale et du principe de bonne administration, d'instruire, renseigner et transmettre le formulaire modèle 83 au contribuable qui en a fait la demande. A cet égard, dès lors qu'elle est parfaitement informée du délai de forclusion des demandes de restitution de l'impôt anticipé prévu par le droit suisse, l'administration fiscale est tenue de satisfaire à ses obligations dans un délai raisonnable.

6. Il résulte de l'instruction que les époux A... ont remis à l'administration fiscale française le formulaire modèle 83 le 8 octobre 2012 et les services fiscaux le leur ont retourné visé et certifié le 24 novembre 2015. Les époux A... ont alors saisi le service des contributions fédérales le 16 mars 2016 d'une demande de restitution de l'impôt anticipé versé à raison des dividendes encaissés au cours des années 2009, 2010 et 2011. Par décision du 2 décembre 2016, devenue définitive à la suite du rejet des recours exercés contre elle, l'administration des contributions fédérales a rejeté cette demande en raison de son caractère tardif.

7. Il résulte de l'instruction que si le formulaire 83 produit par les requérants mentionnait que les dividendes perçus concernaient les années 2008, 2009 et 2010, cette indication concernait le millésime du bénéfice social ayant donné lieu à des distributions au cours des années 2009, 2010 et 2011. Il en résulte qu'il n'existait aucune confusion possible en ce qui concerne l'année de perception de ces dividendes par les époux A..., ainsi qu'il ressortait de leurs déclarations rectificatives en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, qui aurait été de nature à faire obstacle à l'instruction de la demande de visa. Si le traitement de l'ensemble de la situation fiscale des époux A... a pu être marqué par une certaine complexité, compte tenu de leur réclamation concernant les traitements et salaires et la déclaration tardive de leurs dividendes de source suisse, cette circonstance ne saurait être regardée comme ayant été de nature à faire obstacle à l'instruction de la demande de visa du formulaire 83. Il résulte de ce qui précède que les époux A... sont fondés à soutenir qu'en leur retournant le formulaire 83 visé le 24 novembre 2015, les services fiscaux n'ont pas traité leur demande dans un délai raisonnable au sens des principes rappelés au point 5 ci-dessus.

8. Il résulte, toutefois, de l'instruction que, contrairement à ce qu'ils soutiennent, les époux A... n'ont pas déclaré dans les délais les dividendes qu'ils ont perçus de la société SIG Medical AG au cours des années 2009, 2010 et 2011 mais qu'ils ne les ont déclarés qu'au mois d'octobre 2012 en déposant des déclarations rectificatives. Le ministre chargé des finances publiques soutient sans être contredit que le dépôt de ces déclarations rectificatives n'ayant pas été accompagné du paiement de l'impôt sur le revenu correspondant, des impositions supplémentaires ont dû être établies. Il résulte des règles rappelées aux points 2 et 3 que le formulaire modèle 83 doit être visé par les services fiscaux français afin qu'ils certifient que le revenu ayant donné lieu à l'impôt anticipé en Suisse a bien été déclaré et imposé en France. En déclarant tardivement les dividendes litigieux, les époux A... se sont dès lors eux-mêmes placés en difficulté au regard du délai de réclamation analysé au point 3 ci-dessus. Au demeurant, alors qu'ils avaient remis le formulaire litigieux en octobre 2012, ils ont attendu le 7 octobre 2015 afin de relancer les services fiscaux alors pourtant qu'ils avaient été rendus destinataire d'un courrier de l'administration au mois de janvier 2014 lequel aurait dû les inciter à réagir. Enfin, en saisissant l'administration suisse au mois de mars 2016 de leur demande de restitution alors qu'ils avaient été rendus destinataires du formulaire litigieux au mois de novembre 2015, les époux A... ont inutilement tardé. Il résulte de ces éléments que la négligence des époux A... est de nature, dans les circonstances de l'espèce, à exonérer en totalité l'administration de sa responsabilité.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que les époux A... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande. Par suite, leur requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête des époux A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 21NC01765

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01765
Date de la décision : 30/11/2023
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : LE DISCORDE & DELEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-30;21nc01765 ?
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