Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (ci-après EURL) Ankaro a demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et des majorations correspondantes réclamés au titre de la période du 29 octobre 2013 au 31 décembre 2016 ainsi que de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'année 2014.
Par un jugement no 1900057 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 24 mars et 5 août 2021, l'EURL Ankaro, représentée par Me Baroche, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 janvier 2021 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la réunion de synthèse du 14 décembre 2017, qui s'est tenue conjointement à celle de la procédure de contrôle d'une autre société, l'a privée d'un débat oral et contradictoire régulier et a méconnu le principe d'indépendance des procédures de contrôle et le principe du contradictoire ;
- en lui opposant l'absence d'identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu, l'administration fiscale a ajouté une condition non prévue à l'article 268 du code général des impôts ;
- l'application du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge ne comporte pas d'autre condition que celle tenant à ce que l'acquisition par le vendeur n'ait pas ouvert de droit à déduction de la taxe lors de cette acquisition ;
- elle doit bénéficier, en l'espèce, du régime de taxation sur la marge, applicable lorsque les transformations subies par un terrain à bâtir entre son acquisition initiale et sa revente sont limitées à la division de celui-ci en lots, dès lors que le terrain acquis, qui supportait une ferme impropre à l'usage d'habitation, devait être assimilé à un terrain à bâtir et non considéré comme un terrain bâti.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le litige est limité aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société à hauteur de 62 634 euros ;
- les moyens soulevés par la société Ankaro ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier,
- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. L'Eurl Ankaro a été créée le 29 octobre 2013 pour exercer une activité d'achats, de vente et de viabilisation de terrains. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 29 octobre 2013 au 31 décembre 2016, étendue jusqu'au 31 juillet 2017 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Par une proposition de rectification du 15 décembre 2017, établie dans le cadre de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, le service a procédé à plusieurs rehaussements tant en matière d'impôt sur les sociétés, ceux-ci ayant été acceptés par le contribuable, qu'en matière de taxe sur la valeur ajoutée, pour laquelle les observations présentées par la société en réponse ont donné lieu à une réduction des droits de taxe sur la valeur ajoutée rappelés. Une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés a été mise en recouvrement, en droits et majorations, pour un montant de 13 345 euros, que l'Eurl requérante n'a pas contestée dans sa réclamation préalable du 30 avril 2018. Des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée ont été mis en recouvrement, le 30 mars 2018, pour un montant de 62 634 euros, en droits et majorations. L'administration a rejeté la réclamation préalable formée pour contester ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée par une décision du 28 novembre 2018. La société Ankaro relève appel du jugement du 26 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés ainsi que des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge.
Sur la régularité de la procédure :
2. En premier lieu, dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une entreprise a été effectuée, comme il est de règle, dans ses propres locaux, il appartient au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au vérificateur de donner au contribuable, avant l'envoi de la proposition de rectification, une information sur les rectifications qu'il pourrait envisager.
3. Il résulte de l'instruction que les opérations de contrôle diligentées par la vérificatrice de l'Eurl Ankaro ont eu lieu dans les locaux de l'entreprise, lors de deux rencontres les 12 et 17 octobre 2017, en présence de la comptable qui avait été mandatée à cette fin par le gérant de l'entreprise. La société requérante n'allègue pas que la vérification aurait été conduite dans des conditions qui n'auraient pas offert à son gérant la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec la vérificatrice. Par ailleurs, et alors que celle-ci n'était pas tenue d'informer le gérant des rectifications qu'elle envisageait afin de le mettre en mesure d'en débattre avec elle, elle a organisé une réunion de synthèse le 14 décembre 2017, au siège de l'entreprise, en présence cette fois-ci de ce dernier. Cette réunion s'est déroulée simultanément avec la réunion de synthèse de la SARL RM Constructions, dont il est également le gérant, qui exerce la même activité, a le même siège social et faisait l'objet d'une vérification de comptabilité menée par une autre vérificatrice. En se bornant à invoquer cette modalité d'organisation de la réunion de synthèse, l'Eurl Ankaro n'établit pas, dans ces conditions, que cette seule réunion conjointe en fin de procédure de contrôle aurait été de nature à affecter le débat oral et contradictoire et à entacher ainsi d'irrégularité la procédure d'imposition.
4. En second lieu, il résulte de l'instruction que cette réunion de synthèse du 14 décembre 2017 n'a entraîné aucun risque de confusion entre les procédures de contrôle et, en particulier, qu'aucune conséquence n'a été tirée pour l'Eurl Ankaro de la procédure suivie à l'égard de la société RM Constructions. Par suite, le moyen tiré de ce que les modalités de tenue de cette réunion caractériseraient une méconnaissance du principe d'indépendance des procédures de contrôle doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. Le I de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du b. du 2. de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession.
6. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction issue de l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir, ou d'une opération mentionnée au 2° du 5 de l'article 261 pour laquelle a été formulée l'option prévue au 5° bis de l'article 260, si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / a) soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain (...) ; / b) soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués. ".
7. Dans son ordonnance du 10 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance c. Les Anges d'Eux SARL, Echo 5 SARL et Cletimmo SAS (aff. C-191/21), la Cour de justice de l'Union européenne a précisé que le régime dérogatoire prévu à l'article 392 de la directive du 28 novembre 2006 s'applique aux seuls terrains à bâtir qui, définis comme tels par les Etats membres, sont achetés en vue de leur revente et qu'ainsi, l'application du régime de la taxation sur la marge suppose, en vertu de cet article 392, une identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu. Elle a précisé que l'article 392 de la directive devait être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir, mais qu'il n'exclut pas l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots.
8. Il résulte des dispositions de l'article 268 du code général des impôts, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti.
9. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.
10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que l'Eurl Ankaro soutient, le bénéfice du régime de taxation à la marge n'est pas uniquement conditionné au fait que l'acquisition par le cédant n'ait pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, l'administration pouvait lui opposer l'absence d'identité juridique entre les biens vendus et le bien acquis.
11. En deuxième lieu, s'il résulte de ce qui a été dit précédemment que si l'administration fiscale ne pouvait pas légalement opposer à l'Eurl Ankaro la division parcellaire intervenue entre le moment de l'acquisition des terrains et celui de leur revente comme terrains à bâtir, elle pouvait en revanche lui opposer l'absence d'identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu, sans ajouter une condition qui n'aurait pas été prévue par la loi. La société requérante ne saurait à cet égard utilement soutenir que l'administration lui aurait fait application d'une doctrine administrative illégale.
12. En dernier lieu, pour refuser d'appliquer le régime de la taxation sur la marge aux cessions de terrains à bâtir réalisées par l'Eurl Ankaro en 2014 et 2015, l'administration fiscale a relevé que les terrains acquis supportaient une ferme à rénover, qui a été démolie postérieurement à l'acquisition, et en a déduit par suite l'absence d'identité juridique entre le terrain acquis bâti et les terrains revendus à bâtir. Si l'Eurl requérante soutient que la ferme ne servait plus d'habitation depuis 2004, que les réseaux avaient été cassés et que le bâtiment menaçait de s'écrouler, elle ne l'établit pas par la seule production d'attestations insuffisamment circonstanciées d'un ancien maire de la commune de Foucherans et du particulier qui lui a vendu ce bien, alors que l'administration avait indiqué, dans sa décision de rejet de la réclamation préalable, que les acquisitions réalisées le 5 avril 2014 portaient sur des parcelles constituées par une ferme à rénover et le terrain autour. Dans ces conditions, il n'est pas établi que le terrain en litige n'était pas un terrain bâti à la date de son acquisition par l'Eurl Ankaro, ni, par conséquence, que la démolition de la ferme n'avait pas modifié son identité juridique entre son acquisition et sa revente. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a refusé l'application du régime de la taxation sur la marge aux opérations de cessions de terrains à bâtir réalisées par la requérante.
13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité partielle des conclusions à fin de décharge, l'Eurl Ankaro n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Ankaro est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Ankaro et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 21NC00894