Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 3 mai 2023 par lequel le préfet de police de Paris a décidé son transfert aux autorités roumaines.
Par un jugement n° 2311046/8 du 13 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 3 mai 2023 du préfet de police de Paris.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2023, le préfet de police de Paris demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2311046/8 du 13 juin 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, la circonstance que l'arrêté de transfert se fondait sur un accord implicite des autorités roumaines du 27 avril 2023 au lieu d'un accord explicite du même jour, est sans incidence sur la légalité de la décision en litige ;
- s'agissant des autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal, la décision n'a pas pour effet de le renvoyer au Pakistan ; en tout état de cause l'intéressé ne démontre ni l'existence de défaillances systémiques dans l'examen des demandes d'asile en Roumanie, ni qu'il serait effectivement menacé en cas de retour au Pakistan.
Par un mémoire enregistré le 13 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Gagey, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions combinées des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés, qu'aucun accord implicite n'est intervenu et que l'arrêté contesté est contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 21 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-147 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Menasseyre a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant pakistanais né le 1er janvier 1992, est entré irrégulièrement en France et a sollicité l'asile le 31 mars 2023. La consultation du système " Eurodac " a fait apparaître que ses empreintes avaient été relevées le 3 mars 2023 en Roumanie. Consécutivement à leur saisine le 23 avril 2023, les autorités roumaines ont accepté de reprendre en charge M. B.... Par un arrêté du 3 mai 2023, le préfet de police de Paris a prononcé le transfert de M. B... aux autorités roumaines. Par un jugement du 13 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté. Le préfet de police relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 26 juin 2013, établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou apatride : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) ".
3. Aux termes de l'article 23 du même règlement : " 1. Lorsqu'un Etat membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre Etat membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre Etat membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9 paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. ". Aux termes de l'article 25 du même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".
4. Enfin, selon les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du même règlement : " (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable
5. Pour annuler l'arrêté en litige, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a considéré que la circonstance que l'arrêté de transfert de M. B... vers la Roumanie se fonde sur un accord implicite du 27 avril 2023 né, en application des dispositions précitées de l'article 25-2 du règlement du n° 604/2013 du 26 juin 2013, du silence gardé par les autorités roumaines pendant deux semaines alors qu'elles ont explicitement donné leur accord le 27 avril 2023 sur le fondement de l'article 18 (1) (d) du même règlement, ne pouvait être regardée comme une simple erreur matérielle sans influence sur la légalité de la décision contestée dès lors qu'il ressortait de cet accord explicite que la demande d'asile de M. B... avait été rejetée par les autorités roumaines seulement sept jours après son dépôt et que ces éléments, qui ne sont pas mentionnés dans l'arrêté litigieux, devaient être appréciés au regard des droits qui s'attachent aux demandeurs d'asile.
6. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de police a saisi le 12 avril 2023 les autorités roumaines d'une demande de reprise en charge de la demande d'asile de M. B... sur la base des résultats positifs du système Eurodac communiqués le 30 mars 2023. Les autorités roumaines, qui disposaient, en application des dispositions citées au point 3, d'un délai de deux semaines à compter de la réception de la requête pour statuer sur cette demande, n'ont accepté expressément de reprendre en charge M. B... que le 27 avril 2023, soit le lendemain de l'expiration du délai qui leur était imparti, de sorte qu'un accord implicite d'acceptation de reprise en charge était déjà né à cette date. Dès lors, le préfet de police de Paris, en fondant son arrêté de transfert sur l'accord implicite d'acceptation né du silence gardé par les autorités roumaines pendant deux semaines, n'a pas commis d'erreur de fait. S'il n'a pas mentionné l'existence d'une décision explicite de reprise en charge confirmant la décision implicite ainsi intervenue, ce silence ne saurait caractériser ni une erreur matérielle, ni un défaut d'examen sérieux de la demande de l'intéressé et ce alors même que l'accord fait apparaître que la demande d'asile de M. B... a été rejetée seulement sept jours après son dépôt, une telle célérité ne permettant pas par elle-même d'établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Roumanie dans la procédure d'asile ou que la demande de M. B... ne serait pas traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par suite, le préfet de police de Paris est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté du 3 mai 2023 décidant du transfert de M. B... aux autorités roumaines au motif qu'il faisait état de l'accord implicite donné à ce transfert et non à l'accord explicite intervenu ensuite.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal :
8. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". De même, aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
9. La Roumanie étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption n'est toutefois pas irréfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités roumaines répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
10. M. B... fait valoir qu'il craint pour sa vie en cas de transfert vers la Roumanie dès lors qu'il ne peut plus vivre en sécurité dans ce pays, le gang qui le menaçait dans son pays d'origine l'ayant suivi jusqu'en Roumanie. Toutefois, et ainsi que le fait valoir le préfet en appel, le requérant n'apporte aucun élément qui permettrait d'apprécier la réalité de ses allégations. De même, si le requérant soutient qu'il est entré régulièrement en Roumanie muni d'un visa de travail et que son employeur ne lui aurait versé aucun salaire, ne l'aurait ni logé, ni nourri et qu'il n'aurait bénéficié d'aucune assurance médicale, ces éléments ne sont pas de nature à caractériser des traitements inhumains ou dégradants au sens des dispositions citées au point 8 du présent arrêt. Enfin, à supposer que l'intéressé ait entendu soutenir que son transfert en Roumanie l'exposerait à un risque de renvoi au Pakistan dès lors que sa demande d'asile a fait l'objet d'un rejet par les autorités roumaines le 11 mars 2023, toutefois l'arrêté de transfert n'a pas pour objet, ni pour effet de le renvoyer dans son pays d'origine. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'asile de M. B... aurait été définitivement rejetée par les autorités roumaines, l'intéressé indiquant lui-même dans ses écrits devant le tribunal qu'il avait l'opportunité de faire appel de cette décision, ni qu'elles n'évalueraient pas, avant de procéder à son éventuel éloignement, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour au Pakistan. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Dès lors que d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il y aurait des raisons sérieuses de croire qu'il existe en Roumanie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile et d'autre part, que le requérant n'établit pas qu'il encourait un risque pour sa vie en cas de transfert en Roumanie ou qu'il serait dans une situation de particulière vulnérabilité qui justifierait que sa demande d'asile soit examinée à titre dérogatoire par la France, le préfet de police de Paris, en décidant du transfert de M. B... vers la Roumanie n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
13. En troisième lieu, eu égard à ce qui a été dit aux points 6, 10 et 12, M. B..., qui a d'ailleurs bénéficié d'un entretien individuel le 31 mars 2023, n'est pas fondé à soutenir que le préfet de police se serait dispensé de procéder à un examen particulier de sa situation avant de décider de son transfert vers la Roumanie.
14. En quatrième lieu, en application de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
15. L'arrêté du 3 mai 2023 portant transfert de M. B... aux autorités roumaines vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il mentionne que M. B..., ressortissant pakistanais né le 1er janvier 1992, est entré irrégulièrement sur le territoire français et s'y est maintenu sans être muni des documents et visas exigés par les textes en vigueur et qu'il ressort de la consultation du fichier Eurodac qu'il a précédemment sollicité l'asile auprès des autorités roumaines, le 3 mars 2023. Il précise que les autorités roumaines ont été saisies le 12 avril 2023 d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions du b du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 et qu'elles ont accepté leur responsabilité par un accord implicite du 27 avril 2023. Il mentionne en outre qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation, l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues au 2 de l'article 3 ou à l'article 17 du règlement, que l'arrêté ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu'il n'établit pas l'existence d'un risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de la demande d'asile. Il énonce ainsi les considérations de fait et de droit qui le fonde. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté serait insuffisamment motivé.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police de Paris est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 3 mai 2023 et à demander en conséquence l'annulation de ce jugement.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2311046 du 13 juin 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- M. Ho Si Fat, président-assesseur,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2023.
La présidente-rapporteure,
A. MENASSEYRE Le président-assesseur,
F. HO SI FAT
La greffière
N. COUTY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA03133 2