Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure
Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 23 juin 2022 par lequel le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français avant le 15 juillet 2022 et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office.
Par un jugement n°2205469 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Lyon a annulé les articles 2 à 5 de l'arrêté du préfet du Rhône du 23 juin 2022, portant sur l'obligation faite à Mme A... C... de quitter le territoire français et désignant le pays de renvoi de cette mesure, et a enjoint au préfet de réexaminer la situation de cette dernière dans le délai de deux mois courant à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2022 sous le n°22LY03491 et un mémoire complémentaire, enregistré le 27 janvier 2023, Mme A... C..., représentée par Me Sabatier, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 2 novembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 juin 2022 par lequel le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de lui délivrer dans le délai d'un mois un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " étudiant " ou, à titre subsidiaire, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français qui lui sont opposés portent une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale, en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision du préfet portant refus de titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par une décision du 1er février 2023, Mme A... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Procédure d'exécution devant la cour
Par un courrier du 27 janvier 2023, Mme A... C... a saisi la cour administrative d'appel de Lyon d'une demande tendant à obtenir l'exécution du jugement n° 2205469 rendu le 2 novembre 2022 par le tribunal administratif de Lyon.
Par une ordonnance du 15 juin 2023, le président de la cour a décidé l'ouverture d'une procédure juridictionnelle pour qu'il soit statué sur la demande de Mme A... C... tendant à l'exécution de ce jugement.
Par un mémoire, enregistré le 22 juin 2023 sous le n°23LY02012, Mme A... C..., représentée par Me Sabatier, demande à la cour :
1°) d'enjoindre au préfet du Rhône de procéder au réexamen de sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la préfète du Rhône n'a pas réexaminé sa situation, en méconnaissance de l'injonction décidée par le jugement du tribunal administratif.
La préfète du Rhône, à laquelle les requête et mémoires ont été communiqués, n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 21 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 octobre 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail, notamment son article 7 quater ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me Guillaume représentant Mme A... C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A... C..., de nationalité tunisienne, née le 14 août 2003, est entrée en France le 1er juillet 2015 alors qu'elle était âgée de onze ans, accompagnée de son père et de son frère né le 1er octobre 2004. Le 3 décembre 2020, avant sa majorité, elle a demandé la délivrance d'un titre de séjour puis a sollicité, à six reprises, un rendez-vous afin de pouvoir déposer son dossier. En application de l'ordonnance du juge des référés " mesures utiles " du tribunal administratif de Lyon du 26 janvier 2022, un rendez-vous lui a été fixé le 7 février 2022. Par un arrêté du 23 juin 2022, le préfet du Rhône a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme A... C..., lui a fait obligation de quitter le territoire français avant le 15 juillet 2022 et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office. Par une première requête, Mme A... C... doit être regardée comme demandant l'annulation du jugement du 2 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon, après avoir annulé les articles 2 à 5 de l'arrêté du 23 juin 2022 du préfet du Rhône, portant sur l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi de cette mesure, enjoint au préfet de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois courant à compter de la notification du jugement et accordé des frais de procédure, a rejeté le surplus des conclusions de sa requête. Par une seconde requête, Mme A... C... demande qu'il soit enjoint à la préfète du Rhône de procéder à l'exécution de l'injonction décidée par le jugement du 2 novembre 2022.
2. Ces deux requêtes présentant à juger la situation d'une même ressortissante étrangère, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. D'une part, aux termes de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " (...) les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ". L'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en œuvre. Cet accord ne comporte pas de dispositions similaires à celles prévues par les dispositions de l'article L. 423-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles prévoient que " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire (...), l'étranger qui justifie par tout moyen avoir résidé habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans avec au moins un de ses parents se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Au surplus, ces dispositions sont applicables aux ressortissants tunisiens depuis l'entrée en vigueur du deuxième avenant du 8 septembre 2000 à l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 et modifiées notamment par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 et la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006.
4. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger (...) qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1./ Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... C... a, dans l'année suivant son dix-huitième anniversaire, déposé une demande de titre de séjour dont le fondement n'était pas précisé. Toutefois, eu égard à sa présence, non contestée par le préfet, en France avec son père depuis 2015, soit avant l'âge de treize ans, à la poursuite de sa scolarité et au suivi dont son handicap a fait l'objet depuis son entrée sur le territoire, Mme A... C... est fondée à soutenir que le préfet du Rhône a, au regard des conséquences impliquées sur sa situation personnelle, entaché la décision portant refus de titre de séjour en litige d'une erreur manifeste d'appréciation.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision, contenue dans l'arrêté du préfet du Rhône du 23 juin 2022, portant refus de titre de séjour. Mme A... C... est, dès lors, fondée à demander l'annulation de l'article 5 dudit jugement, ainsi que de l'article 1er de l'arrêté du préfet du Rhône du 23 juin 2022.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
8. L'annulation, décidée par le présent arrêt, de la décision portant refus de séjour contenue dans l'arrêté du préfet du Rhône du 23 juin 2022, implique nécessairement qu'il soit enjoint à cette autorité de délivrer à Mme A... C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur la demande d'exécution :
9. L'injonction de délivrance du titre de séjour décidée au point précédent rend sans objet les conclusions, présentées par la requérante dans le cadre de la demande d'exécution du jugement du 23 juin 2022, tendant à ce qu'il soit fait injonction à la préfète du Rhône d'exécuter l'article 2 du jugement précité en procédant au réexamen de la demande de Mme A... C..., sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Sur les frais liés aux litiges :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à verser au conseil de Mme A... C... sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23LY02012.
Article 2 : L'article 5 du jugement du tribunal administratif de Lyon du 2 novembre 2022 et l'article 1er de l'arrêté du préfet du Rhône du 23 juin 2022 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Rhône de délivrer à Mme A... C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".
Article 4 : L'Etat versera à Me Sabatier une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 22LY03491 est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... C..., à la préfète du Rhône et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, où siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2023.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY03491-23LY02012