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28/11/2023 | FRANCE | N°23PA02832

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 28 novembre 2023, 23PA02832


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 24 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé de son transfert et de celui de son enfant aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2305414 du 2 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a

annulé l'arrêté du 24 avril 2023 de transfert de Mme A... et de son enfant aux autorités italienne...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 24 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé de son transfert et de celui de son enfant aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2305414 du 2 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a admis Mme A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté du 24 avril 2023 de transfert de Mme A... et de son enfant aux autorités italiennes, a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil, Me Singh, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

I°) Par une requête, enregistrée le 27 juin 2023 sous le n°23PA02832, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Montreuil.

Il soutient que :

- le moyen retenu par le tribunal, tiré du défaut de saisine des autorités italiennes, est mal fondé dès lors que la preuve de cette saisine en date du 15 décembre 2022 est rapportée par le document intitulé " constat d'un accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité " émanant du système Dublinet ;

- les autres moyens avancés par Mme A... en première instance ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 21 novembre 2023

II°) Par une requête, enregistrée le 27 juin 2023 sous le n° 23PA02833, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour de surseoir à l'exécution du jugement attaqué.

Il soutient que les conditions prévues aux articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies dès lors que les moyens qu'il invoque à l'appui de sa requête au fond paraissent sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement ainsi que le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par le jugement du tribunal administratif de Montreuil.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 21 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 novembre 2023 :

- le rapport de M. Dubois, premier conseiller.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante de nationalité bangladaise, née le 25 mai 1995 à Madaripur, est entrée sur le territoire français avec sa fille mineure le 22 novembre 2022 et y a déposé une demande d'asile le 8 décembre 2022 auprès des services de la préfecture de Seine-Saint-Denis. L'intéressée étant munie d'un visa périmé délivré par les autorités italiennes, le préfet de Seine-Saint-Denis a estimé que le traitement de sa demande d'asile relevait des autorités italiennes et a décidé du transfert de Mme A... et de son enfant vers l'Italie par arrêté du 24 avril 2023. Saisie d'un recours pour excès de pouvoir contre cette décision, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a prononcé l'annulation de cet arrêté par un jugement n° 2305414 du 2 juin 2023. Par requêtes d'appel enregistrées respectivement sous les nos23PA02832 et 23PA02833, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour d'annuler ce jugement et de surseoir à son exécution.

Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées n° 23PA02832 et 23PA02833, présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

Sur les conclusions de la requête n° 23PA02832 :

3. D'une part, aux termes de l'article 21 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) no 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. (...) ". Aux termes de l'article 22 du même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. (...) 7. L'absence de réponse à l'expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 (...) équivaut à l'acceptation de la requête et entraîne l'obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".

4. D'autre part, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 susvisé portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " DubliNet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Selon l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...). / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national (...) est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Le 2 de l'article 10 du même règlement précise que : " Lorsqu'il en est prié par l'Etat membre requérant, l'Etat membre responsable est tenu de confirmer, sans tarder et par écrit, qu'il reconnaît sa responsabilité résultant du dépassement du délai de réponse ".

5. En vertu de ces dispositions, lorsque le préfet est saisi d'une demande d'enregistrement d'une demande d'asile, il lui appartient, s'il estime après consultation du fichier Eurodac que la responsabilité de l'examen de cette demande d'asile incombe à un État membre autre que la France, de saisir la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, qui gère le " point d'accès national " du réseau Dublinet pour la France. Les autorités de l'Etat regardé comme responsable sont alors saisies par le point d'accès français, qui archive les accusés de réception de ces demandes.

6. La décision de transfert d'un demandeur d'asile vers l'État membre responsable au vu de la consultation du fichier Eurodac ne peut être prise qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis, saisi dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. A cet égard, s'il est nécessaire que les autorités françaises aient effectivement saisi les autorités de l'autre État avant l'expiration de ce délai de deux mois et que les autorités de cet Etat aient, implicitement ou explicitement, accepté cette demande, la légalité de la décision de transfert prise par le préfet ne dépend pas du point de savoir si les services de la préfecture disposaient matériellement, à la date de la décision du préfet, des pièces justifiant de l'accomplissement de ces démarches.

7. Le juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, prononce l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise alors que l'Etat requis n'a pas été saisi dans le délai de deux mois ou sans qu'ait été obtenue l'acceptation par cet Etat de la prise en charge de l'intéressé. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur ce point au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance.

8. Il résulte de ces dispositions que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau " DubliNet ", par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux mois au terme duquel la demande de prise en charge est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la prise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception de l'Etat requis n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier Eurodac et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.

9. En l'espèce, si, en réponse au moyen invoqué en première instance par Mme A... et tenant à l'absence de saisine des autorités italiennes d'une demande de prise en charge dans le délai de deux mois fixé à l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de Seine-Saint-Denis a fait valoir avoir saisi lesdites autorités le 15 décembre 2022, il ne verse aux débats qu'un formulaire type de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande de protection internationale non signé électroniquement et non daté dont rien n'atteste qu'il aurait effectivement été transmis aux autorités italiennes dans ce délai. Si le préfet de Seine-Saint-Denis verse également aux débats le document intitulé " Constat d'un accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité " émis dans le cadre des dispositions de l'article 10 du règlement n° 1560/2003, ce document établi par les autorités françaises et dont rien au demeurant n'atteste qu'il aurait été effectivement transmis aux autorités italiennes ne permet pas davantage d'attester de la saisine des autorités italiennes à la date précitée du 15 décembre 2022, non plus que de l'accord de ces autorités à la prise en charge de l'intéressée.

10. Il résulte de ce qui précède que le préfet de Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé son arrêté de transfert du 24 avril 2023.

Sur les conclusions de la requête n° 23PA02833 :

11. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 23PA02832 du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 23PA02833 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23PA02833.

Article 2 : La requête du préfet de la Seine-Saint-Denis enregistrée sous le n° 23PA02832 est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... A....

Copie en sera adressée au préfet de Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Vrignon-Villalba, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Perroy, premier conseiller,

- M. Dubois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.

Le rapporteur,

J. DUBOISLa présidente,

C. VRIGNON-VILLALBA

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 23PA02832, 23PA02833


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02832
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme VRIGNON-VILLALBA
Rapporteur ?: M. Jacques DUBOIS
Rapporteur public ?: Mme LESCAUT
Avocat(s) : SINGH

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;23pa02832 ?
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