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28/11/2023 | FRANCE | N°23NC01929

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 28 novembre 2023, 23NC01929


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 23 mai 2023 par lesquels le préfet du Doubs a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département du Jura pour une durée de quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2300881 du 30 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté

sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 19 juin 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler les arrêtés du 23 mai 2023 par lesquels le préfet du Doubs a décidé de son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et l'a assignée à résidence dans le département du Jura pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2300881 du 30 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juin 2023, Mme A..., représentée par Me Bertin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 30 mai 2023 ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet du Doubs du 23 mai 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision à intervenir ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande d'admission provisoire au séjour dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles 75 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle souhaite que soient examinés en priorité les moyens permettant l'enregistrement de sa demande d'asile ;

s'agissant de la décision portant transfert aux autorités italiennes :

- elle méconnaît les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 3§2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

s'agissant de la décision portant assignation à résidence :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités italiennes ;

- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que les transferts vers l'Italie étant suspendus depuis le 6 décembre 2022, son éloignement ne peut être regardé comme constituant une perspective raisonnable au sens de cet article.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante de la République démocratique du Congo, est entrée irrégulièrement en France, selon ses déclarations, au mois d'avril 2023 afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé qu'elle avait préalablement sollicité l'asile en Italie. Les autorités italiennes, saisies d'une demande de reprise en charge, ont fait connaître explicitement leur accord le 4 mai 2023 en application de l'article 18-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par deux arrêtés du 23 mai 2023, le préfet du Doubs, d'une part, a décidé le transfert de Mme A... aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile et, d'autre part, l'a assignée à résidence dans le département du Jura pour une durée de quarante-cinq jours. Mme A... relève appel du jugement du 30 mai 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".

3. Mme A... soutient que l'entretien prévu par les dispositions précitées n'a pas été conduit par une personne qualifiée au sens de cet article. Aucune disposition n'impose que le document portant compte-rendu de l'entretien comporte des indications ou justifications de la qualification de l'agent ayant conduit l'entretien. Aucune règle de droit ne prescrit non plus que ce document doive comporter l'identité, la signature, les initiales ou d'autres éléments d'identification de l'agent avec lequel se tient cet entretien individuel. Ni l'entretien ni le résumé ne constituent des décisions et la circonstance qu'il ne soit pas justifié d'une délégation de compétence ou de signature à l'agent qui a conduit cet entretien, à l'effet de le mener et d'en signer le résumé, est sans influence sur la régularité de la procédure à l'issue de laquelle est intervenu l'arrêté litigieux. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 précité dans les locaux de la préfecture du Doubs le 18 avril 2023. Cet entretien résume les déclarations de l'intéressée sur son parcours pour arriver en France. En l'absence de tout élément de nature à faire naître un doute sérieux sur ce point, il n'est pas établi que l'agent de la préfecture qui a mené cet entretien n'aurait pas été mandaté à cet effet après avoir bénéficié d'une formation appropriée et ne serait, par suite, pas une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions citées au point précédent. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

4. En second lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

5. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

6. Pour établir l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile faisant l'objet de mesures de transfert auprès des autorités italiennes Mme A... se prévaut notamment d'une circulaire en date du 5 décembre 2022, adressée à l'ensemble des services des autres Etats chargés de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministre de l'intérieur italien a indiqué à ces Etats qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, le 4 mai 2023, soit plusieurs mois après l'envoi de cette lettre circulaire, les autorités italiennes ont expressément accepté de reprendre en charge Mme A.... Dans ces circonstances, cette lettre circulaire, qui sollicitait une suspension temporaire, ne saurait, à elle seule, suffire à caractériser qu'il existait toujours, à la date de l'arrêté litigieux, une indisponibilité des installations d'accueil et plus largement une défaillance systémique des autorités italiennes dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile transférés. Il ne ressort par ailleurs pas des autres éléments versés au dossier que les conditions matérielles d'accueil seraient caractérisées par des carences structurelles d'une ampleur telle qu'il y aurait lieu de conclure d'emblée, et quelles que soient les circonstances, à l'existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l'ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d'être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, prohibé par l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il ne ressort enfin pas des pièces du dossier que le renvoi de la requérante vers l'Italie en exécution d'une décision de transfert pour le traitement de sa demande d'asile dans ce pays, en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, entraînerait un risque sérieux qu'elle soit exposée à un défaut d'instruction de sa demande d'asile et à des traitements indignes de ce type en violation des règles du droit européen de l'asile. Ainsi, les documents produits à l'appui de ses affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que la requérante serait, en raison de sa propre situation, exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire au §2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.

Sur l'arrêté portant assignation à résidence :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de l'arrêté de transfert, dès lors qu'aucun des moyens invoqués à l'encontre de cette décision n'est fondé.

8. En second lieu, aux termes de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge peut être assigné à résidence par l'autorité administrative pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. (...). En cas de notification d'une décision de transfert, l'assignation à résidence peut se poursuivre si l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l'exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable. (...) ".

9. La seule circonstance que la lettre du 5 décembre 2022 adressée par les autorités italiennes aux autorités des autres Etats membres chargées de la mise en œuvre du règlement n° 604/2013 (UE) du 26 juin 2013 ait invité, à compter du 6 décembre 2022, à suspendre temporairement l'exécution des transferts à destination de l'Italie en raison de contraintes techniques liées à la saturation des dispositifs d'accueil des demandeurs d'asile n'est pas de nature à établir que le transfert de l'intéressée n'est pas une perspective raisonnable à la date de l'arrêté litigieux, alors qu'il ressort des pièces du dossier que les autorités italiennes ont explicitement accepté de prendre en charge Mme A..., près de cinq mois après l'émission de cette lettre. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation au regard des dispositions citées au point précédent doivent être écartés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions d'annulation de Mme A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressée aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B..., à Me Bertin et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.

La rapporteure,

Signé : A. Samson-DyeLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 23NC01929


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01929
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : BERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;23nc01929 ?
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