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28/11/2023 | FRANCE | N°23NC00915

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 28 novembre 2023, 23NC00915


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 6 octobre 2020 par laquelle le préfet du Doubs a rejeté son recours gracieux dirigé contre la décision par laquelle il a refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".



Par un jugement n° 2100396 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.





Procédure devant la cou

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Par une requête enregistrée le 23 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Prudhon, demande à la cour :


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 6 octobre 2020 par laquelle le préfet du Doubs a rejeté son recours gracieux dirigé contre la décision par laquelle il a refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Par un jugement n° 2100396 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Prudhon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100396 du 5 mai 2022 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'annuler la décision du 6 octobre 2020 par laquelle le préfet du Doubs a rejeté son recours gracieux dirigé contre la décision par laquelle il a refusé de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 75 euros par jour de retard et, à défaut, dans ce même délai et sous la même astreinte, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, le temps de ce réexamen, un récépissé de demande de titre de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas pris en compte l'ensemble des éléments composant sa situation personnelle ;

- la décision du 6 octobre 2020 rejetant son recours gracieux méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicables ;

- elle méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale.

Par une mémoire en défense enregistré le 3 mai 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Roussaux, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante libyenne née en 1983, est entrée en France le 29 janvier 2011, sous couvert d'un visa de long séjour " visiteur ", pour rejoindre son époux, M. A..., ressortissant libyen né en 1977, qui séjournait régulièrement en France en qualité d'étudiant. L'intéressée a ensuite bénéficié d'une carte de séjour temporaire portant la mention " visiteur " valable un an qui a été renouvelée pendant la période au cours de laquelle son époux poursuivait ses études. Après avoir obtenu un doctorat, le 10 avril 2019, M. A... a ensuite bénéficié d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, valable du 25 juin 2020 au 24 juin 2021. Le 20 août 2019, Mme B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Toutefois, par un courrier du 25 juin 2020, le préfet du Doubs a simplement accepté de renouveler son titre de séjour en qualité de " visiteur " pour une durée d'un an. Le préfet a donc ainsi nécessairement, le même jour, pris une décision non formalisée, révélée par ce courrier du 25 juin 2020, rejetant la demande de titre de séjour présentée par Mme B.... Le recours gracieux exercé par l'intéressée contre cette décision non formalisée a été rejeté par une décision du 6 octobre 2020. Mme B... relève appel du jugement du 5 mai 2022 du tribunal administratif de Besançon qui, après avoir considéré que la demande d'annulation était dirigée également contre la décision révélée du 25 juin 2020, a rejeté les conclusions de la requérante.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Mme B... ne peut donc utilement se prévaloir d'une erreur d'appréciation des faits qu'auraient commis les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.

4. Comme l'avait déjà précisé le tribunal administratif de Besançon, Mme B... doit être regardée comme demandant à la cour l'annulation, outre du jugement du 5 mai 2022 et de la décision du 6 octobre 2020 rejetant son recours gracieux, de la décision non formalisée prise le 25 juin 2020.

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11, désormais codifié à l'article L. 423-23, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. Mme B... soutient résider en France avec son époux depuis neuf ans avec leurs sept enfants, nés entre 2005 et 2020, dont cinq sont nés en France et six y sont scolarisés, qu'elle participe à diverses activités associatives et bénévoles et que l'état de santé de son époux nécessite un suivi régulier. Toutefois, la décision par laquelle le préfet a refusé de délivrer le titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " n'a ni pour objet ni pour effet d'éloigner l'intéressée du territoire français et ne fait par elle-même pas obstacle à la poursuite d'une vie familiale en France dès lors que Mme B... continue à être autorisée à y séjourner puisqu'elle bénéficie d'un titre de séjour " visiteur ". Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées ont porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais codifié à l'article L. 435-1 de ce code : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ". Il appartient à l'autorité administrative, en application de ces dispositions, de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention "vie privée et familiale" répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire".

8. Compte tenu de ce qui a été dit au point 6, le préfet du Doubs n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'admission au séjour de Mme B... ne répondait pas à des considérations humanitaires et n'était pas davantage justifiée au regard de motifs exceptionnels.

9. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, le préfet du Doubs n'a pas entaché les décisions attaquées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle et familiale de l'intéressée.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

11. Compte tenu de ce qui vient d'être dit au point 6, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande d'annulation des décisions contestées. Par voie de conséquence, les conclusions de la requête à fin d'injonction, sous astreinte, ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Prudhon.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.

La rapporteure,

Signé : S. RoussauxLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 23NC00915


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00915
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : PRUDHON

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;23nc00915 ?
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