Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 14 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2300127 du 21 mars 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 14 novembre 2022 de la préfète de la Gironde, lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente, de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 avril 2023, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 mars 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. A....
Il soutient que :
- les documents d'état civil présentés par M. A... à l'appui de sa demande présentent des contradictions et des erreurs, et ne permettent ainsi pas d'établir son identité ;
- M. A... ne justifie pas de sa minorité au moment de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance ; il a ainsi sollicité le bénéfice de l'asile en Italie sous une autre identité et prétendait alors être majeur ;
- il ne remplit pas les conditions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'expérience professionnelle dont il se prévaut n'est due qu'à la fraude dont est entachée son identité ; il n'est pas isolé dans son pays d'origine.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 juin 2023, M. A..., représenté par Me Meaude, conclut à titre principal au non-lieu à statuer, à titre subsidiaire au rejet de la requête et, dans tous les cas, à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la requête a perdu son objet, le préfet de la Gironde lui ayant délivré un titre de séjour sans préciser que cette décision n'était motivée que par le souci de se conformer au jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 mars 2023 ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par le préfet de la Gironde ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 18 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 9 juin 2023 à 12h00.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Laurent Pouget a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant malien né le 15 juin 2002, déclare être entré en France en novembre 2018. Il a été placé auprès de l'aide sociale à l'enfance de la Gironde jusqu'à sa majorité, puis a bénéficié d'un contrat jeune majeur. Le 15 juin 2021, il a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 14 novembre 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Gironde relève appel du jugement du 21 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois.
2. Si le préfet de la Gironde a délivré un titre de séjour à M. A... le 10 mai 2023, il ressort des termes de cet arrêté qu'il a été pris en exécution du jugement attaqué. Cette circonstance n'est donc pas de nature à priver d'objet le litige, et l'exception de non-lieu opposée en défense ne peut par suite être accueillie.
3. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
4. Selon l'article R. 431-10 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1°Les documents justifiants de son état civil ; 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; (...) La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article 47 du code civil prévoit que : " Tout acte de l'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. La délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est subordonnée au respect des conditions de fond qu'il prévoit mais également au respect, par les justificatifs de son état civil, de la condition de l'année de son dix-huitième anniversaire. A cet égard, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
6. En l'espèce, il ressort d'une part des pièces du dossier que M. A... a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour l'extrait d'un jugement supplétif du tribunal civil de Kayes du 7 juillet 2021, deux actes de naissance B..., un extrait d'acte de naissance et une carte d'identité consulaire, qui indiquent qu'il est né le 15 juin 2002. Un rapport d'analyse documentaire de la direction zonale de la police aux frontières du 22 mars 2022, dont la préfète s'est appropriée les conclusions, a néanmoins émis un avis technique défavorable sur plusieurs documents fournis par M. A.... En particulier, s'agissant du premier acte de naissance, le rapport relève qu'il ne comporte pas le nom de l'imprimeur ni le numéro d'enregistrement figurant habituellement à l'encre rouge sur l'acte, que son mode d'impression n'est pas conforme aux standards requis, que la date de naissance, inscrite en chiffres, aurait dû l'être en lettres, et qu'il contient une faute d'orthographe commune à tous les actes contrefaits. Le rapport indique ensuite que le second acte de naissance comporte des mentions contradictoires avec les autres documents fournis, que l'extrait d'acte de naissance est établi à partir du premier acte de naissance et enfin que la carte d'identité consulaire n'est pas un document d'état civil. Toutefois, ce rapport ne remet pas en cause l'authenticité de l'extrait de jugement supplétif, qui a reçu un avis favorable du service d'analyse documentaire, ni l'exactitude des mentions y figurant. Or, ce jugement, qui constitue le justificatif originel à partir duquel doivent être établis l'ensemble des documents d'état civil et d'identité des ressortissants maliens, permet, à lui seul, d'attester de l'identité de l'intéressé et, notamment, de sa date de naissance. Au surplus, M. A... produit nouvellement en appel deux attestations du chargé de l'état civil au consulat du Mali à Paris et du consul général selon lesquelles les actes d'état civil au Mali peuvent valablement indiquer la date de naissance seulement en chiffres, ainsi qu'une attestation d'un officier d'état civil malien affirmant que la faute d'orthographe relevée dans l'extrait d'acte de naissance est une erreur de l'imprimerie ne remettant pas en cause la fiabilité du document. Par ailleurs, s'il est constant que la préfète de la Gironde a signalé à la procureure de la République près le tribunal judicaire de Bordeaux, par un courrier du 4 novembre 2022, une fraude à l'identité, elle ne produit aucun élément relatif aux suites données à ce signalement. Enfin, si le préfet fait également valoir que le requérant s'est déclaré sous une autre identité en 2016 en Italie, en se déclarant alors majeur, de tels faits, que le requérant admet et justifie par la volonté de déposer alors une demande d'asile, ne peuvent être regardés comme étant de nature à remettre en cause les documents d'état civil produits. Dans ces conditions, et alors d'ailleurs que l'évaluation sociale dont l'intéressé a fait l'objet par la direction de l'enfance et de la famille du département de l'Aveyron a conclu à sa minorité, la préfète de la Gironde ne pouvait légalement rejeter la demande de délivrance d'un titre de séjour présentée par M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif que celui-ci ne justifiait pas de son état civil.
7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. A... a suivi une formation en alternance de novembre 2020 à juin 2022 et a, à ce titre, été employé en qualité d'apprenti dans un restaurant situé à Bègles. Cette formation lui a permis d'obtenir un certificat d'aptitude professionnelle, spécialité " production et service en restauration ". L'intimé produit également un contrat à durée déterminée de trois mois conclu en septembre 2022 avec le même restaurant, qui a été renouvelé jusqu'en février 2022, ainsi qu'une attestation par laquelle son employeur affirme être très satisfait du travail de M. A..., qui est selon lui devenu indispensable à l'établissement, et fait part de sa volonté de lui proposer un contrat à durée indéterminée, lequel sera d'ailleurs conclu en avril 2023. En outre, la structure d'accueil de M. A... atteste du sérieux et de l'application dont il a fait preuve dans son travail ainsi que de sa bonne intégration dans la société française, l'intéressé ayant réussi à former des liens et à progresser dans son apprentissage de la langue française. Dans ces conditions, eu égard au sérieux qu'il a manifesté dans le suivi de ses études, à l'avis positif de la structure d'accueil ainsi qu'à la qualité de son insertion, notamment professionnelle, et quand bien même il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, la préfète de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un titre de séjour en application des dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont annulé l'arrêté du 14 novembre 2022 et lui ont fait injonction de délivrer à M. A... le titre de séjour qu'il sollicitait.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Meaude d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Meaude une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. C... A... et à Me Meaude.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président rapporteur,
Laurent Pouget La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00948