Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
1° La société par actions simplifiée (SAS) Electricité de France International (EDFI) et la société anonyme (SA) Electricité de France (EDF) ont demandé au tribunal administratif de Montreuil, à titre principal, de prononcer la décharge de la retenue à la source mise à la charge de la société EDFI au titre des exercices clos de 2009 à 2013, à raison du transfert de bénéfices procédant de la sous-rémunération des obligations convertibles en actions souscrites auprès de sa filiale de droit britannique EDF Energy Limited (EDFE), et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle à cet impôt auxquelles la société EDF a été assujettie, en sa qualité de société mère intégrante, au titre des mêmes exercices, à titre subsidiaire, la restitution des intérêts de retard mis à leur charge au titre des exercices clos en 2012 et 2013.
Par un jugement nos 1705606, 1705609 du 2 juillet 2019, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé les sociétés EDFI et EDF des intérêts de retard mis à leur charge, pour des montants de 4 511 668 euros et 10 096 199 euros, au titre des années 2012 et 2013, et rejeté le surplus de leurs demandes.
Par un arrêt n° 19VE03125 du 25 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a déchargé les sociétés EDFI et EDF des impositions restant en litige.
2° Les sociétés EDFI et EDF ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la retenue à la source mise à la charge de la société EDFI et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle à cet impôt auxquelles la société EDF a été assujettie, à raison du même transfert indirect de bénéfices, au titre de l'exercice clos en 2014.
Par un jugement nos 1900449, 1900450 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leurs demandes.
Par un arrêt n° 20VE00792 du 25 janvier 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a déchargé les sociétés EDFI et EDF de ces impositions.
Par un arrêt nos 462383, 462388 du 16 novembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, sur le pourvoi formé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, a annulé les arrêts du 25 janvier 2022 de la cour administrative d'appel de Versailles et renvoyé les affaires devant la cour.
Procédures devant la cour :
1° Sous le n° 22VE02576, par une requête et des mémoires, enregistrés les 2 septembre 2019, 22 juin 2020, 15 octobre 2020, 3 mai 2021 et, après cassation, les 21 mars 2023, 26 juin 2023 et 6 septembre 2023, les sociétés EDF et EDFI, représentées par Me de Boynes, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement nos 1705606, 1705609 du 2 juillet 2019 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande de décharge ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle à cet impôt, mises à la charge de la SA EDF au titre des années 2009 à 2013, pour un montant total de 173 828 856 euros et des retenues à la source et pénalités mises à la charge de la SAS EDFI au titre des mêmes années, pour un montant total de 94 751 509 euros ;
3 °) à titre subsidiaire, de les décharger des seules retenues à la source et pénalités correspondantes ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 17 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le taux de rémunération des obligations convertibles en actions (OCA) auxquelles la société EDFI a souscrit était conforme au prix de pleine concurrence auquel il y a lieu de se référer pour l'application des dispositions de l'article 57 du code général des impôts et n'était dès lors pas constitutif d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger ;
- les éléments constitutifs d'un acte anormal de gestion ne sont pas réunis dès lors qu'ainsi que l'a jugé l'arrêt de cassation, l'opération est neutre du point de vue patrimonial, de sorte que la société EDFI ne s'est pas appauvrie ; il n'existait pas d'alternative au financement de l'acquisition de la société British Energy, à hauteur de 30 %, par des OCA, dès lors que la société British Energy, devenue EDFE, n'aurait pas pu verser un taux d'intérêt de 4,41 % sur 60 % du montant à financer ; l'intention libérale n'est pas caractérisée, dès lors que le prix de pleine concurrence qui a été appliqué est conforme à l'interprétation administrative de la loi fiscale ; la substitution de base légale demandée les prive d'une garantie en ce que la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires aurait pu être consultée sur le critère intentionnel qui est propre à la base légale substituée ;
- elles sont fondées à se prévaloir de l'instruction n° 4A1214, publiée le 9 mars 2001 et des paragraphes 30 et 120 de l'instruction administrative BOI-BIC-BASE-80-10 publiée le 12 septembre 2012, qui prévoient une application inconditionnelle et sans aucune exception du principe de pleine concurrence ;
- l'article 8 de la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 en ce qui concerne l'exercice 2009 et de l'article 10 de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008 en ce qui concerne les exercices 2010 à 2014 imposent que les conditions des transactions intragroupes ne diffèrent pas " de celles qui seraient conclues entre des entreprises indépendantes " , or des entreprises indépendantes auraient pris en compte la valorisation de l'option de conversion des OCA dans la fixation du taux de rémunération de ces obligations ; il résulte des principes OCDE que, pour déterminer le prix de transfert, il faut se placer à la fois du point de vue du prestataire du service et du point de vue de son bénéficiaire, or le versement d'un taux d'intérêt de 4,41 % n'était pas justifié pour la filiale EDFE, si le taux de marché pour les obligations convertibles qu'elle a émises était de 1,085 % ;
- à titre subsidiaire, la retenue à la source constitue une restriction prohibée à la libre circulation des capitaux, au sens de l'article 63 du traité de fonctionnement de l'Union Européenne, interprété par l'arrêt Sofina SA, Rebelco SA et Sidro SA de la Cour de justice de l'Union européenne du 22 novembre 2018 (aff. C-575/17), dès lors que la société EDFE, déficitaire sur la période d'imposition en litige, n'aurait pas été imposée sur les mêmes revenus si elle avait été résidente ; la différence objective de traitement n'est pas justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ; la situation déficitaire de la société EDFE est établie par la production de ses liasses fiscales ;
- la retenue à la source en cause constitue une restriction prohibée à la liberté d'établissement, au sens de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, par comparaison avec le traitement d'une filiale française fiscalement intégrée, dès lors que le revenu regardé comme distribué aurait été neutralisé pour la détermination du résultat imposable au niveau du groupe ; la différence objective de traitement n'est pas justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général, ni par la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal ; la société EDFE, détenue à 100 %, aurait été éligible à l'intégration fiscale si elle avait été résidente fiscale en France.
Par des mémoires en défense enregistrés les 14 avril 2020, 11 mars 2021, 26 octobre 2021 et, après cassation, les 24 mai et 13 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés et demande, à titre subsidiaire, que les impositions soient maintenues, à raison d'un acte anormal de gestion, sur le fondement des articles 38 et 209 du code général des impôts.
Par une ordonnance du 18 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 septembre 2023.
Une note en délibéré a été présentée le 16 novembre 2023 pour les sociétés EDFI et EDF.
2° Sous le n° 22VE02575, par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 mars 2020, 15 octobre 2020, 14 avril 2021 et, après cassation, les 21 mars 2023, 26 juin 2023 et 6 septembre 2023, les sociétés EDF et EDFI, représentées par Me de Boynes, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement no 1900449, 1900450 du 30 janvier 2020 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de prononcer, à titre principal, la décharge des impositions contestées ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer la restitution des intérêts de retard mis à la charge de la société EDFI pour un montant de 794 079 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 17 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soulèvent les mêmes moyens que ceux exposés dans la requête n° 22VE02576 et soutiennent en outre, à titre subsidiaire, que les intérêts de retard mis à la charge de la société EDFI au titre de l'exercice 2014 ne sont pas dus, en application du 2 du II de l'article 1727 du code général des impôts, dès lors qu'elle en a expressément fait mention dans sa liasse fiscale au titre de cette année d'imposition.
Par des mémoires en défense enregistrés les 3 mars 2021 et 26 octobre 2021 et, après cassation, les 24 mai et 13 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés et demande, à titre subsidiaire, que les impositions soient maintenues, à raison d'un acte anormal de gestion, sur le fondement sur des articles 38 et 209 du code général des impôts.
Par une ordonnance du 18 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 septembre 2023.
Une note en délibéré a été présentée le 16 novembre 2023 pour les sociétés EDFI et EDF.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus signée à Londres le 22 mai 1968 modifiée ;
- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital, signée à Londres le 19 juin 2008 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion,
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,
- et les observations de Me de Boynes pour les sociétés EDF et EDFI.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Electricité de France International (EDFI) a souscrit en 2009 l'intégralité des 66 285 obligations convertibles en actions (OCA), d'une durée de maturité de cinq ans, convertibles en actions ordinaires à tout moment à l'issue d'une période de blocage de trois ans, émises par sa filiale de droit britannique EDF Energy Limited (EDFE), dont elle détenait l'intégralité du capital, pour une valeur nominale de 50 000 euros, soit un prix de souscription de 3 314 250 000 euros, moyennant une rémunération annuelle au taux de 1,085 %. La société EDFI a fait l'objet de vérifications de sa comptabilité, à l'issue desquelles l'administration fiscale a considéré que ce taux d'intérêt était insuffisant, qu'il devait être porté à 4,41 % et que l'insuffisance de rémunération correspondant à la différence entre ces deux taux était dépourvue de contrepartie et dès lors constitutive d'une distribution de bénéfices à l'étranger, sur le fondement de l'article 57 du code général des impôts, au titre des années 2009 à 2014. L'administration a réintégré les produits d'intérêts résultant de cette différence de taux aux bénéfices imposables de la société EDFI, au titre des exercices clos au cours des années 2009 à 2014. Elle a notifié en conséquence à la SA EDF, tête du groupe d'intégration fiscale auquel appartient la société EDFI, les suppléments d'impôt sur les sociétés correspondants et a mis à la charge de la société EDFI, au titre de la distribution d'un avantage occulte à sa filiale britannique, une retenue à la source au taux conventionnel de 15 %, au titre des mêmes années 2009 à 2014. Par deux requêtes, qui présentent à juger les mêmes questions et qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, les sociétés EDF et EDFI relèvent appel des jugements du 2 juillet 2019 et du 30 janvier 2020 par lesquels le tribunal administratif de Montreuil a seulement fait droit à leur demande, présentée à titre subsidiaire, de décharge des intérêts de retard afférents aux impositions mises à leur charge au titre des années 2012 et 2013, et rejeté le surplus de leurs demandes de décharge de ces impositions.
Sur l'existence d'un transfert indirect de bénéfices :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée - ou ceux qui lui sont facturés par cette entreprise étrangère -, sont inférieurs - ou supérieurs - à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise française, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à une telle comparaison, le service n'est, en revanche, pas fondé à invoquer la présomption de transferts de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant - ou en les payant à un prix excessif -, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.
3. D'autre part, en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
4. Pour justifier les impositions contestées, l'administration fiscale s'est fondée sur la circonstance qu'en acceptant un taux de rémunération inférieur au taux du marché des emprunts obligataires, la société EDFI a consenti à la société EDFE, située hors de France, un avantage qui ne trouve pas sa contrepartie dans un gain de conversion, dès lors que la valeur de l'option de conversion, consistant exclusivement dans l'ouverture d'une faculté d'acquérir une fraction du capital social en remboursement du prêt obligataire consenti, est nécessairement nulle lorsque l'option est attribuée à la personne possédant, à la date de l'émission, l'intégralité du capital. En effet, ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat dans l'arrêt de cassation, cet actionnaire unique dispose du pouvoir de décider, à tout moment, de l'émission de nouveaux titres et leur attribution à son profit en remboursement du prêt obligataire qu'il a consenti à la société et, au surplus, l'opération de conversion est nécessairement neutre pour lui d'un point de vue patrimonial, dès lors qu'il possède, avant comme après celle-ci, la totalité du capital d'une société dont la valeur se trouve augmentée du montant de la dette dont elle s'est libérée, à exacte concurrence du montant de la créance dont il disposait sur celle-ci. Dans ces circonstances particulières, alors même que le taux d'intérêt appliqué aux OCA émises par la société EDFE était conforme au taux de rémunération qui aurait été appliqué, en situation de pleine concurrence, entre entreprises non liées, l'administration fiscale établit que la transaction en litige constitue une opération de financement intragroupe rémunérée à un taux inférieur à la valeur vénale du service.
5. Pour justifier de l'existence de contreparties, les sociétés requérantes ne font pas utilement valoir que l'opération serait neutre d'un point de vue patrimonial, dès lors que seule l'opération de conversion est dépourvue de conséquences sur les actifs détenus par la société EDFI. Cette opération de conversion étant neutralisée, l'avantage consenti à sa filiale résultant du différentiel de taux de l'emprunt obligataire auquel elle a souscrit constitue, pour la société EDFI, la renonciation à un produit. Est également inopérante la circonstance que la plus-value résultant du gain de conversion, au demeurant placée en report d'imposition, a été constatée au titre de l'exercice 2014, dès lors qu'une telle plus-value n'est pas susceptible de compenser l'insuffisance des produits constatés au cours des années précédentes. Enfin, si les sociétés EDF et EDFI soutiennent que la société British Energy, devenue EDFE, n'aurait pas pu verser un taux d'intérêt de 4,41 % sur 30 % supplémentaires du coût de son acquisition par EDFI, qu'il n'existait pas d'alternative au financement de l'opération et qu'un financement en capital n'aurait pas été productif d'intérêts, elles se bornent à procéder par affirmation sans en justifier. Dans ces conditions, il doit être regardé comme établi que la société EDFI s'est appauvrie, sans contrepartie, au profit de sa filiale non résidente EDFE.
6. Si les sociétés EDF et EDFI soutiennent que le critère intentionnel n'est pas caractérisé, l'intention libérale est en tout état de cause présumée lorsque, comme en l'espèce où la société EDFI détient à 100 % le capital de sa filiale EDFE, l'existence d'un lien de dépendance est établie.
7. Enfin, la caractérisation d'un acte anormal de gestion n'impliquant aucune substitution de base légale, la société EDFI n'a été privée d'aucune garantie.
8. Il en résulte qu'en application de la loi fiscale, l'administration fiscale était fondée à réintégrer dans les résultats de la société EDFI les sommes correspondantes à l'insuffisance de rémunération des obligations souscrites par la société EDFI, comme constitutives de bénéfices indûment transférés à l'étranger.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
9. Les sociétés EDF et EDFI se prévalent du paragraphe n° 36 de l'instruction n° 4A1214, publiée le 9 mars 2001 et des paragraphes n° 30 et n° 120 de l'instruction administrative BOI-BIC-BASE-80-10 publiée le 12 septembre 2012, qui prévoient, selon elles, une application inconditionnelle et sans aucune exception du principe de pleine concurrence. Cependant ces commentaires, relatifs aux modalités de détermination d'un prix de transfert conforme au principe de pleine concurrence, ne comportent aucune interprétation de la loi fiscale susceptible d'être opposée à l'administration fiscale, notamment dans le cas d'espèce où l'opération est insusceptible d'être comparée à une transaction similaire dans une situation de pleine concurrence.
En ce qui concerne l'application de la convention fiscale franco-britannique :
10. Aux termes de l'article 8 de la convention fiscale franco-britannique du 22 mai 1968 repris à l'article 10 de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008 : " Lorsque : / a) Une entreprise d'un Etat contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d'une entreprise de l'autre Etat contractant, ou que / b) Les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d'une entreprise d'un Etat contractant et d'une entreprise de l'autre Etat contractant, / et que, dans l'un et l'autre cas, les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions acceptées ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient conclues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été obtenus par l'une de ces entreprises mais n'ont pu l'être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence. ".
11. Ces stipulations, qui permettent à l'administration fiscale française de faire application des dispositions de l'article 57 du code général des impôts, ne font pas obstacle au pouvoir de la France d'imposer la sous-rémunération en litige dès lors qu'ainsi qu'il a été dit aux points 4 à 8 du présent arrêt, il est établi que la société EDFI a consenti à sa filiale résidente britannique un avantage contraire à son intérêt et s'est ainsi privée d'une part de bénéfices imposable en France.
Sur la conformité de la retenue à la source au droit de l'Union :
12. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ". Aux termes du 2° de l'article 119 bis du même code " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France ".
13. Les sociétés requérantes soutiennent, d'une part, que la retenue à la source constitue une restriction prohibée à la liberté de circulation des capitaux, au sens de l'article 63 du traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), tel qu'interprété par l'arrêt Sofina SA, Rebelco SA et Sidro SA de la cour de justice de l'Union européenne du 22 novembre 2018 (aff. C-575/17), dès lors que la société EDFE, qui était déficitaire sur la période d'imposition, n'aurait pas été imposée sur les mêmes revenus si elle avait été résidente, d'autre part, que la différence de traitement entre les sociétés résidentes bénéficiant du régime d'intégration fiscale et les filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, est contraire à la liberté d'établissement protégée par l'article 49 du TFUE, dès lors qu'au sein d'un groupe fiscalement intégré, l'avantage distribué à la société EDFE serait constitutif d'une subvention indirecte neutralisée pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe.
14. L'imposition par la France des bénéfices irrégulièrement transférés à une société d'un autre Etat membre, sur le fondement de l'article 57, constitue une restriction à la liberté d'établissement et à la liberté de circulation des capitaux garanties par le TFUE, dès lors que la situation fiscale d'une société résidant en France et accordant des avantages anormaux à des sociétés entretenant un lien d'interdépendance avec elle et établies dans d'autres États membres est moins favorable que celle qui serait la sienne si elle accordait de tels avantages à des sociétés résidentes entretenant de tels liens. Toutefois, la nécessité de sauvegarder la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les États membres et celle de prévenir l'évasion fiscale constituent des objectifs légitimes compatibles avec le traité et relevant de raisons impérieuses d'intérêt général. La différence de traitement fiscal entre les sociétés résidentes en fonction du lieu du siège des sociétés bénéficiant des avantages en cause est proportionnée par rapport à ces objectifs et propre à garantir la réalisation de ces objectifs. Dans ces conditions, une telle restriction ne porte pas atteinte à la liberté de circulation des capitaux et à la liberté d'établissement.
Sur les intérêts de retard :
15. Au titre de l'article 1727 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " II. - L'intérêt de retard n'est pas dû : (...) / 2. Au titre des éléments d'imposition pour lesquels un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un contribuable a fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte comportant l'indication des éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt, ou dans une note l'accompagnant, les motifs de droit ou de fait pour lesquels il fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées, les redressements opérés à ce titre n'entraînent pas l'application de l'intérêt de retard.
16. Il résulte de l'instruction que la société EDFI a, par une mention expresse portée sur sa liasse fiscale de l'exercice 2014, rappelé les données de l'opération litigieuse et déclaré maintenir sa position malgré les rectifications, contestées, dont elle avait fait l'objet au titre des exercices 2009, 2010 et 2011. Dans ces conditions, la société EDFI est fondée à soutenir que l'intérêt de retard mis à sa charge au titre de l'exercice 2014 n'était pas dû.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la société EDFI est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement nos 1900449, 1900450 du 30 janvier 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge à hauteur des intérêts de retard auxquels elle a été assujettie au titre de l'exercice 2014. La requête n° 22VE2576 et le surplus de la requête n° 22VE02575 doivent être rejetés.
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que les sociétés EDF et EDFI demandent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La société EDFI est déchargée des intérêts de retard afférents à la retenue à la source mise à sa charge au titre de l'exercice 2014.
Article 2 : Le jugement nos 1900449, 1900450 du 30 janvier 2020 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La requête n° 22VE2576 et le surplus de la requête n° 22VE02575 sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Electricité de France International et la SA Electricité de France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
M. Tar, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 novembre 2023.
La rapporteure,
O. DORIONLa présidente,
F. VERSOLLa greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 22VE02575-22VE02576