La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/11/2023 | FRANCE | N°22PA04058

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 28 novembre 2023, 22PA04058


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société CCM a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du

15 avril 2020 par laquelle la ministre de la transition écologique et solidaire lui a prescrit de rapatrier sous un mois ses marchandises vers une installation de collecte ou de traitement des déchets, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux contre la décision du 15 avril 2020, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 201338...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société CCM a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du

15 avril 2020 par laquelle la ministre de la transition écologique et solidaire lui a prescrit de rapatrier sous un mois ses marchandises vers une installation de collecte ou de traitement des déchets, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux contre la décision du 15 avril 2020, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2013387 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision attaquée, et mis à la charge de l'Etat (ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires) une somme de 1 500 euros à verser à la société CCM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par un recours, enregistré le 2 septembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2013387 du tribunal administratif de Paris du 1er juillet 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société CCM devant le tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors qu'il n'a pas statué sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de rejet du recours gracieux ;

- il a commis une erreur de qualification juridique des faits en jugeant que les paillettes et blocs plastiques détenus par la société CCM pouvaient être considérés comme des sous-produits plutôt que comme des déchets au sens de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, alors qu'elles ne satisfaisaient pas aux conditions posées par l'article L. 541-4-2 du même code.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2023, la société CCM représentée par Me Moustardier, conclut au rejet du recours et à ce que le versement la somme de 5 000 euros soit mis à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gazzarin, représentant la société CCM.

Considérant ce qui suit :

1. En décembre 2019, la société CCM a fait l'acquisition de lots de matières plastiques auprès de la société Harel, qui les avait acquis auprès de la société Plastipak, qui fabrique des produits finis ou semi-finis en plastique, notamment des bouteilles plastiques. La société CCM les a revendus le 7 janvier 2020 à la société Unique Cycle Industrie SDN BHD en vue de leur exportation en Malaisie, pour y être utilisés par la société Jade Star Hi Tech Manufacturing. A l'issue d'une inspection du service des douanes du bureau de Fos Port Saint-Louis le 28 janvier 2020, le pôle national des transferts transfrontaliers de déchets de la direction générale de la prévention des risques du ministère de la transition écologique et solidaire a été saisi et la société CCM a été convoquée le 1er avril 2020 pour la rédaction d'un procès-verbal d'infraction pour exportation sans déclaration et transfert de déchets non déclarés. Ce procès-verbal d'infraction lui a ensuite été notifié le 9 avril 2020 et les marchandises ont été placées sous surveillance judiciaire. Par une décision du 15 avril 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire a prescrit à la société CCM de rapatrier sous un mois ses marchandises vers une installation de collecte ou de traitement des déchets. Le recours gracieux du 29 avril 2020 formé par la société CCM à l'encontre de cette décision ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette société a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande d'annulation de la décision du 15 avril 2020 à laquelle le tribunal a fait droit par un jugement n° 2013387 du 1er juillet 2022 dont le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève appel.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges n'ont prononcé l'annulation que de la décision du 15 avril 2020 de la ministre de la transition écologique et solidaire prescrivant à la société CCM de rapatrier sous un mois ses marchandises vers une installation de collecte ou de traitement des déchets, sans statuer sur les conclusions, dont ils étaient également saisis, tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision. Par suite le ministre est fondé à soutenir que le jugement est de ce fait entaché d'irrégularité et à en demander l'annulation dans cette mesure.

3. Il appartient dès lors à la Cour de se prononcer immédiatement sur ces conclusions par la voie de l'évocation, aux points 10 et 11 du présent arrêt, et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions du recours du ministre.

Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il a prononcé l'annulation de la décision du

15 avril 2020 :

4. Aux termes de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement : " Au sens du présent chapitre, on entend par :/Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ;(...) ". Aux termes de l'article L541-4-2 du même code : " Une substance ou un objet issu d'un processus de production dont le but premier n'est pas la production de cette substance ou cet objet ne peut être considéré comme un sous-produit et non comme un déchet au sens de l'article L. 541-1-1 que si l'ensemble des conditions suivantes est rempli :

' l'utilisation ultérieure de la substance ou de l'objet est certaine ;

' la substance ou l'objet peut être utilisé directement sans traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes ;

' la substance ou l'objet est produit en faisant partie intégrante d'un processus de production ;

' la substance ou l'objet répond à toutes les prescriptions relatives aux produits, à l'environnement et à la protection de la santé prévues pour l'utilisation ultérieure ;

' la substance ou l'objet n'aura pas d'incidences globales nocives pour l'environnement ou la santé humaine.

Les opérations de traitement de déchets ne constituent pas un processus de production au sens du présent article ".

5. Pour soutenir que le tribunal aurait à tort jugé que les produits commercialisés par la société CCM avaient la qualité de sous-produit et non de déchets, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires fait valoir que ces produits ne satisferaient pas à certaines des conditions posées par les dispositions précitées de l'article L. 541-4-2 du code de l'environnement, dès lors notamment que leur utilisation ultérieure ne serait pas certaine, qu'ils nécessiteraient un traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes, et enfin, que les paillettes plastiques, issues de plastique obtenu par broyage de bouteilles plastiques, ne feraient pas partie intégrante d'un processus de production.

6. Toutefois, en premier lieu, les circonstances d'une part que plusieurs sociétés intermédiaires sont intervenues entre la cession de ces résidus par la société Plastipak, qui les a produits, et la société Jade Star Hi Manufacturing qui envisage de les réutiliser, d'autre part que l'une de ces sociétés intermédiaires, la société Harel, a pour activité la valorisation et le recyclage des déchets, ce qui ne saurait en soi établir qu'elle ne puisse également traiter des sous-produits, et enfin, que l'objet social des autres sociétés intermédiaires ne soit pas connu, ne permettent pas, par elles-mêmes, de mettre en doute l'utilisation certaine des produits en cause, alors qu'il ressort de l'attestation de la société Jade Star Hi Tech Manufacturing SDN Bhd, produite devant le tribunal, qu'elle achète à la société CCM du plastique, qui est importé par leur partenaire Unique Cycle Industries SDN BHD avant d'être traité dans leur usine en vue d'un usage direct en production. De plus, il ressort également des pièces du dossier que ces marchandises n'ont pas fait l'objet de stockage ou d'inutilisation durable puisqu'elles ont été acquises par la société CCM en décembre 2019 et janvier 2020 et ont été revendues dès le 7 janvier 2020 à la société Unique Cycle Industries SDN BHD en vue de leur transfert à la société Jade Star Hi Tech Manufacturing SDN Bhd ; ainsi, leur circulation très rapide depuis la société Plastipak jusqu'à cette société Jade Star Hi Tech Manufacturing SDN Bhd confirme l'existence d'un circuit commercial en vue de la réutilisation de ces produits, qui était ainsi certaine bien avant l'inspection du service des douanes du bureau de Fos Port Saint-Louis le 28 janvier 2020 et la saisine du pôle national des transferts transfrontaliers de déchets. Enfin, ces marchandises ont été cédées pour un montant de 36 420 euros par le contrat du

7 janvier 2020, ce qui démontre l'intérêt économique qui s'y attache, et confirme dès lors leur réutilisation future.

7. En deuxième lieu, s'il est fait état de ce que l'utilisation des matériaux en cause nécessiterait préalablement un broyage et une condensation, il n'en résulte pas, et il n'est aucunement établi, que de telles opérations excèderaient ce qui relève des pratiques industrielles courantes.

8. En troisième lieu, les produits considérés consistent en blocs plastiques et paillettes plastique. Or les blocs plastiques, ainsi qu'en convient le ministre, sont issus de chutes de plastique provenant de la fabrication des bouteilles par Plastipak et doivent dès lors être considérés comme faisant partie intégrante d'un processus de fabrication. Quant aux paillettes plastiques, qui proviendraient du plastique obtenu par broyage de bouteilles plastiques, la société CCM fait valoir, en se fondant sur une note ministérielle d'explication de la nomenclature ICPE et des installations de gestion et de traitement de déchets du 27 avril 2022, qu'un résidu peut être considéré comme un sous-produit si sa production est inévitable lors de la fabrication du produit final recherché, et elle soutient sans être contredite que les paillettes sont des débris inévitablement produits lors de la fabrication des produits, et font dès lors, à ce titre, partie intégrante du processus de production.

9. Enfin, alors que le ministre ne conteste pas en appel que les produits en cause, d'une part, répondent à toutes les prescriptions relatives aux produits, à l'environnement et à la protection de la santé prévues pour l'utilisation ultérieure et, d'autre part, n'auront pas d'incidences globales nocives pour l'environnement ou la santé humaine, il n'est pas fondé à soutenir que les blocs et paillettes de plastique auraient le caractère de déchets, et non de sous-produits, au sens des dispositions de l'article L. 541-4-2 du code de l'environnement.

Sur les conclusions présentées par la société CCM devant le tribunal tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre sur le recours gracieux formé à l'encontre de la décision du 15 avril 2020 :

10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 qu'il appartient à la Cour, saisie par la voie de l'évocation, de statuer sur ces conclusions.

11. Or il résulte de tout ce qui vient d'être dit que le tribunal a à juste titre prononcé l'annulation de la décision du 15 avril 2020. Dès lors la société CCM était fondée à demander également devant le tribunal l'annulation de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé à l'encontre de cette décision.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est seulement fondé à soutenir que le jugement est entaché d'irrégularité en ce qu'il n'a pas statué sur les conclusions à fins d'annulation de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé à l'encontre de la décision du 15 avril 2020 prescrivant à la société CCM de rapatrier sous un mois ses marchandises vers une installation de collecte ou de traitement des déchets. Il n'est en revanche pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision du 15 avril 2020.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à la société CCM de la somme de 1500 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2013387 du tribunal administratif de Paris du 1er juillet 2022 est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions dirigées contre la décision de rejet du recours gracieux formé par la société CCM.

Article 2 : La décision implicite de rejet du recours gracieux formé par la société CCM à l'encontre de la décision du 15 avril 2020 est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à la société CCM une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société CCM.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente de la formation de jugement,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023

La rapporteure,

M-I. B...La présidente,

M. A...

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA04058


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04058
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : ATMOS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;22pa04058 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award